PROFONDEURCHAMPS

Britpop et classes sociales dans l’Angleterre des années 1990

Lorsque Tony Blair arrive au 10 Downing Street en 1997, celui-ci prend les rênes d’un pays dont la culture a largement été ignorée, voire bafouée, sous l’ère conservatrice de Margaret Thatcher. Blair, nostalgique de l’Angleterre de son adolescence, celle des Beatles et des Stones, veut aussitôt redorer la culture britannique, longtemps écrasée par celle des Etats-Unis, à l’aide d’une vaste politique culturelle qui aide à sa préservation et à son expansion sur la scène internationale, ce qui lui vaudra le surnom de « Prime Minister of Pop ». Ce renouvellement, appelé « Cool Britannia », passe principalement par la musique; la Britpop secoue le pays depuis 1993 pendant ces années d’euphorie, dans le cadre de cette alliance politico-culturelle, qui transforma la culture populaire britannique dans son intégralité, à l’aube du 3ème millénaire.

Pour comprendre ce retour en force de l’identité culturelle britannique, il est nécessaire d’insister sur l’importance de la musique et de la place jouée par celle-ci au sein de la société de l’époque. La pop music avait progressivement vu la montée en puissance de la Britpop, un nouveau mouvement rock 100% British, principalement mené par des groupes comme Blur, Oasis, Pulp, The Verve, et plus encore, des groupes devenus en peu de temps de véritables icônes. Le rock était donc au coeur de ce renouvellement, car la société se tournait alors vers la jeunesse, véritable objet de culte, pour que Blair puisse faire du Royaume-Uni un « young country », prêt à faire face aux enjeux du 21ème siècle. Mais très vite, les textes et les thèmes traités par ces groupes en vogue relatent un certain héritage issu de l’ère Thatchérienne. Les valeurs traditionnelles furent peu à peu bousculées grâce à la politique menée par Blair (« Third way ») mais également par la Britpop, réduisant ainsi l’influence de la société de consommation, rouillée par un conformisme ambiant et paralysant les mentalités, ajoutée à la grandissante séparation des classes qui divisait la population de manière cruelle. A l’époque où John Prescott (Labour Party) proclame « we are all middle class now », ces clivages n’avaient alors plus aucun sens. Pourtant c’est un symbole que les musiciens utilisent à bon escient dans leurs chansons dans le but de critiquer ce système où la « working-class » continue d’affronter la « middle-class », qui elle-même s’oppose à l’« upper-class ».

Si d’un point de vue musical, la Britpop se différencie de la musique anglaise de la fin des années 1980 par un son plus pop et moins « Madchester » (marqué par la dance-music et le shoegaze), les paroles s’en éloignent également. Dès 1993, le deuxième album de Blur, « Modern Life is Rubbish », lance le mouvement, grâce à des paroles racontant le quotidien peu excitant de la « middle-class » britannique qui semble alors tourner en rond, en détaillant ses rêves et ses doutes dans la banlieue typique de l’Essex, où Damon Albarn (chant) et Graham Coxon (guitare) ont passé leur enfance. Leur chanson « Sunday Sunday » relate un dimanche ordinaire pour la plupart des familles britanniques, lorsque celles-ci se promènent dans les parcs ou se retrouvent autour d’un « Sunday roast ». Cette satire de la vie très routinière de la majorité des Britanniques devient rapidement la marque de fabrique de Blur. Leurs albums « Parklife » (1994) et « The Great Escape » (1995) continuent de narrer ces histoires de vies rangées et finalement très solitaires, à l’aide de morceaux tels que « Parklife », « Country House » et « Charmless Man ». C’est bien leur son, alors unique, qui rend ces histoires excitantes et pleines d’énergie dans cette Angleterre pourtant bien ennuyeuse.
.
 [youtube=http://www.youtube.com/watch?v=DqgXzPfAxjo]
.
Mais cette notion de classe sociale ne se retrouve pas uniquement dans leurs tubes, celle-ci divise également les groupes entre eux. Le 14 août 1995, la Bripop atteint son sommet, date de la sortie des deux nouveaux singles des  ses deux Rois, « Country House » de Blur et « Roll With It » d’Oasis. Cette rivalité pour atteindre la place numéro 1 des charts n’est pas une simple compétition commerciale, il s’agit avant tout d’une lutte entre Blur, représentant davantage les riches du Sud de l’Angleterre et Oasis, qui entretiennent fièrement leur image de prolétaires de la banlieue de Manchester. Cette différence de culture de classe surpasse sans précédent les divergences musicales des deux groupes, une opposition qui n’est pas sans rappeler celle entre les Beatles et les Stones dans les années 1960. Au final, c’est avec « Country House » que Blur sort vainqueur de cette bataille très médiatisée, sous le nom de « Battle of Britpop », un événement jamais vu depuis la moitié des années 1990.
 .
Cette division de l’Angleterre en différentes classes, alors phénomène de société, se retrouve aussi dans les textes complexes et profonds de Jarvis Cocker, leader du groupe Pulp, véritable « middle-class hero » également originaire du nord du pays. De même, l’album « Different Class », à la fois chef d’Å“uvre et succès commercial sorti en 1995, évoque les tensions entre classes sociales de manière ironique, tout d’abord dans son titre et plus spécialement dans ses tubes « Common People » ou « Disco 2000 ». Le premier raconte l’histoire d’une fille aisée fascinée par les classes populaires et souhaitant vivre comme tout le monde, ce qui permet à Cocker de se moquer violemment de ce « class tourism » alors fréquent en Angleterre.
 .
Ainsi, cette idéalisation de la « working-class » britannique est caractéristique des années 1990 et celle-ci eut un impact considérable dans la culture, où les classes les plus populaires affichèrent leur fierté d’appartenir à cette couche sociale, suite à des années de stigmatisation des ouvriers et des plus pauvres lors des mandats de Thatcher, la Britpop divorçant ainsi de l’« establishment » post-1980s.
 .
Marie Langlais

Un Commentaire

  • Posté le 14 May 2012 à 13:41 | Permalien

    Bravo Marie, excellent et bien documenté. On voit à quel point la musique est le reflet de notre société, ou vice et versa!!! Continue
    Isabelle