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Yirmi Pinkus, rencontre avec le Plantu israélien

Pionnier de la bande dessinée en Israël, Yirmi Pinkus y fonde en 1995 le premier collectif dédié tout entier à cet art encore balbutiant à l’époque, Actus Comics. S’en suit ensuite pour lui une carrière de caricaturiste de renom, d’abord pour le premier quotidien de son pays d’origine, puis en Allemagne au sein du réputé Frankfurter Allgemeine Zeitung. A un peu moins de cinquante ans, il publie chez Grasset son premier roman, Le grand cabaret du professeur Fabrikant. Rencontre à l’occasion du festival How To Love au Petit Bain, à Paris, dont il est à l’origine.

[caption id="attachment_6932" align="alignleft" width="500"]Yirmi Pinkus Yirmi Pinkus[/caption]

Comment devient-on dessinateur de bande dessinée en Israël ? Comment avez-vous commencé et quelles ont été vos premières amours de BD ?

Depuis l’âge de 6 ou 7 ans je dessine des BD. A l’époque je lisais toutes les planches qui pouvaient me passer sous la main, principalement les Tintin et les Disney. Puis j’ai intégré l’université Belazel (ndlr : l’équivalent des Beaux-Arts en Israël) où j’ai rejoint la classe de Michel Kichka, la première consacrée uniquement à l’art de la bande dessinée.

Vous avez donc été à la fois témoin et acteur de l’apparition de la bande dessinée en Israël…

Il y avait quelques artistes avant nous mais en effet ils étaient très peu et ne formaient pas de « scène » à proprement parler. Notre révolution, en formant le collectif Actus Comics, a été de créer une cohérence, une dynamique collective. Nous avons été les premiers à publier en anglais et à avoir de la visibilité aux Etats-Unis, en France en Belgique…

Publier en anglais était donc un choix assumé, quasiment stratégique ?

Oui et non car nous n’avions pas vraiment le choix. Personne ne voulait investir le moindre centime sur des bandes dessinées en hébreu, et de toute façon les lecteurs étaient majoritairement anglophones – ou du moins comprenait l’anglais.

Donc oui, publier en hébreu aurait été un enferment underground contre-productif et auquel nous n’aspirions pas. Nous voulions que les gens lisent nos BD et personne ne l’aurait fait en Israël.

Le logo de votre collectif est intéressant car il semble très politique, bien que vous affirmiez qu’il soit le fruit du hasard et qu’il n’ait pas de signification particulière. Pensez-vous que l’on ait tendance à calquer systématiquement une dimension politique aux artistes israéliens ? Être un artiste israélien, c’est de fait être engagé politiquement ?

Tout dépend de ce que vous appelez « politique ». Certains disent que tout est politique, tout ce qui a trait aux relations entre les individus, au pouvoir…  Ce qui est certain c’est que cela ne se limite pas aux partis bien évidemment. Donc selon moi tout est politique.

Mais au départ, en plantant le décor de nos BD dans des univers totalement imaginaires, nous avions la volonté de nous débarrasser de toute démarche manifestement politique. Ce n’est qu’au fur et à mesure de notre carrière que nous sommes devenus de plus en plus « politisés ».

Personnellement, la bande dessinée n’a jamais été une idéologie. Pour beaucoup de mes amis, en effet, dessiner avait une valeur politique indéniable. Mais dans mon cas, c’était juste la représentation symbolique, imaginaire, d’histoires qui me venaient à l’esprit.

Avec Actus Comics, on produisait un nouvel album chaque année. Mais à part cet impératif financier – produire un album, le vendre pour récupérer des recettes qui serviront à la production du prochain album –, nous ne souhaitions être soumis à aucune obligation éditoriale. Pas d’agenda ; seulement la volonté de faire un travail de qualité.

[caption id="attachment_6933" align="alignleft" width="381"]Yirmi Pinkus « How to Love » Edition Actus Comicus Yirmi Pinkus « How to Love » Edition Actus Comicus[/caption]

Vous avez également longtemps été dessinateur pour des quotidiens nationaux, d’abord en Israël puis en Allemagne au Frankfurter Allgemeine Zeitung. Dessiner des caricatures tous les jours devait être un exercice radicalement différent de ce que vous aviez fait jusque-là, tant dans le fond que dans la forme, que dans le rythme de création…

Oui j’ai passé plus vingt années de ma vie à faire cela, dont trois ans de manière quotidienne en Israël. C’est un travail extrêmement fatiguant…

Comment fait-on pour trouver une nouvelle idée géniale tous les jours ?

Vous êtes entrainé. Tout ce qui se passe autour de vous est un potentiel sujet, une potentielle matière à inspiration. Nous sommes entourés d’ « opinions ». Mais c’est un exercice qui devient ennuyeux au bout d’un moment, car les problématiques sont toujours les mêmes, inlassablement.

Et vous êtes ensuite passé du dessin à l’écriture, avec la publication de votre premier roman Le grand cabaret du professeur Fabrikant qui sort en France chez Grasset. Comment s’est fait ce passage d’une discipline à une autre ? Pensez-vous que le dessin influence votre manière d’écrire ?

L’histoire de ce livre commence par hasard, il y a dix ans, alors que j’étais au Frankfurter Allgemeine Zeitung. A l’époque, on avait cette série de BD à propos de trois femmes juives. J’ai pensé que ça pouvait être plus qu’une simple bande dessinée et j’ai commencé à développer un roman graphique autour de l’histoire. J’ai écrit, écrit, écrit… tellement que je me suis rendu compte que je ne pourrai jamais le dessiner entièrement. Les illustrations ont donc peu à peu laissé place au texte, et c’est devenu un roman illustré.

Aviez-vous déjà écrit autant auparavant ?

Non, jamais. C’est en continuant sur cette idée, à écrire de manière quasiment impulsive et mécanique que le roman a vu le jour. Mais mon écriture est en effet très visuelle.

Revenons-en au festival How To Love, ici au Petit Bain. Comment le rapprochement avec l’équipe du HTL s’est-elle faite ?

Nous nous sommes rencontrés avec l’équipe de Petit Bain par un ami commun, Thomas Gabison, que j’ai connu à travers ma maison d’édition. Nous avons donc discuté tous ensemble et ils ont aimé le concept de How To Love, qu’ils veulent d’ailleurs désormais décliner chaque année en How To « quelque chose », avec un thème différent tous les ans. Mais mon rôle s’arrête là, et j’ai laissé le casse-tête de (l’excellente) programmation aux oreilles avisées de Petit Bain !

Entretien réalisé par Paul Grunelius.

Retrouvez le travail de Yirmi Pinkus ici – Merci à Johannès Bourdon et à toute l’équipe de Petit Bain pour leur accueil.