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Lars von Trier: le génie qui n’aimait pas les femmes

L’ouverture prochaine du 65ème Festival de Cannes s’annonce en même temps que les réminiscences de la dernière édition se dispersent. Dans cette 64ème édition, on se souvient que Lars von Trier s’est illustré tant par son magistral Melancholia que par ses propos antisémites. C’est l’occasion de revenir sur l’Å“uvre de la première persona non-grata du Festival en 2011 qui -non contente d’être seulement traitée d’antisémite- s’est aussi vue accuser de misogynie en 2009 avec la projection d’Antichrist, et affubler d’un prix anti-oecuménique.
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Pourtant de la misogynie, je n’en vois point dans son Å“uvre. De l’acharnement sur les femmes, ça ne fait pas de doute. Mais avant de rendre la femme démoniaque, puissante et destructrice dans Antichrist et – dans une certaine mesure- dansMelancholia, Von Trier la montrait fragile, martyre. Il la torturait et la sacrifiait dans Breaking the waves et dansDancer in the dark. Dogville est la transition entre cette image de femme abusée et humiliée, victime de l’homme et de l’humanité, et cette femme vengeresse qui prend sa revanche en détruisant tout sur son passage (Antichrist, Melancholia).
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A l’occasion de l’ouverture toute proche d’un 65ème Festival marqué par l’absence de femmes réalisatrices, il est intéressant d’analyser le rôle mutant de la femme dans le cinéma de Lars von Trier au cours des 15 dernières années comme le témoignage de certaines évolutions plus profondes.
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Il y a de la perversion chez Lars von Trier dans son traitement des personnages féminins, mais toujours avec une bonne dose de théâtralité. Il fait du cinéma à coup de chapitres, de prologues au ralenti et musicaux; il fait du cinéma pictural et musical. Lars von Trier est un maître. Et le maître ne s’acharne pas que sur les femmes: on l’a vu critiquer sans discontinuer l’Amérique en général sans pourtant n’y avoir jamais posé le pied, on l’a vu rendre les pauvres méchants et les idiots malins.
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Mais jamais une minute il ne laisse de répit aux femmes. Aucune ne s’en sort indemne. Si l’homme Lars est l’initiateur d’un porno féminin, le réalisateur Von Trier maltraite les femmes. Il s’acharne sur elles, les met en scène, sublimes actrices, pour mieux les détruire avant de les laisser en offrande sur l’autel de l’amour ou de les doter d’un pouvoir effrayant qui bouscule les peurs ancestrales de l’humanité. De Breaking the waves à Melancholia en passant par Dancer in the dark, Dogville et Antichrist, le cinéma de Lars von Trier est le cinéma d’un homme qui n’aimait pas les femmes.
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Dans les deux premiers volets de cette saga meurtrière dans laquelle (excepté Dogville où Grace survit pour le bien de la trilogie et Melancholia où ce n’est pas seulement les femmes mais la planète qui est détruite) tous les personnages féminins meurent de la main des hommes, Von Trier met en scène des femmes au cœur d’or, sacrifiées mais avant cela torturée, qui connaissent une minute de bonheur seulement pour que celui-ci leur soit enlevé et qu’elles soient ramenées à leur tragique destin.
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Breaking the waves: la femme comme otage sexuel
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Dans Breaking the waves (1996), Bess (Emilie Watson) est une jeune fille un peu naïve, qui vit dans une petite communauté du nord-ouest de l’Écosse au début des années 70 où règne l’obscurantisme religieux. Elle tombe amoureuse de Jan, un homme d’âge mur, qui travaille sur une plate-forme pétrolière en mer du Nord. Malgré les réticences de leur entourage, ils se marient. À peine ont-ils le temps de célébrer leurs noces, à peine Bess connaît-elle quelques jours de bonheur, que Jan doit repartir travailler. Bess compte les jours qui la séparent de son retour. Son innocence et sa foi l’aident à surmonter cette longue absence. Persuadée de communiquer avec Dieu, elle est convaincue que leur union est bénie.
