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Entretien avec Amanda Hodgkinson : Sur la genèse de “22 Britannia Road”

1939 Pologne. // 1946 Ipswich, Angleterre.

Entre ces deux dates, sept années ont passé. Sept années pendant lesquelles Janusz et Silvana, jeunes mariés polonais, sont restés sans nouvelles l’un de l’autre, chacun tentant de survivre aux tragiques évènements de la Seconde Guerre Mondiale.

Face à l’invasion allemande, Silvana est contrainte de quitter la Pologne avec son nourrisson Aurek et disparait dans les forêts d’Europe de l’Est, où elle est témoin des atrocités commises par les Allemands. De son côté, Janusz, unique survivant du massacre de son unité militaire, fuit en France et tombe amoureux d’une jeune paysanne. Malgré la puissance de sa passion, il se résout néanmoins à la fin de la guerre à partir à la recherche de sa femme et de son fils qu’il finit par retrouver dans un camp de réfugiés. Ensemble ils tentent de reconstruire leur vie à trois et emménagent 22 Britannia Road à Ipswich, à l’Est de l’Angleterre.

Mais comment imaginer une vie ensemble après tant de temps et tant d’épreuves qui ont altéré de manière irréversible l’identité de chacun ? Les secrets d’un passé douloureux pèsent sur les relations au sein de la famille meurtrie. Janusz et Silvana ne reconnaissent plus en l’autre la personne tant chérie avant l’éclatement du conflit. Janusz peine à croire au fond de lui qu’Aurek, cet enfant sauvage élevé dans la forêt, est le bébé qu’il a vu naître.

A travers son premier roman, Amanda Hodgkinson dépeint de façon poignante la lutte intérieure entre volonté d’oublier et besoin de vérité dans le processus de résilience et de dépassement du traumatisme de la guerre. Avec un sens de la narration remarquable, elle entraine le lecteur dans un formidable récit où les thèmes de vérité, survie et rédemption sont omniprésents.

Depuis sa première parution en avril 2011, 22 Britannia Road a reçu les louanges unanimes de la critique littéraire en Europe et aux Etats-Unis. A l’occasion de sa publication en France le 18 octobre 2012, Amanda Hodgkinson a accepté de revenir sur la genèse de son premier roman.

D’où vous sont venues l’inspiration et l’envie d’écrire l’histoire de cette famille polonaise rescapée de la Seconde Guerre Mondiale ?

J’ai commencé à réfléchir sur l’intrigue de ce roman quand j’ai entendu à la radio l’interview d’une femme polonaise. Cette dernière racontait son enfance durant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’elle se cachait dans la forêt et était réduite à manger de l’écorce de bouleau à cause du manque de nourriture. Une image dans ma tête m’a alors frappé, une femme dans une forêt de bouleaux. J’ai écrit une série de poèmes autour de cette image et dans ces poèmes, un garçon a fait son apparition. Les deux personnages m’intriguaient et la seule façon pour en savoir plus était de continuer à écrire…

Pourquoi avoir choisi comme titre l’adresse de Silvana et Janusz en Angleterre? Pourquoi 22 Britannia Road en particulier ?

Lorsque j’ai commencé à penser au titre de mon roman, mettre la maison en avant m’est apparu évident. Je voulais une adresse typiquement anglaise, un peu comme rue Victor Hugo en France. Avec ses connotations à l’identité nationale et la fierté britannique, Britannia Road symbolise une nouvelle vie et un nouveau pays pour Janusz. Cette adresse manifeste ainsi le sentiment de déracinement de Janusz, Silvana et Aurek, étant une famille d’immigrés dans une petite ville en Grande-Bretagne en 1946.

Les personnages de mon livre ont besoin de trouver un sanctuaire, un refuge. En anglais, le mot ‘home’ est très important dans un terme physique, psychologique et métaphorique. ‘Home’ est un petit mot qui détient en lui-même des significations diverses. Changer une lettre et vous avez le mot ‘hope’. Janusz, Silvana et Aurek espèrent construire un foyer et une vie ensemble.


Quelles recherches avez-vous effectué en amont de la rédaction?

J’ai lu des livres d’histoire sociale sur la guerre et la période d’après-guerre, ainsi qu’un grand nombre de témoignages sur les expériences des immigrants polonais. J’ai également lu des poèmes écrits par de merveilleux poètes polonais comme Zbigniew Herbert et Tadeusz Rózewicz. J’ai étudié les contes polonais et les classiques de la littérature polonaise du XIXe siècle et du début du XXe siècle.

C’était aussi l’occasion de découvrir une musique très populaire en Pologne durant les années 30, le tango. J’ai ainsi écouté de nombreux extraits fabuleux sur YouTube et cela m’a permis de me transporter dans les années 30.

Je me suis plongée dans les livres, la musique et la littérature de cette période et puis je me suis arrêtée. J’ai mis de côté toutes mes recherches et ai laissé libre cours à mon imagination.

Justement, comment conjuguer respect de la vérité historique et imagination dans une œuvre de fiction ?

C’est une question intéressante. Dès le départ l’idée était très claire dans ma tête, je voulais écrire une Å“uvre de fiction, et non pas un livre historique. Je crois qu’un roman doit être pertinent pour le lecteur contemporain. Il faut respecter le contexte historique et produire un effet du réel, mais l’imagination occupe la place la plus importante. Un roman est avant tout une histoire qui examine notre état d’humanité.

La révélation du passé de Silvana, si anticipée, n’en est pas moins choquante pour le lecteur, comment avez-vous pensé son écriture et son insertion dans le roman ?

Je ne voulais en aucun cas tromper le lecteur sur les personnages, de plus je ne voulais pas choquer le lecteur avec quelque chose de trop surprenant. J’espérais que la découverte du secret de Silvana serait un moment où le lecteur comprend enfin les réactions et façons d’être de Silvana avant la révélation, ainsi qu’un moyen de prendre conscience de l’amour qu’elle porte à son fils.

Malgré la morosité prégnante de votre ouvrage, vous offrez à vos lecteurs une fin optimiste sans être irréaliste. Avez-vous réfléchi longuement à la manière de clore l’histoire des Novak ?

Oui, beaucoup ! Je savais que je voulais que les personnages trouvent quelque chose de bon dans leur vie. Pour moi le roman n’avait qu’une seule fin possible, enracinée dans l’espoir et l’amour compliqué d’une famille.

Comment appréhendez-vous la réaction de vos lecteurs ?

J’ai été ravie par les réactions positives à l’égard de mon livre. Lorsque j’ai écrit 22 Britannia Road, je me suis dit qu’il pourrait bien se vendre en Grande-Bretagne mais je n’aurais jamais cru que le livre serait publié dans des dizaines de pays différents à travers le monde. Et encore moins qu’il serait nommé pour des prix littéraires, ainsi qu’en gagner.

C’est un sentiment incroyable quand quelqu’un m’écrit ou me parle de mon roman. Je pense sincèrement que la littérature est un formidable moyen de communication.

Vous êtes en pleine écriture de votre second livre. Le processus de rédaction est-il différent ? Que pouvez-vous nous dire sur ce dernier ?



Chaque roman présente des problèmes différents pour un écrivain. Mon prochain roman est appelé The River Gods. C’est l’histoire entre deux sœurs et je n’en dirai pas plus pour l’instant !

                                                                                                         

Entretien réalisé par Justine Mesnard

Retrouvez Amanda Hodgkinson sur son site: www.amandahodgkinson.com

Un Commentaire

  • Posté le 23 October 2012 à 15:24 | Permalien

    Cet entretien donne l’envie de lire ce roman!!