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Egyptian Hip Hop : “La pop est un dilemme permanent”

Egyptian Hip Hop. C’est, je pense, le rêve de tout chroniqueur ayant eu à faire à ces quatre Britons que de pouvoir commencer un papier sans mentionner, éclairer, lever l’ambigüité à propos de leur nom. Et j’ai moi-même, je dois bien vous l’avouer, l’espace d’un instant succombé à ce rêve. Mais après une heure d’une réflexion intense et grave, je n’ai sur ma feuille que quelques mots, épars, solitaires : « Manchester, terreau musical fertile », « Jeunes prodiges », « Relève de la musique britannique », « Pop expérimentale ». Je peux déjà sentir le poids lourd de vos regards sur ma nuque désabusée ; je les comprends et les partage.

Alors, devant ce piteux constat d’échec, permettez-moi – acte éminemment égoïste je le concède – de désembuer votre esprit et d’aider à la retombée de vos sourcils figés dans une moue interrogative. Non ils ne sont pas égyptiens, et non leur musique ne se rapproche pas le moins du monde d’un quelconque hip hop. Bien au contraire : ces quatre lads aux cheveux et aux idées colorés sont la relève, sans pour autant en être les héritiers directs, de l’exigeante scène de Manchester. Rencontre avec ces surdoués partis à la recherche d’une nouvelle définition de la pop.

[caption id="attachment_4554" align="aligncenter" width="475"]Egyptian Hip Hop Egyptian Hip Hop[/caption]

Dès vos débuts en 2008, vous avez rencontré un succès fulgurant, et ce même avant d’avoir enregistré quoi que ce soit. Comment expliquez-vous cette popularité si soudaine ?

Nous n’avons jamais compris ou su expliquer ce qui a fait le succès de la chanson Rad Pitt. C’était juste une démo un peu pourrie que l’on avait enregistrée dans la chambre de Louis. Mais malgré le fait que ce soit la seule chanson qu’il y avait sur notre MySpace, on a commencé à nous proposer pas mal de concerts et les gens avaient l’air de vraiment l’apprécier. Ce que je vais dire va peut-être avoir l’air prétentieux, mais cela nous a toujours ennuyés que cette chanson perdure aussi longtemps.

Pour la plupart des groupes, la première chanson n’est pas celle dont tout le monde se souvient, mais pour nous ça l’a été. Alors bien sûr, on est ravis parce que l’on sait que c’est sûrement l’unique raison qui a fait que nous soyons où nous en sommes aujourd’hui ; mais c’est assez frustrant de voir qu’elle est toujours plus médiatisée que la musique que l’on produit actuellement.

Est-ce cela qui explique la période aussi longue entre votre premier EP et l’album ? Aviez-vous besoin de ce temps pour repenser votre musique ?

En fait, on avait déjà des chansons dans un style comparable à celui de l’album au moment où on a enregistré ce premier EP, mais les gens n’y faisaient jamais attention.

Je ne pense pas que l’on ait eu besoin de temps pour repenser notre musique, mais assurément pour penser, réfléchir, un peu trop d’ailleurs. C’était dû à la fois à la pression qui commençait à monter, mais aussi à notre paresse et notre perfectionnisme.

Chaque interview, article ou chronique vous concernant commence par la même sempiternelle question – et je me dois de vous la poser aussi (rires) –, pourquoi vous appelez-vous Egyptian Hip Hop ? Pourquoi, alors que votre nom n’évoque en rien votre musique ? D’ailleurs, était-ce un pari risqué que de prendre un tel nom ?

Oui, c’est vrai, je ne sais pas exactement pourquoi tout le monde nous pose cette question. Selon moi, cela montre que la plupart des interviews ne sont pas là pour apprendre des choses sur les artistes mais pour se faire de la pub. Le journaliste s’est sûrement documenté sur notre groupe avant, et s’il voulait vraiment savoir pourquoi il pourrait le découvrir en deux clics.

Jusqu’il y a peu,  on inventait une histoire différente à chaque fois que l’on nous posait la question (rires). Mais on a finalement décidé de dire la vérité, parce qu’au fond ce n’est vraiment pas si intéressant que ça. On a fait ça pour que les gens arrêtent de nous le demander, mais comme tu as pu le constater ça n’a pas marché !

L’explication est la suivante : Wikipédia a une fonction « Article au hasard ». On a cliqué sur ce bouton jusqu’à ce qu’on trouve un article avec un nom original – mais assez cool – pour appeler notre groupe. A cette époque, on n’avait même pas de chansons sur notre MySpace, donc évidemment on n’imaginait pas une seconde prendre un quelconque risque. On avait que seize ans, tu vois, on s’en foutait du succès.

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Est-ce que vous sentez que vous faites partie d’une histoire et une tradition mancunienne, dans la lignée de groupe comme Joy Division et les Smiths ? Est-ce difficile d’évoluer dans l’ombre de ces grands groupes auxquels on réfère toujours ? Il semble y avoir une sorte d’obsession mythique à propos de Manchester…

Nous n’avons jamais vraiment ressenti cela, mais j’imagine que nous en faisons partie inconsciemment. On n’a jamais « lutté » pour s’affranchir de quoi que ce soit, particulièrement parce qu’on n’a jamais ressenti la moindre proximité avec ces groupes venus d’un autre temps, d’un autre état d’esprit.

En fait tout cela est devenu une réalité quand les journalistes ont commencé à nous poser des questions à propos de ces groupes, à nous comparer à eux, malgré le fait que nous n’ayons aucune caractéristique musicale commune. C’était vraiment pénible d’avoir à se justifier tout le temps à propos de groupes dont on se fichait.

Mais bon, j’ai l’impression que les gens commencent à se détacher progressivement de cet âge d’or de la musique de Manchester, à s’ouvrir à de nouvelles choses. Il y a tellement de choses passionnantes qui se passent ici en plus.

Quelque chose d’autre semble exagéré par la presse à propos de votre groupe : votre rapport à Johnny Marr (ndlr : ancien guitariste des Smiths).  Beaucoup de journalistes vous présentent quasiment comme « parrainés » par lui, alors que j’ai lu dans une de vos interviews que vous assuriez le connaître à peine. Pensez-vous que les médias ont ce besoin absolu de storytelling pour « vendre » leurs articles ?

Oui, je pense que les médias disent n’importent quoi tant que ça leur permet de rendre leurs articles intéressants. On n’aurait jamais dû parler de Johnny Marr parce que cette image nous colle à la peau depuis qu’on l’a fait. En fait, c’était tellement une non-histoire – dont on n’aurait jamais imaginé l’héritage stupide – que l’on avait même pas réfléchi avant de le dire : Nick Delap (ndlr : guitariste du groupe) a été à un moment dans un groupe avec le fils de Johnny, Niall, et une fois Johnny lui a offert quelques pédales d