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Black Strobe : “De la guitare, du groove, du rythme”

Il est 19h à Nîmes, et c’est déjà le troisième jour du festival This Is Not A Love Song. Nous arrivons dans le grand studio dédié aux interviews avec la presse, aménagé pour l’occasion dans un style très sixties. Arnaud Rebotini, dépoitraillé et la moustache rayonnante, et son groupe Black Strobe nous reçoivent pour un long entretien. Récit de la rencontre de Profondeur de champs avec ce pionnier de la musique électronique, passé maître dans l’art de surfer entre les frontières, les genres et les ambiguïtés esthétiques.

[caption id="attachment_4431" align="aligncenter" width="560"]Arnaud Rebotini par Quentin Caffier Arnaud Rebotini, par Quentin Caffier[/caption]

Salut Arnaud, est-ce que tu peux nous retracer l’histoire du projet Black Strobe ?

Arnaud Rebotini : Tout est parti en 1997 d’un duo de producteurs/DJ plutôt électro, composé d’Ivan Smagghe et moi-même. On a fait un maxi à l’époque, qui est sorti sur la compilation Source Lab 2. Ensuite, j’ai fait pas mal d’autres choses et on a repris le projet dans les années 2000, date à laquelle on a sorti Me And Madonna sur le label Output de Trevor Jackson (ndlr : fondateur de Playgroup et pionnier de l’electroclash à la fin des années 90). On a donc rapidement été associé à toute cette mouvance electroclash initiée par David Carretta, Miss Kittin ou encore The Hacker.

Puis, peu à peu, je me suis affranchi avec Black Strobe d’une musique purement électronique en y incluant un peu plus de guitare, de groove, de rythme. En 2007, j’ai donc sorti l’album Burn Your Own Church, qui contient notamment la reprise d’I’m A Man de Bo Diddley qui m’a fait pas mal connaître grâce à la bande originale de films de Guy Ritchie et Quentin Tarantino, ou à des pubs comme celle pour Dior.

Et là nous sommes actuellement en train de finir un deuxième album.

Dans Burn Your Own Church, pourquoi avoir choisi de reprendre I’m A Man plutôt qu’un autre standard de blues ?

AR : Parce que pour moi, c’était un morceau on ne peut plus emblématique du blues de cette époque là. Et puis je trouvais le texte très marrant. J’avais aussi pensé à faire Mannish Boy de Muddy Waters, qui est en fait la réponse à la chanson de Bo Diddley, mais mon choix s’est porté sur celle du père du Bo Diddley beat au final.

Pourquoi cette bifurcation musicale, de l’electroclash de vos débuts au boogie d’aujourd’hui ?

AR : Il y a toujours eu un côté boogie, très dansant au début de Black Strobe, un peu à la LCD Soundsystem, qui nous a très rapidement différencié de Miss Kittin ou The Hacker dont les influences sont vraiment labélisées electroclash. Je n’imagine pas Michel (ndlr : Michel Amato est le nom de The Hacker) faire un album de rock un jour par exemple.

Le passage d’une formation en duo à un groupe est la conséquence directe de ce changement de style ?

AR : Oui, tout à fait. J’avais envie de guitare, de batterie…

Mathieu Zub, guitariste de Black Strobe : Mathys, Ben et moi, on n’est pas DJ : on a toujours bossé en groupe, donc la nouvelle formation de Black Strobe n’était pas un changement pour nous.


AR : Ce qui est intéressant Mathieu, c’est que toi tu as fait le chemin inverse. Depuis qu’il est dans Black Strobe, il a un projet électro qui s’appelle Museum, que je sors sur le label (ndlr : Black Strobe Records).

Mathieu : Avec pas mal de synthés aussi. C’est très nouveau pour moi, de me retrouver tout seul sur scène avec un projet. Mais, en effet, avec Black Strobe on a plutôt une culture de groupe rock.

Et au niveau du live je présume que vous observez un changement ? Comment jugez-vous la réception du public ?

AR : Cela dépend, vraiment. Il y a des gens qui viennent me voir solo avec mes synthés, ils veulent entendre de la techno, je leur en fait et ils sont contents, très réceptifs. Et puis il y a les gens qui veulent voir Black Strobe en groupe. Les deux musiques sont assez distinctes et je pense que le public le comprend bien.

