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“Paradis”, pari électronique français

La définition du genre pour les musiques électroniques est une question plus qu’épineuse. Le foisonnement de projets, de productions, et de réappropriations des créations d’autres rend l’exercice quasiment impossible car tous les jours, voire toutes les heures, les frontières qui distinguent ambient, electronica, experimental, indus (et tant d’autres encore) sont élargies et revisitées.

C’est ce foisonnement qui rend les musiques électroniques aussi passionnantes et insaisissables : en perpétuelle mutation et réinvention, personne ne peut prétendre les connaître totalement (et je n’ai aucunement cette prétention).
Mais cette production pléthorique constitue paradoxalement la principale faiblesse des créations électroniques : la jeunesse d’un ‘son’ semble être devenue, pour beaucoup, l’unique autorité établissant sa qualité. Je suis convaincu que la course à la « dernière pépite » nuit à l’appréciation réelle de la richesse de ce type de musique dans sa globalité.

Pour illustrer ce propos il me suffit de citer l’album d’Acid House Synthesizing : Ten Ragas to a Disco Beat de Charanjit Singh, qui date de 1982. J’ai découvert récemment (grâce aux recommandations avisées d’un ami) ce projet vieux de trente ans, et il me semble que la modernité et l’inventivité musicale qu’il concentre démontrent bien la nécessité de savoir regarder « vers une période passée ou un pays éloigné ».

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=NUqnPYwoiF4]

Subséquemment, je veux ici appliquer cette démarche en parlant d’un projet qui ne se distingue pas par l’immédiateté de sa création mais par son originalité : Paradis. Comme je l’ai dit précédemment, il serait vain de tenter de les rattacher à un genre précis, exercice particulièrement difficile pour ce duo parisien.

Souvent, lorsque des créateurs de musique électronique décident de composer en français, ils se contentent de superposer le texte à leur track. De nombreux exemples, allant de Petits charmes (Le Poème) de Renart à Bora (Vocal) de Rone, illustrent ce fait : si l’on ose un texte déclamatoire, il est nettement plus rare que cette partie en langue française soit mélodique, et complète la musicalité d’une piste.
Je parle bien ici de musicalité, pas d’une voix filtrée balançant des paroles pseudo-lyriques d’une rare pauvreté comme Sydney Valette a pu le faire avec Frustrations Oniriques ou Variation Allchimique, qui n’ont absolument rien de mélodique.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=XjvE2dApto4]

Pourtant, cette complémentarité entre sonorités électroniques et voix mélodique en français est démontrée par les deux singles de Paradis.
Dans le premier, une des deux pistes propose cette démarche originale : le texte de La ballade de Jim d’Alain Souchon est repris et interprété d’une voix aérienne, simple et lancinante.
Dans leur seconde réalisation, aussi bien Hémisphère que Je m’ennuie s’adonnent à cet exercice. Le résultat est probant. La combinaison d’un son au beat simple, superposant des mélodies et des envolées sobres, s’entremêle avec la fragilité douce de la voix. Et, de cet entremêlement, résulte une musique mélancolique, rêveuse, planante.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=9OkN1m4AgIY]

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Arthur Godard

5 Commentaires

  • Posté le 2 November 2012 à 14:27 | Permalien

    Ten Ragas to a Disco Beat de Charanjit Singh, la bombe atomique de 1982.

  • Posté le 2 November 2012 à 14:43 | Permalien

    N’oublions pas que “La Ballade de Jim” est (comme la plus part des musiques d’Alain Souchon) composée par notre ami Laurent Voulzy. Ce qui est fascinant, c’est que Paradis arrive à dégager la même légèreté et la même mélancolie que ce compositeur HORS NORME!
    Respect.

  • Posté le 8 November 2012 à 07:02 | Permalien

    l’electronica est un terme que les journalistes ont inventé pour catégoriser tout un pan de la musqiue qu’il ne comprennait pas. En fait, ca ne veut rien dire.

    • Posté le 8 November 2012 à 10:54 | Permalien

      Je suis plutôt d’accord, et c’est ce genre de tentative “d’enfermer” une production musicale dans un genre flou que je critique. Tenter de distinguer electronica et IDM par exemple est un exercice qui montre bien la futilité de cette notion de “genre”.
      Arthur

  • Posté le 1 September 2013 à 17:15 | Permalien

    Paradis, on dirait du Seelenluft : http://www.youtube.com/watch?v=eew6T2Qy6kc