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Alex Beaupain : « Il faut avoir beaucoup de personnalité pour être influençable»

Découvert par le grand public grâce à ses chansons d’amour dans le film du même nom de Christophe Honoré, Alex Beaupain mène aujourd’hui en parallèle sa carrière solo et son travail de composition de bandes originales. Il revient avec nous sur son  amitié avec Honoré, sur ses sources d’inspiration et sur l’évolution de son œuvre. Entretien.

Comment êtes-vous venu à la chanson ? Tardivement ?

J’ai toujours écouté de la chanson. Française d’abord, par mes parents : tous les grands anciens, Trenet, Brel, on écoutait beaucoup ça à la maison. J’avais une mère qui jouait de la musique, de la guitare, du piano, et donc elle nous chantait du Barbara, du Brassens, etc. Puis après, à l’adolescence, j’ai eu mes chanteurs à moi : Renaud, Daho (qui a été très important pour moi), Bashung, Murat. Et aussi un petit peu de pop anglo-saxonne par la suite.
Donc j’ai toujours eu le goût pour la chanson mais effectivement, j’y suis venu tardivement parce que je trouvais ça un peu ridicule de vouloir être chanteur. Je pensais qu’il y avait un côté un peu grotesque, pas très sérieux là-dedans. Et finalement, c’est après avoir été diplômé de Sciences Po en 1997 que je me suis décidé à m’avouer qu’il fallait que je fasse ça. En fait, c’est grâce à des gens comme Christophe Honoré qui m’ont poussé à me révéler à moi-même, voyant que Sciences Po m’ennuyait. Christophe me voyait essayer plein de choses, comme passer le concours de la FEMIS. Un jour, il m’a demandé : « mais tu veux faire quoi en vrai ? » A l’époque, j’écrivais des chansons exclusivement pour mon amoureuse. Quand je lui ai dit ça, il m’a répondu : « très bien, t’écris des chansons, alors tu vas faire un concert. Tu as un piano chez toi. Samedi soir, on vient dîner avec des amis et puis après tu fais ce concert. Si tu veux être chanteur, il faut chanter. »  Moi, je trouvais ça un peu inaccessible parce que je venais d’un ‘milieu classe moyenne de province’, une mère institutrice, un père à la SNCF et donc j’avais l’idée que j’allais réussir plutôt par les études. Alors que Christophe qui, lui, venait du fin fond de la Bretagne, ne doutait pas qu’il allait être écrivain et cinéaste, en tout cas que ça valait le coup d’essayer. Donc voilà, il m’a beaucoup poussé.
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Une grande partie de nos lecteurs est de Sciences Po. Vous avez-vous-même étudié rue Saint Guillaume. Quel souvenir en gardez-vous ?
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En fait, je me suis retrouvé à Sciences Po pour une raison un peu idiote. Après le bac, j’avais une copine dont j’étais très amoureux et on avait envie d’habiter ensemble. Alors on s’est demandés comment on pouvait vendre à nos parents des études sérieuses et qui n’étaient pas faisables à Besançon (sinon on restait chacun chez soi). Sciences Po, ça a semblé la bonne solution ! Après, même si j’ai de bons souvenirs de vie étudiante et que je me suis fait des amis très chers qui le sont encore aujourd’hui, j’étais un étudiant assez dilettante. Ça ne m’intéressait pas, je savais déjà que je n’avais pas envie de ça. Pour moi, les années étudiantes ont été à la fois très joyeuses, car je faisais la fête, mais aussi un peu désespérantes parce que je ne me voyais pas d’avenir de journaliste, de sociologue ou d’historien comme le sont certains de mes amis. J’étais le genre d’étudiant à avoir toujours la moyenne pour passer, qui révisait trois jours avant les examens de fin d’année, pendant 72 heures d’affilée, les cours qu’il n’avait pas suivis. Voilà qui donne une belle image de moi.
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Comment décririez–vous votre méthode de travail ?
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Quand j’écris des chansons, j’ai besoin d’avoir la mélodie d’abord, parce que j’ai plus de facilité avec les mots qu’avec la musique. Du coup, je n’arrive pas à avoir un texte sur lequel j’écris de la musique, je trouve qu’il faut être plus musicien que je ne le suis si on veut le faire dans ce sens-là. Et une fois que j’ai écrit la musique, ça va assez vite généralement : je me mets à mon piano, et j’écris en chantant. Ça me prend 2 heures en moyenne. Une fois que j’ai chanté la chanson en entier, je la tape sur l’ordinateur et c’est fini. En règle générale, je fais très peu de corrections. C’est le moyen que j’ai trouvé pour que les chansons ne soient pas seulement des textes très travaillés, très littéraires. Selon moi, c’est le défaut de la chanson en France, peut-être parce qu’on a une tradition qui vient de la poésie du XIXème siècle : les textes sont très poétiques mais la musique est souvent une espèce d’accompagnement un peu bâclé. Je ne considère pas que mes textes de chansons soient de la poésie, ils n’ont aucun intérêt sans la musique qui va avec. Donc j’écris en chantant parce que je n’oublie jamais que ce n’est pas de la littérature, mais un objet-chanson qui rend le texte et la musique indissociables.
