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« Ita L. née Goldfeld » : le déchirement d’Hélène Vincent

Elle est seule en scène, pendant une heure. Sur cette scène du Petit-Saint-Martin, un peu en contrebas du public, large, si proche des yeux du spectateur pourtant. Elle est là, chétive, mais bien sur ces deux jambes, tiraillées par le dilemme : fuir ou se laisser déporter ? Nous sommes en décembre 1942, Ita a trois enfants : Léon, Hannah, qui ont fui dans le sud, et Jacques, envoyé à Drancy quelques jours plus tôt. Son mari, Salomon, est mort il y a bien longtemps, après la Grande Guerre, rongé par les gaz des tranchées. Elle est seule, désormais. Et des jeunes miliciens viennent de passer chez elle, pour l’arrêter. Ils lui ont laissé une heure pour se préparer à partir, et sont sortis. C’est cette heure-là, décisive, que la pièce nous propose de vivre. Reviendront-ils ? Lui ont-ils laissé une heure pour l’épargner ? Auraient-ils eu pitié ? Ita doit-elle fuir ? Ou accepter de rejoindre Drancy dans l’espoir de retrouver son fils Jacques ?

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Le propos d’Eric Zanettacci est classique, déjà vu mille fois, et n’échappe pas toujours à quelques idées convenues, mais de cela naît aussi une fraîcheur étonnante. On voit rarement l’horreur de ces temps de cauchemar dans la plus simple incarnation de leur réalité humaine. Et ici, grâce à la prestation incroyable d’Hélène Vincent, c’est tout l’abysse de souffrance de cette femme que l’on ressent, sans détour. Le récit mêle les questionnements de l’instant (le terrible dilemme, l’angoisse qui noue le ventre d’Ita) aux souvenirs d’une vie de famille parfois heureuse, à Odessa, avec Salomon et les enfants. Le sourire d’Hélène Vincent, rempli de larmes et porté par des yeux fatigués, nous fait imaginer cette vie quotidienne, à l’odeur des bagel sur les rives de la Mer Noire ; ses sanglots vous brisent le cœur quand elle raconte les atrocités commises par les Russes, là-bas, dans son pays qu’elle a fui. C’est toute la persécution d’un peuple qu’Ita incarne de sa pâleur.

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La mise en scène de Julie Lopes-Curval, très épurée, souligne bien les passages d’un état à l’autre, par de subtiles jeux de lumière et des déplacements calibrés dans l’espace. La meilleure idée de mise en scène est sans doute de passer au style indirect (Ita se met à lire sa propre histoire) quand les faits rattrapent le récit, et que la milice entre dans l’appartement.

Un moment de théâtre poignant, en communion avec ce personnage à qui Hélène Vincent donne vie. Pleinement et absolument.

60 représentations exceptionnelles – Théâtre du Petit St-Martin – 19 heures du mardi au samedi, 15 heures le dimanche – 25 €

Quentin Jagorel