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“Vic + Flo ont vu un ours”, Denis Côté dit Tabernacle au réalisme

Denis Côté, c’est de grandes lunettes, une superficie corporelle tatouée probablement comparable à la densité de population à Pékin, des étincelles de créativité dans les yeux et un univers complètement singulier. Mais Denis Côté c’est aussi et surtout une des figures de proue de la Nouvelle Vague québécoise, auteur de sept longs métrages, dont Curling et Carcasses, tous salués par la critique internationale et remarqués en festivals. Avec Vic + Flo ont vu un ours, il signe une huitième œuvre complexe et mature qui résiste à toute tentative de classification.

[caption id="attachment_4669" align="aligncenter" width="560"]Romane Bohringer incarne Florence © Première Romane Bohringer incarne Florence © Première[/caption]

Victoria, incarnée par la star du petit écran canadien Pierrette Robitaille, sort tout juste de prison et s’installe avec son oncle handicapé dans un chalet vétuste perdu dans la forêt québécoise. Son amoureuse et ancienne compagne de cellule Florence, starring Romane Bohringer, la rejoint dans ce petit paradis loin du monde, persuadée d’y être à l’abri de ses ennemis qui sauront pourtant la rattraper. L’histoire est simple et dépouillée ; mais elle n’est que secondaire, toile de fond d’un film bien plus complexe, prétexte à un fabuleux exercice de style.

Mais alors, qu’est-ce qui vient enchanter ce synopsis de facture très classique ? Des détails, aussi absurdes que loufoques, et dignes d’un film de Wes Anderson. Il y a la présence de ce petit d’homme, qui s’obstine à souffler plus qu’approximativement dans sa trompette dans l’espoir d’en tirer quelques piécettes qui « l’encourageraient à apprendre à jouer ». Il y a le grand méchant, grand black bodybuildé, qui gratte tendrement sa petite guitare au cœur de la forêt après avoir démis la jambe de notre amie Romane à coup de batte de baseball. Il y a la présence de Guillaume, agent de libération conditionnelle, cliché du petit fonctionnaire qui ne fait que respecter les ordres, qui se prend d’amitié pour le couple peu traditionnel que forment les deux héroïnes. Ces détails, qu’accumule la narration, concourent à placer le film dans un espace-temps onirique, juste à côté de la réalité. Denis Côté se sert du réel, qui soutient tout de même l’économie narrative de l’œuvre, en lui retranchant ce qu’il a de plat et d’attendu au profit de motifs et de situations saugrenues et poétiques, propres aux rêves les mieux montés. Deux parties se distinguent dans le film, la première, un peu longuette, pose le contrat de lecture auquel est invité le spectateur, il s’agit d’une histoire réaliste traitée par le truchement du rêve : veuillez adopter le 5ème degré.

C’est bon on a compris Denis, on te suit. Alors, ça y est, on se laisse embarquer dans la seconde partie du film, qui montre la chute de l’histoire, bien plus déjantée et what the fuck que la première. Spoiler alert, je ne dirais pas un mot de la résolution de l’histoire, sachez juste qu’elle signe à elle seule ce que peut le Cinéma, c’est à dire tout. Denis Côté nous rappelle que les salles obscures sont les gardiennes d’univers où l’imagination n’a pas de limite, où tout est possible, tout est visible. A noter que cette dernière partie a quelque chose de tendre dans sa facture, on sent le réalisateur s’éclater derrière sa caméra et nous prouver qu’il est à sa juste place en endossant le rôle d’enchanteur.

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Vic + Flo ont vu un ours n’est pas qu’un film décalé et onirique. Il emprunte à plusieurs genres. C’est une histoire d’amour sincère entre ces deux femmes. C’est une ode à la liberté, incarnée par Florence, laquelle refuse de s’exiler dans les montagnes québécoises et veut expérimenter le monde et ses Hommes. C’est une tragédie où la fatalité, que le titre verbalise par l’ours, tient le rôle principal. C’est un triller violent qui oppose Florence à ses détracteurs. C’est un film teinté de féminisme en ce qu’il donne à voir deux héroïnes/régentes aux aspirations affirmées. C’est une réflexion sur la marginalité, le rachat, la famille et la tendresse. Le tout se déclinant en différents tons : grotesque, humour noir, tragique, pop. Mention spéciale également pour l’entêtante retro-pop du générique final, Pretty Day de Marie Moor.

Le film sera sur les écrans français le 4 septembre. Courez-y, sa liberté de ton prolongera vos vacances tout juste achevées.

Clémence Bisch