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Rone : “En live, ma musique prend tout son sens” (2/2)

[Lire la première partie de l’entretien]

[caption id="attachment_4656" align="aligncenter" width="560"]Rone © Timothy Saccenti Rone © Timothy Saccenti[/caption]

La réception de Tohu Bohu en France a été assez exceptionnelle, est-ce que tu t’attendais à un tel succès ?

Non, honnêtement pas du tout. Le premier album avait fait assez peu de bruit, mais ça me convenait tout à fait, j’ai pu faire quelques dates et c’était déjà très bien. Je pensais sincèrement que le deuxième allait rester dans cette sphère assez confidentielle. Mais oui, celui-ci a eu beaucoup plus de retours, ce qui est génial parce que ça me permet de faire encore plus de concerts.

Tu sillonnes la France depuis plusieurs mois, ville par ville, de manière quasiment exhaustive (rires). Finalement, ton pays natal ne t’avait-il pas manqué depuis Spanish Breakfast ?

Si, carrément. J’ai quitté la France, et en particulier Paris, un peu en colère contre cette ville et ce pays. Je me suis dit : « Ras le cul, je vais aller vivre à Berlin, là-bas ils ont tout compris ! », et effectivement j’ai adoré Berlin, et je m’y sens toujours aussi bien. C’est un peu comme quand tu quittes ta famille à l’adolescence, que tu n’en peux plus de ta mère, etc. Mais avec la distance, tu es super heureux de la retrouver et de faire un bon dîner en famille, tu vois (rires) ? C’est exactement ce qui s’est passé pour moi avec la France. Désormais, je n’y retourne que pour jouer, et du coup je ne vois plus que le bon côté des choses. Cette distance m’a réconcilié avec Paris.

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Tu as joué au Trianon en février dernier, ça a du être une véritable étape dans ta carrière, non ? Quels retours as-tu eu sur ce concert si spécial ?

Le Trianon, oui… Je ne faisais pas le malin avant de jouer là-bas (rires). C’est assez spécial parce que je suis un vrai angoissé de nature, et je suis de manière générale toujours un peu stressé avant de monter sur scène. Mais là au Trianon c’était décuplé : tu joues devant un public sobre, tout seul, avec simplement une première partie avant toi… Oui c’était un sacré challenge mais ça s’est vraiment bien passé. Pourtant, avant le concert, j’avais peur que la salle soit vide ou que les gens trouvent ça nul ou que sais-je encore, mais en fait l’ambiance a été juste dingue. D’ailleurs – autre truc surprenant –, peu après cette date c’est l’Olympia qui m’a contacté ! Encore un challenge de plus, je ne sais pas combien de temps mon cÅ“ur va tenir (rires), mais c’est un challenge passionnant.

Les concerts sont des moments assez fous, extrêmement intenses en émotions : on est très angoissé avant ; c’est quasiment un orgasme d’une heure dénué de tout stress pendant qu’on joue ; et après on est sur un nuage, et il faut bien deux jours pour atterrir, physiquement, mentalement.

Quel souvenir gardes-tu de cette période post Tohu Bohu aujourd’hui ?

D’une manière générale, quand tu fais une grosse phase de studio – où tu es seul, complètement isolé – ça peut être très dur, malgré tous les bons côtés que cela comporte. C’est comme si tu te regardais dans le miroir toute la journée, tu te poses constamment des questions sur ton son, c’est assez vertigineux. Alors quand viennent les concerts, c’est vraiment une libération : tout d’un coup, ton son prend une autre dimension, il fait sens.

Mais ce va-et-vient entre le studio et la scène est un équilibre assez particulier : déjà, là, je sens qu’il va falloir que je me réenferme. J’alterne les deux en ce moment, mais j’attends avec impatience de pouvoir me bloquer deux mois pour m’enfermer complètement dans le son.

Y a-t-il des artistes avec qui tu aimerais vraiment collaborer ?