Mais en mer, les conditions de travail sont difficiles: lors d’une manÅ“uvre délicate, l’un des tubes de forage se détache. Jan porte secours à Terry l’un de ses copains coincé sous une énorme masse métallique, mais il est assommé par un tuyau d’acier qui s’est décroché. Quand il reprend conscience à l’hôpital, Jan est paralysé et le diagnostic du médecin ne lui laisse aucune chance de recouvrer l’intégralité de ses moyens physiques. Condamné à rester allongé, il ne veut pas que Bess sacrifie sa jeunesse. Il la convainc de se donner aux autres hommes par amour pour lui. Bess accepte cette épreuve qu’elle juge divine et se soumet à cette volonté avec l’espoir de guérir Jan. Dès lors, elle veut offrir son corps au premier venu. Mais la communauté la rejette et seule sa belle-sÅ“ur Dodo tente de lui venir en aide. Elle lui fait rencontrer le médecin de Jan. Bess ne comprend pas le message du praticien et elle attend qu’il abuse d’elle. L’état de Jan s’aggrave. Exclue, Bess est la risée des gosses du village, qui lui jettent des pierres. Elle se prostitue et se rend à bord d’un cargo où les “filles” ne veulent plus aller. Dans la cabine, le capitaine et ses hommes la violent, lui font subir les pires sévices, dont elle mourra. Jan, miraculeusement sauvé , dérobe le corps voué à l’enterrement des maudits, et sur la plate-forme avec ses copains, l’abandonne de nuit à la mer. Sous le poids de la demande de l’homme, la femme se sacrifie, désespérée et finalement humiliée, l’otage sexuel étant une condition récurrente de la femme chez Von Trier, comme Grace dans Dogville et comme le personnage féminin d’Antichrist (mais dans la mesure de sa propre soumission à ses pulsions).
Dancer in the dark: les abus continuent
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Cette nature profonde de sacrifiée, on la retrouve chez Selma (Björk) dans Dancer in the dark (2000), sous la forme d’un nouveau genre auquel Lars von Trier s’essaie – la comédie musicale. Selma, une émigrée tchèque, ouvrière d’usine, élève seule Gene, son fils de douze ans ; sa meilleure amie est Kathy, une collègue émigrée, un peu plus âgée. Elle a de bonnes relations avec ses voisins, le policier Bill et sa femme Linda, et elle est courtisée par le gentil Jeff, à qui elle ne donne pas beaucoup d’espoir. Derrière cette vie banale, Selma cache un secret douloureux, qu’elle confie à Kathy : elle devient lentement aveugle et son fils, à moins d’une opération rapide et coûteuse, court le même danger. Pour cela, elle amasse la somme nécessaire, dollar après dollar. Elle trouve un peu de réconfort dans son goût pour les vieux films musicaux hollywoodiens et, comme elle voit mal, Kathy lui en mime les passages dansés, doigts de l’une dans la paume de l’autre. Toutes deux font également partie d’une troupe amateur qui monte “La Mélodie du bonheur” ; Selma y chante le rôle de Maria, la gouvernante. Selma a un autre don : fuir le quotidien douloureux dans une vie rêvée, où tout devient comédie musicale.
Mais son voisin Bill, qui a une femme dépensière et de gros ennuis d’argent, lui vole ses économies. Selma le surprend et, écrasée de désespoir, le menace avec une arme. Bill se laisse tuer et elle récupère son bien. Mais elle est arrêtée, jugée et, comme elle a refusé de se payer un bon avocat avec l’argent destiné à l’opération de Gene, elle est condamnée à mort. Dans sa cellule, elle chantonne un mélancolique “My Favorite Things”. Le jour où Selma va être pendue, Kathy, qui est là, avec tous ceux qui lui sont fidèles jusqu’au bout, lui apprend que Gene a été opéré avec succès et donne comme preuve à son amie les lunettes du garçon dont il n’a plus besoin.
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A nouveau, la femme est victime d’un monde où l’homme use et abuse d’elle avant de la laisser pour morte. Selma, pas plus que Bess, n’a le droit au bonheur qui l’a effleurée juste l’espace d’un instant.
