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La semaine du cin̩ma de Sciences Po РComp̩tition de courts-m̩trages : Jour 1

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Les deux premiers courts-métrages en compétition (diffusés en amphithéâtre Jean Moulin, à Sciences Po) :

MURS BLANCS, PEUPLES MUETS, Dounia Georgeon

Lundi 18 février, 19h15 – suivi de “Hiroshima Mon Amour“, Alain Resnais

« Que Dieu te maudisse, Ben Ali. Tu nous as tout pris ! ». Le film commence par ces quelques mots, criés par un chauffeur de taxi, ancien entrepreneur, qui prend le spectateur à partie pour exprimer son ressentiment vis-à-vis de l’ancien président tunisien, destitué en 2011. C’est ce même sentiment, mélange de colère et de déception, qui anime Melen, Ismat et Hafedh, trois tagueurs que la caméra de Dounia Georgeon va suivre au quotidien dans la Tunisie post-Ben Ali.

MUR-BLANC-PEUPLE-MUET

Nous sommes quelques mois après la révolution, les artistes ont envahi l’ancienne résidence de la belle-famille du couple présidentiel, ils la retapissent de leurs mots, des insultes souvent, mais aussi des messages d’espoir pour l’avenir du pays. Maintenant que Ben Ali est parti, tout est permis, on pourrait presque tagguer des mosquées. « Si jamais il revient dans sa maison, il sera choqué » nous explique un des protagonistes.

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Au travers de leurs mots et de leurs actes, c’est toute la question du sens de « la Révolution » qui est posée. Comment la continuer aujourd’hui, deux ans après son déclenchement, comment lui redonner un sens, et comment la terminer ? Pourtant, lors de leurs nombreux voyages en voiture, Melen, Ismat et Hafedh repensent au mois de janvier 2011 : à cette époque, «il y avait 12 millions de tagueurs». La volonté de changement s’affichait sur les murs. On ressent, en fond, une nostalgie, déjà, de ces temps où tout le monde se battait, comme si les espoirs engendrés étaient restés lettre morte. Pourtant le combat continue. Et si chaque jour la police vient effacer les graffitis, les tagueurs reviennent le lendemain : c’est à celui qui lâchera le premier. La caméra, elle, se fait discrète. Elle capte souvent des regards, des gestes, des sourires aussi. Mais aussi la solitude de ces rebelles qui espèrent qu’on les écoute et qu’on les lise dans une Tunisie qui a encore la gueule de bois.

Eliott Khayat

                                                     

HANDS HOLDING A VOID, Samuel Boujnah

Lundi 18 février, 14h45 – suivi de Lenny, Bob Fosse

La main est l’un des thèmes récurrents de Hands holding a void. Les mains ce sont celles, nerveuses, d’une femme enceinte serrant son ventre rond. Mains de l’enfant creusant le sable, et mains de terre comme des flash cauchemardesques qui se tiennent entre sa mère et lui. Ce sont aussi les mains d’une femme qui vieillit, et celles d’un cadavre. La main du temps et son œuvre sur les corps. Hands holding a void, c’est le fantasme et le souvenir qui se tiennent par la main pour parler de l’étrangeté du rapport à l’enfance.

L’autre obsession de Samuel Boujnah dans Hands holding a void, c’est la mer(e). La séquence d’ouverture est blanche – blanche comme la pureté, le lait maternel et la douceur de l’enfance. Blanc est le tissu sur lequel se pressent les mains de la mère, et blanc est celui duquel l’enfant est prisonnier et tente de s’échapper dans la séquence qui suit. L’enfant, en transparence du blanc vaporeux, cherche une issue. Belle métaphore de la naissance. Lorsque enfin il en sort, il y la a mer sur le côté gauche, et la Mère devant. Mer(e)s intarissables dans le grand paysage de l’inconscient.

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Surgit alors la main étrangère, sombre préface des tourments à venir. On pourrait se demander si cette main-totem, cette main-boue, cette main-morte est le produit étrange et incongru d’un film expérimental qui se perd dans ses propres symboles. Il me semble à moi que rien n’est laissé au hasard par Samuel Boujnah. Hands holding a void est la lumière de génie d’un réalisateur qui creuse dans le sable les souvenirs perdus, mêlant la terre et l’eau, la boue et le sable, la mer et la Mère. De la plage à la forêt, les souvenirs de l’enfance sont malléables – oscillants entre fiction et réalité – comme cette statue que l’enfant crée, ou plutôt que l’adulte restaure, dans une recherche qui prend tour à tour la forme d’un cache-cache enfantin et d’une course poursuite désespérée après le temps.

Enfance, vieillesse, cycles et fantasmes: tels sont les maîtres-mots de Hands holding a void, le tout tourné dans une lumière onirique et une atmosphère joliment mélancolique.

Coline Aymard

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