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“Skyfall” : 007 entre retour aux sources et quête d’identité

Le nouvel opus de l’agent secret britannique est déjà assuré de triompher au box-office, mais qu’il nous soit tout de même permis d’émettre un avis critique sur un film dont la promotion fut déjà assurée en amont par les vendeurs de montre et les enseignes de mode !

Ecrivons-le tout net : le film n’est certainement pas ennuyeux, et il est même stimulant. Depuis le choix de Daniel Craig en 2006 comme colosse blond aux allures de bûcheron russe (un rôle où il est plus convaincant dans Defiance [1]), les tentatives de James Bond se sont soldées par un demi-succès et un échec : Casino Royale, sympathique, réinventait le personnage, plus complexe et plus torturé, mais péchait par quelques longueurs inutiles. En revanche, Quantum of Solace, avec son scénario en roue libre et ses lassants effets spéciaux, semblait avoir porté à l’écran un jeu vidéo. Skyfall renoue avec les fondamentaux du genre, en ne faisant toutefois que les effleurer : la course poursuite à moto sur les toits, le verre de Whisky,  le casino mafieux, l’Aston Martin, la femme fatale, limitée à une brève apparition…

La réalisation est particulièrement soignée, mais après quelques intuitions prometteuses de complexité dans le scénario, tout devient simple, quitte à faire l’impasse sur les mobiles du méchant, pour qui les enjeux de pouvoir semblent passer après la volonté de revanche, mêlé à un ambigu amour déçu envers M.

Tandis que James Bond, victime d’un « tir ami », passe pour mort, suite à une mission avortée en Turquie, M, l’inexpugnable patron du MI6, est sous le coup d’une commission d’enquête parlementaire pour avoir laissé des terroristes s’échapper avec la liste des agents infiltrés de l’OTAN. C’est alors qu’entre en scène Silva, ancien agent du MI6 livré aux Chinois lors de la rétrocession de Hong-Kong à Pékin, assoiffé de vengeance envers ses anciens employeurs. Si Judi Dench est parfaite en chef des services secrets froidement déterminée, Javier Bardem surjoue le terroriste-caméléon, dont la tignasse blonde fait penser à Julian Assange, le cyber-« terroriste » actuellement cerné dans l’ambassade de l’Equateur à Londres, et que la police de Sa Majesté fait surveiller pour la somme de 65 000 euros par jour.

Saluons dans ce film la volonté de se rapprocher de l’univers des romans du père de James Bond, Ian Fleming, pur produit de la haute société anglaise, journaliste et écrivain, ayant participé à la Seconde guerre mondiale au sein des renseignements de la Royal Navy. On redécouvre les origines de James Bond, issu d’une vieille famille écossaise catholique réticente à la Réforme, dont la devise en latin est Orbis non sufficit, « Le monde ne suffit pas », fils de Sir Andrew Bond of Glencoe, et de la Suissesse Monique Delacroix.

Ce nouveau James Bond surprend également par sa symbiose avec l’état actuel du pays qu’il sert. Le déclin physique de 007 dans le film, usé physiquement et moralement, accompagne la perte de vitesse du Royaume-Uni, pays qui pourrait bien perdre l’Ecosse tentée par l’indépendance d’ici 2014 ; vieille puissance impériale dépassée face aux nouvelles menaces terroristes sans visage, et qui se laisse frapper en plein cœur de Londres. C’est le seul moment de Skyfall où la réalité dépasse la fiction. La tirade de « M », en pleine audition parlementaire, prend des accents lyriques, et récite les vers du poète victorien Alfred Tennyson, en guise de constat lucide sur la situation de l’orgueilleuse Angleterre :

We are not now that strength which in old days

Moved earth and heaven; that which we are, we are;

One equal temper of heroic hearts,

Made weak by time and fate, but strong in will

To strive, to seek, to find, and not to yield.

Ne pas céder. Même fragilisée, tel le bouledogue en porcelaine sur le bureau de M, la Grande-Bretagne a toujours le plaisir de voir son héros national triompher de l’adversité à l’écran, et peut sortir du film avec une fierté patriotique intacte. Les nations vivent de mythes partagés, y compris à l’aube de ce XXIe siècle si déniaisé. Voilà pourquoi le poppy, coquelicot commémoratif du 11 novembre, est toujours porté à la boutonnière des Britanniques, alors que la majorité des Français a oublié l’existence du Bleuet de France.

Pierre Jovanovic


[1] Traduit en français par Les insurgés, sorti en 2008 : Craig incarne le franc-tireur juif Tuvia Bielski ayant monté un maquis entre la Pologne et l’Union soviétique pendant la Seconde guerre mondiale. Une grosse machine hollywoodienne qui manque de souffle et passe à côté d’un récit passionnant, mais où le héros principal s’en tire convenablement. 

3 Commentaires

  • Posté le 4 November 2012 à 19:00 | Permalien

    “amour déçu envers M”, euuuuh, je crois que nous n’avons pas vu le même film..

  • Posté le 14 November 2012 à 20:06 | Permalien

    J’ai vu le film et je l’ai beaucoup apprécié. Je suis en terminale L et je voudrais savoir comment ce poème que je trouve magnifique a été traduit en français car je m’en souviens plus ! :/
    Merci d’avance pour les réponses 🙂

    • Posté le 23 February 2013 à 16:49 | Permalien

      Voici la traduction faite dans le film, lorsque M clôture son intervention à la commission de défense :
      “Si nous ne sommes plus aujourd’hui cette force
      Qui jadis remua ciel et terre ; ce que nous sommes, nous le sommes ;
      Des coeurs heroiques d’une même trempe,
      Affaiblis par le temps qui passe et la fatalité, et forts par la volonté
      De lutter, d’explorer, de découvrir et de ne rien concéder.”