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Quelles sont vos sources d’inspiration majeures, vos références ? Viennent-elles principalement du cinéma ou de la chanson ? Je pense à Michel Legrand évidemment, Bashung, Brel…
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Je me vis d’abord comme un auteur-compositeur de chansons et après, par Christophe Honoré qui a entendu mes chansons avant que lui-même soit cinéaste ou moi chanteur, je suis arrivé au cinéma. J’ai mis du temps à ne pas me considérer comme une sorte d’escroc en tant que compositeur de musiques de films, mais maintenant je me dis que je suis légitime dans cette carrière-là  aussi. Mes sources d’inspiration viennent donc plutôt de la chanson. Quelque fois, il m’arrive même de faire des références musicales très explicites à des choses des années 80 par exemple. Sur mon dernier album, on reconnaît très clairement dans la titre « Au départ » un petit rif qui vient de « Cherchez le garçon » de Taxi Girl. Des gens que j’ai beaucoup écoutés, comme Souchon, m’inspirent beaucoup aussi.
Globalement, j’aime bien les artistes dans l’œuvre desquels on peut trouver des choses qui les ont nourris, ceux qui ont de la mémoire. C’est le cas de Christophe dans son cinéma. Je trouve vraiment qu’il faut avoir beaucoup de personnalité pour être influençable. Ça me plaît qu’on devine dans mon travail que j’ai écouté Daho, Gainsbourg. Si, à côté de ça, on considère que ce que je fais a de la personnalité, me ressemble, je pense que c’est une grande qualité de revendiquer ses références. Il y a eu un mouvement qui disait : « on va faire des choses complètement nouvelles, on n’en a rien à foutre de la culture », particulièrement dans une espèce de cinéma des années 80. Moi, profondément, je préfère les gens qui ont de la mémoire. J’ai envie de faire de belles choses parce que j’ai été nourri par des choses belles !
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Vous vous êtes rencontrés très tôt avec Christophe Honoré. Quel est votre premier souvenir de lui ? Vous êtes d’abord devenus amis ? Comment avez-vous commencé à travailler ensemble ? 
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Je l’ai rencontré par des amis communs, je devais avoir 17 ans. Lui, il était encore en Bretagne, moi j’étais à Besançon. J’allais monter à Paris, lui y est allé plus tard, à 25 ans. Comme on avait ces amis en commun, on s’est beaucoup croisés dans des fêtes qui étaient organisées soit à Paris, soit en Bretagne. Je me souviens avoir participé à ses 21 ans à Rennes je crois, dans une espèce de grand gîte. Mon premier souvenir de lui est celui d’un garçon très sympathique, il a été vite assez “grand-fraternel”. Il avait 4 ans de plus que moi. maintenant moins, parce que plus on vieillit, plus on se rapproche !
Mais je me souviens d’avoir beaucoup parlé de cinéma avec lui dans des soirées, je me rappelle aussi qu’il voyait que la musique m’intéressait. On avait des accointances : la pop française des années 80 notamment. Il m’avait fait une cassette audio à l’époque sur laquelle il avait mis plein de choses qui m’ont nourri après : il y avait  Taxi Girl, Elli Medeiros notamment.
Donc on avait des liens un peu distendus parce qu’on n’habitait pas dans la même ville, c’est après quand il est arrivé à Paris qu’on s’est beaucoup plus côtoyés. Mais dès le début, nos conversations tournaient autour du cinéma, de la musique, de la littérature, et je me souviens qu’on était souvent assez d’accord dans nos débats.
Comment on a commencé à travailler ensemble ? Simplement, il a écouté mes chansons, il les a trouvées belles. Il m’a même écrit des textes au début. Très rapidement, j’ai compris qu’en dépit de toutes ses qualités, j’écrivais mieux les chansons que lui. Alors je n’ai pas pris ses textes, et ça le vexe ! Il dit parfois qu’il a écrit  mon meilleur album et que celui-ci n’est jamais sorti ! Blague à part, Christophe était très motivant, peut-être qu’il m’écrivait des textes uniquement pour me dire « il faut faire les choses ». Dès son premier court-métrage, il m’a demandé d’en faire la musique, et on ne s’est plus jamais quittés.
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Et vous avez encore des projets ensemble ?
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Non, pour l’instant, Christophe fait du théâtre, il prépare une pièce sur le Nouveau Roman pour le Festival In d’Avignon. Bon, la dernière fois qu’il a fait le festival d’Avignon, il a monté « Angelo tyran de Padoue » de Victor Hugo et, deux jours avant, il m’a appelé pour que je lui retrouve dans l’urgence l’instrumental d’une chanson existante. Je lui ai répondu : «tu me l’aurais dit plus tôt, j’aurais écrit une chanson originale ». Chose que j’ai faite ensuite pour la tournée. Le titre en question (« Tout est si calme ») s’est retrouvé dans « les Bien-Aimés » d’ailleurs. Rien ne se perd, tout se transforme, hein !