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L’étape Dogville
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C’est dans Dogville (2003) que la transition s’exécute entre l’image d’un femme martyre et celle d’une femme destructrice. Dogville est au théâtre ce que Dancer in the dark est à la comédie musicale. Le film s’ouvre sur un cadre en plongé représentant un immense parquet noir sur lequel sont tracés des traits à la peinture qui dessinent le plan des maisons d’un village et le nom des rues. Quelques accessoires – une chaise par ici, un lit par là – suggèrent des éléments d’ameublement. Jean Luc Lacuve compare ce décor à un «jeu de Cluedo grandeur nature» ou un «jeu de société sur-dimensionné». Un carton annonce un prologue et neuf chapitres. Une voix off littéraire ouvre alors ce drame dans lequel la figure féminine souffre encore les maux de l’humanité. Le premier chapitre ne fait que décrire tous les personnages de ce drame comme on définit les protagonistes d’un jeu de rôle. Dogville est un lieu tranquille perdu dans les rocheuses, 15 adultes et 7 enfants y vivent. Le second chapitre relate l’arrivée de Grace (Nicole Kidman) comme une apparition divine, comme un trésor tombé du ciel dans ce village calme. Elle apparaît traquée, poursuivie par des gangsters. Blonde, belle, mystique. C’est cette beauté d’intouchable que Lars von Trier veut gâcher en la laissant aux mains sales des habitants. Tom, le porte-parole de la ville propose aux habitants d’accueillir Grace pour la protéger. Ils lui accordent 15 jours pour prouver sa sincérité. Tom propose alors qu’elle travaille pour eux en échange de leur hospitalité. Dans le troisième chapitre, personne ne veut l’embaucher mais elle est finalement acceptée après les 15 jours. Dans le chapitre 4, un policier vient troubler les jours heureux de Grace à Dogville en placardant un avis de recherche. Fin des jours de bonheur. Tom lui explique alors que sa valeur marchande a augmenté et qu’elle va devoir travailler double.
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Dans le cinquième chapitre, la fête nationale, le 4 juillet représente un moment important dans le film, signalant les ennuis qui arriveront et représentant la haine de von Trier pour les Etats Unis. Tom lui avoue son amour, mais le policier revient avec un avis de recherche différent: Grace est déclarée dangereuse. Transition.
Dans le chapitre 6, Dogville montre les dents, et la ville se fait le témoin du dérapage de la communauté, qui commence à abuser de la jeune femme. Les enfants vont trop loin, Chuck la viole, Tom n’intervient pas. La jeune femme commence à être humiliée, bafouée, exploitée puisqu’elle doit travailler doublement mais qu’elle ne parvient pas à remplir toutes ses tâches. Elle décide enfin de s’enfuir dans le chapitre 7 et se refuse à Tom. Celui ci la trahit et dénonce son évasion. Dans le camion qui devait la libérer, elle est violée par Ben et ramenée au village. Le huitième chapitre relate son esclavage. Elle est attachée par une chaîne, littéralement comme une chienne, à une roue de fer où elle subit les agressions sexuelles de tous les hommes du village. Elle est l’esclave des tâches domestiques et sexuelles. Tom finit par la dénoncer aux gangsters après l’avoir à son tour violée. Le neuvième chapitre est celui du coup de théâtre: le chef des gangsters est le père de Grace. Elle finit par se ranger de son côté et décide par vengeance la mort de tous les habitants, particulièrement cruelle avec la femme de Chuck qui a détruit ses poupées en promettant d’arrêter si elle ne pleurait pas. Elle lui fait subir le même chantage pervers avec ses enfants, tués sous ses yeux. Elle tue enfin Tom elle même.
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Dans Dogville, von Trier confirme sa fibre épique et son goût pour les fables sur l’humanité où la femme est sacrifiée sur l’autel de la société. C’est un film sur le manque de sens moral et le dernier chapitre qui sert de morale à l’histoire donne une leçon politiquement incorrecte sur la vengeance. Lars von trier va jusqu’à montrer l’exécution d’un bébé sans responsabilité dans l’exploitation de Grace. Seul le chien est épargné.
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Grace, condamnée au monde des gangsters car, par ses frustrations, le monde de l’humanité ordinaire se révèle plus terrifiant encore, devient un ange exterminateur tragique. Elle ressemblait pourtant à Bess dans Breaking the waves, à Selma dans Dancers in the Dark ou même à Karen dans Les Idiots, ces cÅ“urs-d’or selon les termes de Lars von Trier qui vont jusqu’au sacrifice. Seule la trahison de Tom empêche ici Grace de mourir sur son lit, enchaînée, et l’amène à prendre son destin en main. A la fin de Dogville, ange de la mort et femme vengeresse, elle est l’initiatrice de la femme démoniaque représentée par Charlotte Gainsbourg dans Anitchrist.
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Antichrist: parachèvement de l’image de la femme destructrice 
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Dans Antichrist (2009), Lars va plus loin que jamais dans son approche d’un monde injuste où la femme est symbole de destruction et d’avilissement. A son habitude, il traite le film en chapitres. Dès les premières minutes, le couple atteint l’orgasme au moment où l’enfant se defenestre. Elle (Charlotte Gansbourg) laisse donc symboliquement son enfant mourir pour mieux se consacrer à son plaisir: le sexe est là encore placé comme la déchéance, le manque de vertu de la Mère. Le changement est que cette fois ci la femme n’y est pas soumise par l’homme, mais par ses propres penchants hystériques.
