Même si le gothique est cité par beaucoup de critiques et d’analystes comme la forme la plus reconnaissable de l’œuvre de Tim Burton, celui-ci a su l’allier à un registre proche du psychédélisme – qui pourrait a priori paraître inconciliable avec le macabre qui transparaît dans le travail du cinéaste.

Apparu au milieu des années 1960, le psychédélisme se présente, d’après son étymologie comme un « révélateur de l’âme ». Ce mouvement de contre-culture, en lutte contre le consumérisme particulièrement vigoureux aux Etats-Unis pendant les Trente Glorieuses, valorise notamment les perceptions procurées par l’utilisation de nouvelles drogues hallucinogènes de l’époque, tels que la LSD, ou encore la consommation de champignons hallucinogènes. Les expériences sensorielles engendrées par l’ingestion de ces substances ont alors alimentées l’imaginaire de toute une génération d’artistes. Tim Burton, né en 1958 n’a pas pu y échapper. La question n’est pas ici de conclure à l’utilisation ou non de ces drogues par le réalisateur mais de comprendre l’influence de ce mouvement sur ses créations, et d’en percevoir les références. Le psychédélisme est en effet bien présent dans la filmographie de Burton, et ce à géométrie variable, de simple inspiration esthétique à pierre angulaire de certaines de ses oeuvres. Le cinéaste reconnait également l’impact de la philosophie du New Age sur son travail, courant philosophique et spirituel né dans les années 1980, véritable patchwork de croyances diverses (mêlant notamment hindouisme et bouddhisme) prônant une approche individuelle de la spiritualité.
Les films psychédéliques de Burton sont nombreux. Aladin et la lampe magique, une de ses premières réalisations, téléfilm sorti en 1986, s’inscrit particulièrement dans ce courant, du moins si l’on s’en tient à un point de vue visuel : le désert y est rose et les nuages bariolés. Charlie et la chocolaterie, ainsi que Alice au Pays des Merveilles, présentent également des décors kaléidoscopiques aux couleurs chatoyantes, défiant les lois de la perception. Le motif des champignons (en référence aux champignons hallucinogènes) y est, dans l’un comme dans l’autre, récurrent.

Le parallèle entre les deux univers est souligné par F. Boulègue[1]: « On accède à cette expérience intérieure [l’intérieur de la chocolaterie] via une petite porte au bout d’un couloir, trou de lapin qui n’est pas sans rappeler furieusement celle que devra emprunter Alice quelques années plus tard afin de pénétrer au Pays des Merveilles ».
Deux remarques de Willy Wonka sont particulièrement révélatrices du caractère hallucinogène du film : « Don’t lose your heads » (« Ne perdez pas la tête ! », qui peut également faire écho aux « Off with their heads ! » ou « Qu’on leur coupe la tête ! » de Alice au Pays des Merveilles) ou plus crûment encore « Try some of my grass » (« Essayez donc de goûter mon herbe » – le chocolat pourrait ici être assimilé à une drogue puisqu’il est reconnu que cette substance libère des endorphines). Ces personnages, qu’il s’agisse de Willy Wonka ou encore du chapelier fou, sont clairement d’essence psychédélique, de part notamment leur apparence physique. Il est en effet très facile d’imaginer Willy Wonka et son costume en velours pourpre dans les années 1960 !
Dans l’optique psychédélique, le rapport de Tim Burton aux effets spéciaux semble aussi évoluer. Les images de synthèse – en opposition aux effets spéciaux vieillis qui caractérisaient ses films gothiques – sont ici de rigueur. Les progrès de l’image numérique se mettent alors au service du réalisateur, et lui permettent d’explorer d’avantage l’aspect irréel de son univers, comme ce fût par exemple le cas pour Mars Attacks! et Alice au Pays des Merveilles.
Un mariage a priori contre nature entre gothique et psychédélisme
Mais la force de Tim Burton est de réussir à allier gothique et psychédélisme, le sombre et le bariolé, l’ombre et la lumière. Cette vision manichéenne est illustrée dans Batman, où le super héros – le plus sombre de ses pairs, une figure gothique par excellence – affronte le Joker qui représente la force de la couleur et du délire. Autre œuvre qui élucide cette opposition mais aussi cohabitation entre le macabre et le psychédélique, L’étrange Noël de Mr. Jack. Déambulant dans les décors gothiques d’Halloween Town, Jack bascule dans le tunnel menant à Christmas Town, chute qui s’apparente à un trip « psyché », tourbillon de couleurs et de formes clairement délirantes. De la même façon, dans Sleepy Hollow, c’est la sorcellerie qui tient lieu de moteur d’élargissement de la perception, face au monde gothique dans lequel évoluent les personnages.
L’exploration du psychédélisme mène donc à la transgression de toutes les barrières pour le réalisateur, et il n’y a plus dans ces conditions aucun frein réaliste à l’imagination macabre de Tim Burton.
Le mariage entre macabre et psychédélisme est élucidé par Burton grâce à l’élaboration d’une nouvelle approche du macabre, presque joyeuse. C’est Beetlejuice (1988) qui illustre le mieux ce développement. Ce film est à la fois morbide, bizarre et très amusant, décrit par McDowell comme un « film optimiste sur la mort ». Et c’est justement cela qui fait la spécificité de la création macabre burtonienne. « Quand tu parles de la mort, tu peux choisir une approche cruelle et horrifique, ou bien le style ‘Le Ciel peut attendre’, avec nuages et types s’avançant dans le brouillard (…). Ici les ténèbres devaient être colorées et pleines de lumières ». L’humour noir est donc l’arme de Burton pour confronter le spectateur à la mort. A l’occasion de la réalisation de Beetlejuice, Burton a l’idée de mettre en scène une sorte de salle d’attente de l’au-delà , et il réunit dans une même pièce l’assistante d’un magicien venant d’être coupée en deux par mégarde, et un homme brûlé vif d’avoir trop fumé dans son lit. Autre élément d’humour noir du film, les jeunes mariés, découvrent après leur accident de voiture (qui survient dès les premières minutes) un « manuel des jeunes décédés » qui a pour but de les informer sur leur statut post-mortem, sorte de « La mort pour les nuls ».

Au centre de l’image ci-dessus, un enfant fait face à un trou noir, symbole de la mort par excellence. A cette vision, tout autour de lui se colore de cette confrontation, et les jambes des adultes se transforment en monstres carnavalesques et bariolés.
On voit donc bien que la mort, le macabre, ne sont pas chez Burton des valeurs tragiques, mais constituent bien une échappatoire pour l’imaginaire, quelque chose qu’il est possible de percevoir autrement, quelque chose dont il est possible de rire.
Sarah Hillaireau
[1] in Yann Calvé et Jérôme Lauté, Tim Burton, Démons et Merveilles, Revue Eclipses n°47, décembre 2010, p26