MZ: Après au niveau du plaisir sur scène, c’est quand même différent : avec Black Strobe, il y a du partage, on part en équipe en concert, on répète régulièrement. Rien ne remplace l’expérience de groupe.

AR: Oui c’est bien sûr plus sympa, plus convivial d’être en groupe que tout seul. On partage beaucoup en jouant et vivant des trucs aussi fous ensemble.

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Comment cela se passe-t-il au niveau de la composition ? Pour toi, Arnaud, rentrer dans une logique de groupe ça doit être une expérience radicalement différente…

AR : Je compose la plupart des morceaux sur ordi. C’est ensuite que Mathieu vient poser ses idées à la guitare…

MZ: Oui, c’est ça, je vois la direction artistique prise par Arnaud, puis on se voit et on dégrossit. Et enfin on passe en répétition avec tout le monde…

AR : En fait ça dépend vraiment des morceaux : certains sont fixés dès le départ et ne bougent pas de la version studio que j’ai composée, certains évoluent une fois en répétition.

MZ: C’est un vrai jeu de va-et-vient, au gré des idées qui émergent, entre la répét et le studio. Il nous est même arrivé de modifier nos morceaux après les avoir joué sur scène, selon que certains passages touchent plus ou moins les gens. C’est donc au bout de ce processus que l’on boucle un album.

Qu’en est-il de l’album justement ?


AR : Il n’est pas tout à fait fini. Il est entièrement composé mais nous sommes en train de finaliser la production. Il faut affiner les voix, refaire certaines batteries…

MZ : Pour nous, le boulot est terminé en tout cas (rires) !

Va-t-il sortir sur votre label, Black Strobe Records ?

AR : Je ne sais pas, peut être, peut être pas. On est en train de voir ça.

Et quelles sont les influences identifiables sur ce nouveau LP ?

AR : Johnny Guitar Watson, sans hésiter ! Le but était vraiment d’essayer de faire un album avec un style que l’on peut retrouver sur les deux derniers maxis (Boogie On Zero Gravity et The Girl From The Bayou), un truc à la fois disco et boogie. Il y aura bien sûr aussi des morceaux plus rock, comme I’m A Man et même deux ou trois ballades, comme il y en avait sur Burn Your Own Church.

Arnaud, vas-tu continuer à t’impliquer dans d’autres side projects, comme tu l’avais fait avec Code Napoléon par exemple ?

AR : Là, non, pas tout de suite, je suis bien avec Black Strobe. Après, avec Code Napoléon, on verra si on refait un live une fois que j’aurai fini l’album, la tournée… Tout ça risque de durer un petit moment, donc pour l’instant je me focalise sur Black Strobe. Après, à titre personnel, je referai sans doute un album solo.

On ne peut pas t’interviewer, Arnaud, sans parler de ta collection impressionnante de synthés…

AR : (rires) Oui, en effet, j’ai un beau studio avec plein de synthés. J’en ai même acheté de nouveaux récemment, on ne peut jamais s’arrêter avec ça. Maintenant j’ai envie de faire un album avec du coup !

Dans Black Strobe, le synthé n’est pas forcément mis très en avant. Il y en a, mais ce n’est pas l’instrument principal. 
J’ai été dans les premiers à recommencer à faire des sons avec de vrais synthés, notamment avec l’album Music Components sorti en 2008, donc ça a marqué les gens. En France j’incarne un peu ce mouvement, d’autant plus que je produis aussi des artistes comme Yan Wagner ou Mathieu (ndlr : guitariste de Black Strobe qui évolue en solo avec le projet Museum) à qui je file un coup de main sur ses productions, plus au niveau du mixage.

MZ: C’est un virus qu’on chope vite en fait (rires). Quand je suis arrivé dans le projet Black Strobe, au départ j’étais – et je suis guitariste –, donc je m’amusais surtout à tripper avec des pédales. Aujourd’hui, beaucoup de guitaristes ont cette approche de production en live, en mettant plein de pédales à la suite.

C’est donc Arnaud qui m’a fait découvrir que les synthés, c’était fait pour ça ! Donc j’ai un peu délaissé ma guitare et mes pédales, car j’ai vu qu’il y avait des instruments encore plus polyvalents et appropriés pour ce que je voulais faire. Et je pense que c’est ce qui pousse pas mal de groupes qui se « spécialisent » dans les synthés.

