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“Only God Forgives” : L’Effet Koulechov, 2ème partie

Le réalisateur de Drive revient en compagnie d’un Ryan Gosling toujours aussi apathique, avec un drame oedipien poussif et poseur. La scène se passe à Bangkok : Julian se voit engagé malgré lui dans une histoire de vengeance après le meurtre de son frère, lui-même responsable de la mort d’une jeune prostituée de 16 ans. Incapable de prendre son parti, il subit les reproches de sa mère venue faire honneur à celui « qui en avait une plus grosse ».

[caption id="attachment_4417" align="aligncenter" width="560"]Ryan Gosling dans "Only God Forgives" Ryan Gosling, éternellement impassible, dans “Only God Forgives”[/caption]

Le film tente de nous plonger dans les vicissitudes du héros, passif à l’extrême. Du rapprochement entre le visage constamment impassible de Gosling et le contre-champ d’un monde absurde, Refn joue tout son rapport au spectateur. Mais cette radicalité est rapidement victime d’elle-même. Par trop formelle, elle ne dépasse jamais son statut de parti pris de mise en scène, sans jamais atteindre à l’émotion recherchée (l’isolement du personnage plongé dans un monde violent). L’effet, d’abord comique (voir d’ailleurs ce montage dans lequel on donne à manger des cornflakes à l’acteur qui fait la moue), finit par lasser. C’est l’effet Koulechov. Un plan sur le visage neutre de l’acteur, puis sur une femme dévêtue : Ryan est excité. Le même visage insensible, puis une petite fille qu’il vient de sauver : Ryan est ému… (comme le spectateur devrait l’être d’ailleurs, au fond de lui) etc. Tentative pour donner une vie intérieure à ce visage de marbre : Julian est dur parce que le monde extérieur est impitoyable ; mais au fond, il a un grand cÅ“ur. Refn, en voulant refaire ce qu’il avait fait avec Drive, fonce dans le mur, entre autre parce que son nouveau « thème » ne s’y prête pas.

La mise en scène par le montage est poussée à son paroxysme lorsqu’elle juxtapose Julian doigtant sa stripteaseuse de petite copine sous le regard de sa mère contemplant un show de bodybuilders. Voici le trouble profond de ce personnage, finalement exposé sans subtilité aucune, malgré pléthore d’effets supposés envoûter le spectateur et noyer le poisson. Ce n’est plus une histoire d’amour louable comme dans Drive, mais une histoire d’inceste à laquelle nous assistons. Julian voudrait vraiment baiser sa mère, mais il n’ose pas ; et le cinéma viendrait faire exister le tabou. Mais la chose est trop artificielle pour prendre corps, trop grossière pour déclencher autre chose qu’un décalage ironique. L’humour de Drive se trouve ici empesé et même absout par le « sérieux » du sujet. On a le sentiment de rire à l’insu du film qui proclame sans arrêt la lourdeur de sa mission ; et finalement, on ne rit plus, on s’ennuie face à un ton bien sentencieux.

[caption id="attachment_4422" align="aligncenter" width="560"]Kristin Scott Thomas, méconnaissable, dans "Only God Forgives" Kristin Scott Thomas, méconnaissable, dans “Only God Forgives”[/caption]

Par un dernier effet de montage, Refn tente d’instituer une tension permanente liée à son véritable fond de commerce : la violence exacerbée ; non plus symbolique cette fois-ci, mais bien physique. Ainsi le plan sur la main tranchée du père de la prostituée par Chang, le flic local, apparaît-il à contre-courant, alors que la scène de sanction semblait achevée. Mais le stratagème provoque moins la surprise qu’un rappel immédiat à lui-même et donc une distanciation. Refn a abandonné le réalisme cru qui rendait mal à l’aise devant Pusher, pour des plans plus « poétiques ». Finie la caméra portée numérique et les plans séquence magistraux ; on assiste ici à des cadrages fixes (de même que les personnages qui les habitent) et composés, à la lumière extrêmement travaillée, rouge, bleue, presque onirique. Only God se veut une expérience des sens ; il est plutôt un film intellectualisant. Son esthétisation ne trouve pas d’intérêt hors d’elle-même. Surabondante, elle semble presque une justification éthique venant maquiller la noirceur du monde que le réalisateur se propose de filmer.

Dieu Seul pardonne. Abandonné de Dieu, le monde moderne s’en remet à la loi humaine, à Chang. Chang, lui, ne pardonne pas. Il sanctionne. On ne compte plus dans le film les mains coupées ; ces mains coupables du « mal », comme Refn est coupable d’artifices à foison. Sur ce mal, le réalisateur ne nous dit pas grand chose. Julian se sait coupable de pensées impures à propos de sa mère. Incapable de lutter, il finit par introduire une main dans le ventre encore chaud de son cadavre, avant d’en faire offrande à Chang. A nouveau, la séquence dérange, non par son propos, mais par l’auto-proclamation de son obscénité. « Regardez comme je suis subversif », susurre le réalisateur derrière notre épaule. Par trop prononcé, le propos se trouve une fois de plus désamorcé très rapidement.

Le film de Refn est une illustration pompeuse et sans originalité d’un sujet on ne peut plus rabâché. Tout est traité au même niveau. Le réalisateur se réfugie derrière une pseudo-poésie ; mais ses images, toutes aussi séduisantes, s’annihilent les une les autres au lieu de correspondre. Fermées sur elles-mêmes, comme fascinées par leur propre perfection plastique, elles ne tardent pas à se recroqueviller et à mourir seules. Only God Forgives est un film qu’on oubliera vite.

Only God Forgives, un film de Nicolas Winding Refn, avec Ryan Gosling, Kristin Scott Thomas, Vithaya Pansringarm.

Quentin Le Goff