Oui, il y en a plein, même si je reste assez passif en ce qui concerne les collaborations. Je laisse les gens venir vers moi, et c’est ce qui s’est passé la plupart du temps. Par exemple le groupe The National, qui évolue dans un univers musical radicalement différent du mien – une sorte d’indie folk new-yorkaise –, ce sont eux qui sont venus me chercher à Berlin en me proposant de mettre une petite touche électronique sur leur disque. Ça a été une expérience géniale, et cela m’a donné envie d’inviter Bryce Dessner, le guitariste du groupe, à poser sa guitare sur le prochain album. C’est un peu comme les clips, ce sont des histoires de rencontres, de réseaux d’amitié qui se développent. Gaspar Claus par exemple, je l’ai rencontré à un workshop d’InFiné, et il sera sûrement sur le troisième album. Donc les collaborations ce sont plus des histoires d’affinités que de fascination.

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Qu’attends-tu des artistes qui te remixent ? Tu as récemment fait appel à Principles of Geometry, comment tes choix se portent sur les artistes pour cet exercice du remix ?

Alors, en fait il y a différentes situations : la plupart du temps c’est moi qui contacte les artistes. Clark par exemple, j’adore ce mec donc j’ai tenté le coup, et il a accepté. Après il y a d’autres scénarios possible, comme ce qui s’est passé avec Principles of Geometry : ils sont sur le label Tiger Sushi que j’aime beaucoup, et j’étais tout aussi intéressé à l’idée de travailler avec eux qu’avec Joakim, et finalement en parlant avec le label le choix s’est porté sur eux et ça s’est fait comme ça. Parfois aussi ce sont des propositions du label. Juan Atkins, c’est comme ça que ça s’est fait par exemple : Alex (ndlr : Alexandre Cazac, co-fondateur du label), l’homme de l’ombre d’InFiné, connait très bien la scène de Détroit – il a notamment travaillé avec Carl Craig –, et il a envoyé le disque à Juan Atkins en lui proposant de faire un remix, ce qui l’a tout de suite branché.

Pour en revenir aux lives, on t’avait vu à Calvi l’été dernier avec set était assez violent, après il y a eu Tohu Bohu, un peu plus pop. Comment ton live a-t-il évolué au fur et à mesure de ces expériences ?

J’ai l’impression que mon live n’est jamais quelque chose d’abouti, qu’il évolue en permanence, et j’essaye toujours de l’emmener un peu plus loin. Même si le contexte influe beaucoup sur ce que je joue, j’aime toujours qu’il y ait du relief, du contraste. Je vois souvent des DJ sets qui durent huit heures, du gros « bam-bam », une autoroute. C’est quasiment une transe, une espèce d’hypnose, et c’est carrément intéressant dans un sens, mais personnellement ce que je préfère c’est jouer avec le contraste, alterner les moments très calmes avec d’autres plus puissants. J’aime ce côté « montagnes russes ».

Et ce soir du coup, ça va donner quoi ?

Et bien ce soir je pense que je vais bien envoyer, parce que quand tu joues dans un endroit qui s’appelle Les Abattoirs, il faut pas déconner au niveau du son (rires) ! Mais quand même, j’aimerai bien imposer des petits moment de breaks.

Dernière question. Dans Profondeur de champs, on parle de l’art sous toutes ses formes. Aurais-tu un conseil culturel à donner à nos lecteurs ?

Oui, un livre que je suis en train de lire, « Global Techno 1.1 : L’authentique histoire de la musique électronique » . C’est écrit par un type qui s’appelle Jean Yves Leloup, qui est DJ mais aussi théoricien de la musique, et il arrive dans ce livre à ne pas tomber dans la masturbation intellectuelle ce qui est rare dans cet exercice difficile, et que je n’aime pas forcément, de théorisation de la musique. A lire, donc !

Rémy Pousse-Vaillant – avec Maxence Pujebet.