Mathys, batteur de Black Strobe : Le problème c’est que ça coûte assez cher quand même !

MZ : Oui, enfin quand tu es guitariste, ça coûte assez cher aussi, et tu te rends compte que les prix des synthés sont finalement assez raisonnables. Mais pour ceux qui ont l’habitude de s’acheter juste un ordi et des plug-ins, c’est certain que les synthés coûteront chers.

AR : Par rapport aux autres instruments, les synthés sont en fait assez cheap. S’il veut du bon matériel, le mec qui est violoncelliste au bout d’un moment il est obligé d’y aller à coup de 30 000 à 50 000 euros pour un truc correct.

MZ : Même le SH-101 (ndlr : synthétiseur utilisé par Arnaud Rebotini) qui est un petit synthé que tout le monde a en ce moment coûte 500 euros. Pour 500 euros, en guitare, tu as une daube. Et je ne parle même pas des batteries. Donc je pense que pour ceux qui viennent de projets plus rock, c’est pas si cher que ça.

AR : Et puis mon projet solo c’est un live, fait avec des synthés, sans ordi. Faire de la techno comme ça, sans ordi, tu passes pour un extraterrestre, un virtuose. C’est ce fait de jouer live que j’apprécie et qu’on retrouve d’ailleurs dans Black Strobe : on n’a pas d’ordi sur scène, tout est joué.

Arnaud-Rebotini-1

A ce propos, que penses-tu de la nouvelle vague d’artistes qui placent les synthés au centre de la musique électronique comme Yan Wagner, David Shaw And The Beat, Sommet ou Zombie Zombie (qui sévissent eux depuis longtemps déjà) ?


AR : Déjà, il y en a deux dans ceux que tu as cités qui sont passés très près de mon studio : David Shaw était dans Black Strobe, et c’est moi qui ai produit l’album de Yan. 
Sinon, et bien je n’en pense que du bien. J’aime beaucoup ce que fait Jaumet par exemple. Même Gesaffelstein, qui fait de la techno un peu plus « violente ». C’est bien qu’on arrête avec les trucs cheap, les synthés virtuels, etc. Ok, c’est bien pour le dubstep parce qu’ils ont inventé ça avec. Mais je déteste le dubstep, et puis je me suis déjà fait avoir avec la jungle dans les 90s, donc pas deux fois. J’ai d’ailleurs une grosse collection de vinyles de jungle si ça branche quelqu’un (rires) ! Après, quand tu veux faire de la techno et de la house et que tu prends des faux synthés, il faut avoir une super grosse culture de synthés et vraiment les connaître sinon ça se sent. Et puis ces synthés sur ordi ne sont que des imitations de vraies machines. Donc autant préférer l’original à la copie, non ?



Je te sais pas mal porté sur le vinyle, j’avais vu ta bibliothèque qui est assez extraordinaire. On a pas mal parlé techno, mais en groupes de rock, est-ce qu’il y a des trucs actuels que tu aimes bien ?

AR : Oui, l’album éponyme de METZ par exemple, sorti sur Sub Pop en 2012. Les Black Keys un peu, aussi…

MZ : Moi je reviens toujours aux fondamentaux ! Des groupes que j’ai commencé à écouter dans les 90s, les vieux ZZ Top, Black Sabbath…

Qui vont bientôt sortir un nouvel album d’ailleurs !

MZ : Ah ouais ? Avec Ozzie au chant ?


AR: Enfin avec ce qu’il en reste (rires) !

MZ : Mais bon, les vieux Black Sabbath c’est magique tout simplement ! Ces vieux groupes ont quand même, de fait, décrédibilisé la plupart de leurs descendants, c’est difficile de faire mieux. Et puis je reste toujours un peu déçu par les dernières choses qui sortent car j’ai l’impression d’avoir déjà un peu entendu ça. Après je ne suis pas particulièrement à l’affut de tout non plus, donc il y a certainement plein de trucs bien.

