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Tigran Hamasyan : une très belle découverte musicale

Jeune pianiste arménien de la scène jazz actuelle, Tigran Hamasyan a été pour moi une révélation musicale : originalité, talent, beauté, j’ai été conquis ! Et je vous propose ici une véritable invitation au voyage, en 3 étapes, 3 albums de cet artiste hors pair, 3 facettes différentes de son vaste univers créatif.

Ecoutez “A Fable” sur deezer

En écoutant « A Fable », un album pour piano solo sorti en 2011, j’ai découvert un talent tout à fait singulier, un musicien résolument moderne. Si l’album dans son ensemble est d’une homogénéité remarquable, les influences, elles, sont plurielles : musiques traditionnelles arméniennes, pop occidentale, et couleurs impressionnistes de Debussy, Ravel, Fauré. De ce mélange, Tigran Hamasyan dévoile des compositions très personnelles et intimes, de caractère tantôt introverti, tantôt fougueux. Sur certains morceaux comme « What The Waves Brought », les arpèges limpides et les couleurs harmoniques nous emportent dans un tourbillon de sensations. Sur d’autres titres comme « Mother Where Are You? » et « The Legend Of The Moon », Tigran pense peinture avant de penser musique, et le temps est comme suspendu, laissant à l’auditeur le plaisir d’apprécier au maximum ces instants magiques. Tout le long de cet album, l’univers est planant et rêveur comme en témoigne le magnifique « A Memory That Became A Dream » :

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Après le monde presque féérique de « A Fable », j’ai écouté « New Era », sorti en 2007. Sur ce projet, Tigran Hamasyan est accompagné des jazzmen François Moutin à la contrebasse, et Louis Moutin à la batterie.

Toujours dans une logique de mélange de styles, le trio jongle entre le jazz américain et la musique arménienne. [Jazz américain] Le groupe se réapproprie deux standards très connus, « Well You Needn’t » de Thelonious Monk, et « Solar » de Miles Davis, en proposant des versions habilement revisitées. Le titre « Memories from Hankavan and Now » rappelle beaucoup l’esprit de Herbie Hancock, un style que j’aime qualifier de ‘’frais’’ et moderne. [Musique arménienne] L’originalité de Tigran Hamasyan vient aussi de l’insertion d’instruments arméniens dans une formation tout ce qu’il y a de plus conventionnelle : le trio piano-contrebasse-batterie. Ainsi, sur le titre « Aparani Par (The Dance Of Aparan) » on entend un shvi (flûte arménienne) et un duduk (sorte de hautbois arménien). Le rendu est complètement réussi :

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Enfin, le génial « Gypsyology » résume à merveille l’amusement du trio à mêler les influences. Cet album très abouti utilise en fin de compte une démarche musicale plutôt récente : celle de marier le jazz traditionnel américain avec des musiques venues de l’Est et avec la pop music occidentale. Vu de cette manière, l’album « New Era » est similaire au trio du contrebassiste Avishaï Cohen, que je recommande vivement.

Aventurons-nous désormais dans la troisième étape du voyage : l’album « Red Hail » datant de 2008.
« A Fable » c’était la poésie, les images, le rêve ; « New Era » c’était le jazz, le trio acoustique, l’exotisme auditif arménien ; « Red Hail » c’est l’énergie, le rock, et – j’ose le dire – la testostérone. Certes, je grossis un peu les traits, mais l’idée est là : cet album s’inscrit dans l’esthétique jazz-rock-fusion de groupes comme Return To Forever. Au fil des morceaux, on est guidés par des tempos souvent rapides, une rythmique musclée et parfois asymétrique, un son puissant et électrique. Le titre « The Glass-Hearted Queen » en est une parfaite illustration, avec des riffs de guitare électrique directement inspirés du rock voire du métal. Du « gros son », pour parler franchement. Bien heureusement, des respirations viennent ponctuer ces moments d’abondance de notes et de décibels, comme le très aérien « Love Song ». La légèreté apportée par le chant, le saxophone soprano, et les touches perlées du piano, vient équilibrer subtilement le tout ; mais rien ne semble arrêter l’énergie débordante des musiciens, qui se dégage tout le long de cet album. J’avoue un coup de cÅ“ur pour « Falling » et son intro qui plaira à coup sûr aux amateurs de batterie et beat boxing.
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A l’image du titre « Part 1 : Serpentine », l’album « Red Hail » est assez proche des compositions de  Hiromi Uehara, une autre pianiste à découvrir absolument ! Chez elle comme chez Tigran, l’héritage pianistique et musical de Chick Corea et de Herbie Hancock est bel et bien présent.

Le voyage sonore touche à sa fin, un voyage qui je l’espère vous a fait visiter de larges horizons musicaux et vous emmènera vers d’autres découvertes. Et pour finir sur une touche de douceur, un dernier titre de Tigran : « Mother’s Lament ».
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Antonin Néel