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La première partie du film traite de l’effondrement de la mère, femme malheureuse, torturée par son péché originel qui lui a coûté la vie de son fils, représentation de l’innocence. Elle devient la patiente de son mari, soumise comme les autres héroïnes à la domination masculine, victime d’elle même. Tandis qu’il cherche la cause des peurs de sa femme en résistant à ses excessives et violentes tentatives sexuelles, il trouve une cause à son profond mal être: cela s’est produit à Eden, leur refuge dans la montagne, où elle lui reproche de l’avoir laissée seule tandis qu’elle écrivait sa thèse. Il essaie de comprendre les peurs de sa femme, concentrée dans la représentation de la forêt. Le premier chapitre se clos sur la représentation d’une biche mettant bas son petit, qui reste accroché à elle tandis qu’elle s’enfuit.
Dans le deuxième chapitre, des airs de fin du monde envahissent la scène, des glands, des sangsues, les envies sexuelles violentes de la jeune femme, des souvenirs lointains de l’enfant. Elle se dit pourtant guérie par les jeux thérapeutiques que son mari lui fait exécuter, mais elle fuit à nouveau lors d’une promenade et il découvre alors une renarde qui déchire la poche de placenta de son nouveau né avant de prévenir «le chaos règne». La renarde marque la fin du deuxième chapitre, parallèle à la biche clôturant le premier chapitre.
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Dans le troisième chapitre, il découvre la documentation de sa femme pour sa thèse concernant la répression des pratiques de sorcellerie menée par les hommes contre les femmes accusées d’être des sorcières. La thèse, d’abord menée avec application, devient ensuite incohérente puis illisible, tout comme le film à ce moment là. En exécutant un jeu avec sa femme, il découvre que ce qui l’effraie encore plus qu’Eden, c’est Satan. Elle découvre les papiers de l’autopsie de leur fils, et il lui dit que cela n’a rien révélé outre une malformation du pied. Il prend alors conscience d’une chose étrange sur une photo: la chaussure gauche de leur fils est mise au pied droit, et la droite au pied gauche. Il se demande alors si sa femme a volontairement torturé leur fils. Tournant de folie dans le film; la femme le découvre et prise de rage, elle se révèle sorcière. Toujours animée de désirs sexuels, elle cogne néanmoins le sexe de son mari avec une masse en bois, et alors qu’il est inconscient, elle le masturbe pour en faire jaillir du sang. Elle lui perfore ensuite le mollet avec une perceuse et fixe une meule à la jambe de son mari avec un écrou qu’elle serre à l’aide d’une clé qu’elle jette sous la maison. « Le chaos règne », la folie s’empare du film en un film d’horreur aux airs de porno trash.
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Quand il se réveille, l’homme parvient à se traîner jusqu’au terrier du renard. Là, c’est une maman corbeau qui met bas, cette fois. Elle crie, alertant la femme qui l’enterre alors vivant en glissant une pierre devant l’entrée. Repentante, elle vient cependant le sortir de son tombeau de terre. Elle l’oblige alors à la masturber, puis elle tente de le tuer avec une paire de ciseau pour finalement se mutiler elle même en se coupant le clitoris. Il profite de l’évanouissement de sa femme pour récupérer la clé et se libérer de la meule. Il la tue alors. Ouverture du chapitre IV.
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En se réveillant de son combat avec Elle, il aperçoit la constellation des trois mendiants évoqués dans la thèse et qui forment le nom des trois premiers chapitres du film: le deuil, la douleur et le chagrin. Ils sont représentés par les trois animaux femelles ayant mis bas, signe de cette malveillance féminine, cette cruauté chez la mère qui détruit son enfant: la biche, le renard et le corbeau. Il brûle alors son épouse avec le chalet et s’en va dans la forêt, où apparaissent les corps des femmes brûlées pour sorcellerie. L’homme est encore venue à bout de la femme-sorcière par le feu. Tout le monde est content.
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Vient ensuite l’épilogue: ralenti, noir et blanc, musical comme le prologue. Il arrive triomphant au sommet d’une colline où les femmes viennent à lui. Dans Antichrist, la femme va au bout des forces du mal que de tout temps les femmes ont porté en elles et que poussées à bout, elle peuvent déchaîner. Le film est l’histoire d’un combat dans l’Eden entre l’homme divin (ressuscité sous la pierre) et la femme diabolique (brûlée dans le bûcher improvisé de la cabane). Le film est la représentation symbolique d’un combat entre le père et la mère. Dans Antichrist, la maternité est désacralisée, rendue laide, loin de l’innocence de laquelle elle est considérée incompatible par l’image de la biche enfantant en fuyant, du renard agressif avec la poche de placenta, et le bébé corbeau reprenant le combat abandonné par sa mère tuée. Enfin, surtout, par l’image de la mère infanticide torturant l’enfant et responsable de sa mère lorsqu’il finit par tomber de la fenêtre – sans doute en raison de la malformation au pied créée par sa mère – alors que celle ci jouit.
