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Décadanse ?

On connaissait les grands sauts de Petipa sur les planches de l’Opéra Garnier, on saluait les ballets de Frédéric Flamand sur les scènes marseillaises et les performances de Prejlocaj en Provence. Ce que la danse en France n’avait jamais connu jusqu’alors, c’était une commercialisation.

Un côté bobo plus ou moins affirmé -à l’exception des grands standards du ballet classique- recouvrait l’univers de la danse. La danse en France était à l’art français ce que les films vénézueliens sont au cinéma contemporain : un truc de connaisseurs, un truc de passionnés.
Oui mais ça, c’était avant qu’Endémol phagocyte de ses longues dents – ne manquez pas l’analogie aux ballerines- pointues, la Danse, avec un grand D. Nos écrans ont en effet vu l’apparition ces toute dernières années, d’émissions consacrées à la danse et de niveau technique honorable mais de qualité artistique critiquable. Elles s’intitulent « Danse avec les stars » sur TF1, « You can dance » sur NT1 qui connait beaucoup de succès pour une chaîne secondaire ou encore M6 qui prépare un «  TV Show » dédié à cette discipline.
Cette digitalisation de la danse est aussi propulsée par sa prolifération au cinéma dans des films aussi niais que High School musical 1, 2, 3, Honey 1 et 2, Step up 1, 2 et 3D (oui 3D !) ou la trilogie des Street Dance.
Née et développée entre la naissance de Flashdance et la Star Ac’ de Kamel Ouali, cette tendance s’est aussi renforcée à travers la multiplication des vidéoclips musicaux. L’amorcement le plus emblématique étant probablement celui chorégraphié par Mia Frye, qui a réussi l’exploit de synchroniser – pour la première fois dans l’histoire de l’humanité ?– la moitié de la planète sur les notes de la Macarena. Aujourd’hui, la danse comme produit commercial est un pilier de la réalisation des clips vidéo. Comme une nécessité créée par la baisse des ventes de disques, les artistes ont dû ajouter à leur son, leur image. Ainsi le clip est devenu leur nouvelle source de revenus dans laquelle ils doivent faire toujours plus égocentrique, toujours plus extrême, et la danse devient prétexte d’hypersexualisation. Cependant, cette description concerne un univers musical déjà très commercial. Alors le commercial pour le commercial me direz-vous ? Je vous répondrai : un art n’entraîne pas l’autre.
De plus, il y a une question fondamentale de la visibilité. La danse que l’on voit dans notre quotidien est celle que nous renvoient nos écrans, et ces-derniers ne nous montrent plus que celle-là.
La question soulevée par cet article n’est pas tant une critique qu’elle est une interrogation éternelle sur l’art : la vulgarisation érode-t-elle la justesse de l’art ? Ou encore, l’art a-t-il besoin d’être élitiste pour être juste ? La réponse est, je crois -du moins je l’espère-, négative. La démocratisation a peut-être l’avantage d’entraîner des masses, de faire aimer la danse à des foules de personnes, pousser à la diversité. Cependant, cette démocratisation se produit à travers un prisme quasiment anti-artistique. Ce phénomène laisse donc entrevoir le spectre d’une danse standardisée qui rendrait hermétique aux jeunes générations la création indépendante (contemporaine).

Mais d’autre part, il faut souligner que la démocratisation populaire de l’art engendre souvent un contre mouvement quasi réactionnaire voulant rendre l’art à l’art. Ainsi, devant l’épidémie galopante de cette danse bling-bling, ne pourrait-on pas aussi voir fleurir de nombreuses créations-réactions ?
Enfin, dans quelle mesure ne peut-on pas voir ce phénomène comme un simple courant que la danse connaît en cette période, phénomène qui ne paraît pas éclipser des écrans les créations de qualité comme deux formidables films sur Pina Bausch en 2010, et qui semble aussi être une nouvelle source d’inspiration pour certains chorégraphes ? La compagnie Montalvo-Hervieu a par exemple fait de l’interaction image-danseur, et notamment le détournement dukitsch,  le fil conducteur de son œuvre, mêlant le tango au hip-hop comme le feraient ces émissions de télé.
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Il ne faut donc pas adopter une posture passéiste (après tout, chaque époque a eu ses danses « à la mode »), ni un point de vue de raciste social dénigrant une danse populaire en la voyant populiste.
Finalement, n’est-ce tout simplement pas là la représentation de la césure entre la danse qui aime être dansée par tous et la danse comme création-performance, supposée être plus artistique que l’autre?
Il faut juste prendre conscience que ce qui est commercial est beaucoup plus visible qu’autrefois tandis que ce qui est indépendant l’est toujours aussi peu. L’art, et la danse en particulier, n’échappe pas à cette révolution.
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Quoi qu’il en soit, Art ou pas, la danse est bien là sur nos écrans, prête à faire vibrer (ou pas) les téléspectateurs depuis leur canapé. Ferez-vous partie d’entre eux ?
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Sylvain Margot