AR : Le dernier Dinosaur Jr. est bien. Mais bon, ce n’est pas vraiment ce qu’on peut appeler un groupe récent (rires) ! Ah oui, il y a un truc que j’aime beaucoup en ce moment sur Sub Pop, c’est Fergus & Geronimo. (Arnaud sort son iPhone) Je révise, parce que je ne me souviens plus bien. Le dernier Pissed Jeans, Honeys, est bien aussi. Je reste très Sub Pop !

Qu’est-ce que vous allez essayer de voir ce soir (ndlr : l’interview se tient pendant le This Is Not A Love Song Festival, à Nîmes) ?

AR : Il y a Dinosaur Jr., dont je suis assez fan. On a un peu regardé, Birth of Joy aussi, c’était bien !

Bass Drum of Death ?

AR : Oui, je ne connaissais pas mais ça à l’air bien ça ! Miles Kane j’ai passé l’âge et je ne suis pas anglais. Je trouve que c’est le genre de trucs que tu ne peux comprendre que si t’as 16 ans et que t’es Anglais, et/ou une fille (rires) !

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Que retenez-vous de vos lives ? Le public, la part laissée à l’improvisation ?

AR : Pour moi c’est tout ça, oui. C’est le pied : les parties d’impro, les parties où comme on dit on « fly », les morceaux qu’on fait durer, les solos de guitare de Mathieu.

MZ : Vous aussi vous improvisez ! C’est l’aboutissement de tout ça : les lumières, les gens, c’est magique, tu es porté, bourré (rires) !

Ce soir, pas de pyrotechnie ?

AR : Non, ce soir on joue dans un petit club, ça sera plus pour la tournée à la rentrée. Disons qu’on peut pas en faire partout, c’est compliqué. Surtout dans les jauges dans lesquelles on tourne. Rammstein ils peuvent le faire tout le temps, mais pas nous tu vois !

MZ : Le truc c’est qu’ils ne font jamais des 500 personnes.

AR : Ouais c’est sur ! Ils ont du faire ça au début, maintenant c’est plus ou moins 5000 à chaque fois !

Et la prochaine date, c’est quoi ? Calvi On The Rocks doit être attendu avec impatience, non ?

AR : On joue demain à Toulouse, avec Birth of Joy justement.

MZ : Ah oui on joue avant Deep Purple dans deux semaines à Tbilissi, dans un stade de 80 000 personnes ! Ca va être énorme. Enfin, on va voir hein. Peut être que lorsqu’on va jouer le stade ne sera pas plein, mais ça va être un truc de malade !

Et comment ça s’est fait ça ?

AR : Oh tu sais ça c’est des plans festival dans les pays de l’Est où ils mettent tout et n’importe quoi qui est disponible. Ça fait chier Deep Purple, c’est quand même le plus mauvais groupe de cette génération ! J’aurais préféré faire Black Sabbath ou Led Zeppelin (rires) !

Oui, et puis ensuite on fait Calvi On The Rocks, c’est déjà quasiment complet. En même temps c’est pas étonnant avec les affiches qu’ils proposent.

MZ : On va être à la plage, tranquille. Ca va être cool, putain ! C’est vrai que c’est une date dont on parle pas mal (rires), on compte les jours. Tout le monde va particulièrement profiter de cette date.

AR : Pour le reste, ça sera à la rentrée : on a la date pour la sortie de l’album à Paris qui sera à la Gaîté Lyrique, avec Yan Wagner et JB Wizz de Born Bad Records qui fera un petit DJ Set. C’est le 3 octobre !

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Donc ça voudrait dire que la sortie de l’album est pour octobre, sûr ?


AR : A moins d’un gros coup de Trafalgar, ouais, en tout cas tout est en train de se mettre en place pour.

Donc à paraître en vinyle aussi ?

AR : Ah oui évidemment !

MZ : Obligatoire en fait ! Uniquement en vinyle d’ailleurs (rires).

AR: Oui je pourrais, je ne le ferai pas, mais vinyle et téléchargement c’est bien. Je pense qu’on fera quand même du CD.

MZ : Et des cassettes !

AR : Ca revient à la mode en tout cas, les groupes indus font vachement ça pour les séries limitées. Pour les trucs un peu underground ça se fait carrément.

MZ : Chrome, Ferro ou Metal (rires) ?

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Rémy Pousse-Vaillant