PROFONDEURCHAMPS

Je vous en ressers une petite coupe ?

Doha dans l’oeil (épisode V)

Lire épisode IV

Abu Nuwâs, contemporain de Charlemagne, fut un des plus grands poètes arabes de son temps. On lui doit de fameux vers comme :

Dis-moi : « voilà du vin ! », en me versant à boire.

Mais surtout, que ce soit en public notoire.

Ce n’est qu’à jeun que je sens que j’ai tort.

Je n’ai gagné qu’en étant ivre-mort.

Ce cher Abu Nuwâs serait bien malheureux s’il séjournait au Qatar. Il y a quelques années, il aurait pu boire un verre sur le Pearl, l’île artificielle prisée des expatriés. Mais le Pearl est aujourd’hui « dry ». En d’autres termes, la vente d’alcool y est interdite. La faute à un qatari, sevré au Champomy, qui conclut son coma éthylique dans les eaux de la marina. Cela fit désordre.

Rassurez-vous, il est encore possible de déboucher une bouteille à Doha. Il vous suffit de vous rendre dans l’un des débits de boissons gérés par la Qatar Distribution Company, propriété de la famille régnante. Amusant quand on sait que dans le hadith 3380, le Prophète maudit celui qui vend de l’alcool.

Le Qatar devra boire sa coupe jusqu’à la lie. Pour la Coupe du monde 2022, on attend plus de 500 000 supporters et mon petit doigt me dit qu’ils ne vont pas tuer leurs journées au Musée des Arts Islamiques en sirotant du thé au jasmin. D’autant plus que l’un des plus grands sponsors de la compétition, très acoquiné avec la FIFA, n’est autre que le géant Budweiser. Il va donc falloir que la bière coule à flots sur la Corniche ! Du côté des autorités, on ne panique pas. On évoque la création de « compounds de boissons » où les sujets de la couronne britannique pourront consommer de la bibine surtaxée. Tout le monde s’y retrouvera, assure-t-on. L’histoire ne dit pas dans quel état les gentils anglais sortiront des casernes-tavernes et qui les accompagnera jusqu’au bus. Et il est encore trop tôt pour savoir si la consommation sera permise dans l’enceinte même des stades. On peut en douter, sourate 5 du Coran à l’appui. Mais quand on sait que le Brésil a récemment modifié sa constitution pour que la vente d’alcool soit autorisée pendant les matchs de sa coupe du monde, on a toutes les raisons de croire qu’il y aura de petits arrangements avec l’étiquette.

Qui sait ? Peut-être qu’en 2022, ce cher Abu Nuwâs sera à l’honneur et qu’on déclamera ses poèmes pour célébrer le génie arabe et la grande fraternité des peuples réunis autour de la coupe.

Allez, un dernier vers pour la route :

N’es-tu donc pas heureux quand la terre fleurit ?

Quand le vin, accessible et vieilli dans les jarres,

Est vierge encore ? Il faut le boire,

Car il est engendré par la vigne et la nuit.

Fatima Yalla