Pour l’instant, j’écris mon quatrième album, j’ai des projets musicaux avec d’autres gens (des projets d’opérettes, de comédies musicales qui ne concernent pas directement Christophe). Et puis, je ne pense pas que Christophe soit obligé de faire appel à moi à chaque fois. Il l’a fait jusqu’à maintenant et s’il ne le fait pas à l’avenir, je serais extrêmement vexé, mais je pourrais comprendre les raisons qui poussent un réalisateur à changer parfois de collaborateur.
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Dans le film « Dans Paris », Romain Duris chante votre chanson « Avant la haine ». Vous l’avez récemment reprise en duo avec Camelia Jordana. Selon Christophe Honoré (qui en 
a réalisé le clip), c’est votre plus beau titre, votre chanson la plus émouvante. A-t-elle effectivement une place particulière dans votre œuvre ?
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La plus émouvante ? C’est la plus ancienne, donc c’est agréable, on se sent progresser. Plus sérieusement, j’aime particulièrement cette chanson. Elle existait avant « Dans Paris », je voulais la mettre dans mon premier album mais je n’avais pas trouvé l’arrangement et la personne avec qui la chanter. Très simplement, j’aime beaucoup cette chanson pour des raisons personnelles : je l’avais écrite pour mon amoureuse de l’époque, la première personne avec qui je l’ai chantée, c’est elle. Et donc j’ai fatalement un attachement très sentimental à ce titre, ce qui explique que j’ai mis du temps à trouver quelqu’un pour la chanter. Oui, elle a une place particulière. Et puis c’est la première sur laquelle on a fait chanter des acteurs dans un film de Christophe, ce qui a sans doute mené aux « Chansons d’amour » après. Mais en fait c’est avant tout pour des raisons plus personnelles. Et heureusement que les chansons, c’est ça aussi, des histoires intimes.
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Comment peut-on définir la musique d’Alex Beaupain ? Poétique ? Mélancolique ? Pop littéraire ? 
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Littéraire, non : c’est ce que je disais, je n’aime pas cette idée que les textes de chansons sont de la littérature. Il y avait une collection quand j’étais jeune qui s’appelait « Poètes d’aujourd’hui » chez Seghers, qui doit encore exister, et c’était tous les textes de Brassens, de Brel. Je n’ai jamais été tellement fan de cette idée. Poétique, non plus. Ce n’est pas de la poésie, la chanson. Enfin, il y a de la poésie dans les chansons, mais ce ne sont pas des poésies, voilà ce que je veux dire.
Mélancolique, oui. Par inclination, j’ai plus de facilité à écrire sur des sujets tristes, on me l’a assez dit. Je trouve ça très dur d’écrire une chanson joyeuse. J’écris essentiellement des chansons d’amour, et je n’aime pas qu’elles soient des choses anecdotiques, des blagues. Je préfère que ce soit un peu lyrique, et l’exacerbation des sentiments, on la trouve plus dans la tristesse ou le malheur. Ce n’est par pour ça que je suis un artiste maudit dans la vie de tous les jours. Depuis peu d’ailleurs, je lutte un peu contre ce penchant mélancolique naturel, je commence à avoir des chansons, non pas guillerettes n’exagérons rien, mais un peu plus up-tempo.
Pop, oui. Mais ça veut tout dire pour moi. Populaire, au sens de la variété française, qui ne me dégoûte pas du tout quand elle est faite noblement. Il y a des grands chanteurs de variété en France : Julien Clerc, Alain Chamfort. Et puis j’ai beaucoup écouté et je continue à écouter de la pop (même Souchon en a fait, il a tellement aimé les Beatles, forcément…). Je crois que je ne suis pas assez premier degré et rebelle comme garçon pour dire que je suis rock. Oui allez, je suis un chanteur pop !
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Pour finir, parlez-nous un peu de votre carrière solo. 
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J’en suis à l’écriture de mon quatrième album. J’ai l’impression que les gens m’ont beaucoup connu par le film « Les chansons d’amour », et je n’ai pas de souci par rapport à ça. Mais avec mon troisième album, « Pourquoi battait mon cœur », et la sortie en parallèle de la BO des « Bien-aimés », j’ai senti cette année, par la presse souvent bienveillante et par des petites choses comme les salles de concert qui commencent à se remplir alors que je ne chante plus systématiquement les chansons des films de Christophe, par les ventes de disques aussi, par la nomination au Prix Constantin, qu’on commence un peu (enfin, j’allais dire) à dissocier mes deux carrières.  Je commence à acquérir une petite reconnaissance comme chanteur solo, même si je suis encore très identifié par rapport à mes musiques de films. Mais ce n’est pas un problème, j’ai toujours aimé faire les deux. D’abord, parce que ça permet de gagner de l’argent et de vivre. Et puis surtout, comme ça, je ne m’ennuie pas. Grâce à Christophe, j’ai fait chanter des gens que je n’aurais jamais imaginé faire chanter. Et j’ai participé à des films dont je suis très fier, jusqu’au dernier. Et voilà, je travaille tout le temps, j’ai une terreur des vacances, de l’ennui. Pour moi, tout ça est donc très agréable. J’adore ma vie en fait, c’est ça que je voulais dire !
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Entretien réalisé par Quentin Jagorel