Alors misogynisme peut-être, partiellement, par ce sentiment de peur ancestral des femmes sorcière, maîtresses de la maternité et du mal, image d’un diable féminin face à un dieu masculin. Cependant la femme se révèle ici capable d’un jusqu’au boutisme satanique qui en fait un être plus puissant que l’antichrist masculin.
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La femme-Cassandre dans Melancholia
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Melancholia (2011), enfin, signe le dernier morceau d’une violence croissante chez la femme. Kirsten Dunst n’est pas belle en Justine. Elle est effrayante, attirante mais effrayante. Von Trier la pose sans équivoque comme cette femme destructrice, qui détruit son propre mariage, son propre monde en la représentation de son mari et de son travail, et qui plus tard, sera en phase avec la destruction du monde. La femme, en la personne de Justine, est une créature qui vient annoncer la fin du monde. Claire (Charlotte Gainsbourg) représente à tour de rôle avec Justine cette faiblesse féminine, cette angoisse profonde de l’être-femme, cette crainte, proche du monde détruit plus que de la force destructrice elle même. Claire est le revers de Justine comme Melancholia est inexorablement le revers d’un monde paisible. Melancholia, c’est le combat des deux femmes de von Trier, la puissante et la sacrifiée. Quand l’une faiblit, l’autre se redresse, fière et femme. Et dans ce drame de science fiction en deux chapitres, magistral, c’est la destructrice Justine qui triomphera.
Dans son traitement si particulier du monde, des femmes, des hommes et de la mise en scène, Lars von Trier est un génie. Car il a beau les malmener, les femmes en demandent encore. Il a offert à deux de ses actrices, par des rôles si particuliers et torturés, la palme d’interprétation féminine. Et Kirsten Dunst disait il y a un an, que Lars est le seul à offrir aux femmes des rôles comme ceux là: «on peut être vulnérable, folle, étrange et faire ce que l’on veut. C’est une liberté qui fait peur mais qui donne du courage». Le spectateur aussi, bien qu’il ait la migraine ou la nausée à la fin d’un film de Lars von Trier (excepté peut être Les Idiots), en redemande. Aimer Von Trier, c’est aimer être malmené au cinéma, voir l’injustice triompher sur le bien.
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Von Trier est un artiste qui manie les genres, de la comédie musicale à un cinéma-théâtre: Dogville en est un exemple flagrant. Si le dispositif théâtral peut dans ses premiers moments laisser supposer qu’il recherchera à y parvenir par la distanciation, on est cependant bien vite détrompé. Certes, tout, dans le début de film, concourt à l’amusement. On sourit de l’attention des acteurs à ouvrir des portes que l’on ne voit pas, mais dont on entend le bruit ; au bruit des pas sur le gravier invisible, à la figuration à la craie de groseilliers qu’il faut éviter de piétiner. Mais bien vite on bascule dans le romanesque et le symbolisme. Mais ce dispositif, loin de mettre à distance décors et personnages, accélère au contraire l’effet d’identification.
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Quand Melancholia s’ouvre sur Wagner et sur des images au ralenti dans un prologue sublime, on frissonne déjà. Mais son tour de maître est selon moi le si critiqué Anti-christ, dans lequel on passe du drame psychologique au thriller, du thriller à la science fiction en passant par le porno sans une seule fois se perdre.
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Je dois être masochiste, mais j’en veux encore.
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Coline Aymard

2 Commentaires

  • Posté le 14 May 2012 à 12:36 | Permalien

    Analyse très intéressante et partagée, j’aime définitivement être maltraitée par LVT. Un bémol pour la route : pourquoi avoir décrit aussi minutieusement les films ? Ceux qui pourraient être intéressés par la thèse n’auront plus grand chose à découvir …

  • Posté le 3 August 2014 à 11:54 | Permalien

    pas vraiment d’accord avec cette analyse, pour moi Von Triers n’est pas misogyne mais misanthrope plutôt, et ses films parlent surtout de la folie du monde, et comment la société peut rendre les hommes et les femmes fous, en projetant sur ces dernières le péché etc etc un cineaste des conséquences du puritanisme… entre autres