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D’art et d’eau fraîche : Chroniques de la vie artienne

 

Biennale de Venise 2013.

La Beauté s’apprivoise.

Elle ne se domestique pas.

Se rendre à la Biennale de Venise est une expérience unique de pure émotion.

Venise, la Sérénissime de l’art contemporain

D’abord parce que c’est Venise. La ville aquatique sans voiture, soumise à l’Aqua Alta, silencieuse et acoustique à travers laquelle on marche, on glisse, on flotte. Elle nous soumet à un rythme propice à l’introspection, la réflexion, le rêve, la spiritualité. On y dort bien. On y pense bien. Ses couleurs, sa lumière, ses reflets sont déjà une oeuvre d’art en soi.

[caption id="attachment_7093" align="alignleft" width="500"]Roberto Cuoghi, "Belinda", Biennale de Venise 2013 sculpture en argile, briques, ciment Roberto Cuoghi, “Belinda”, Biennale de Venise 2013
sculpture en argile, briques, ciment[/caption]

La 55ème Biennale de Venise

La Biennale ensuite est une remarquable opportunité de voir des oeuvres extraordinaires dans un cadre exceptionnel. Suivant les principes d’une Exposition Universelle, elle est dirigé par un curateur qui lui choisit un thème – cette année, “il  Palazzo Enciclopedico”, un palais imaginé par l’artiste italo-américain Marino Auriti en 1955 destiné à rassembler toutes les connaissances du monde- et des curateurs désignés par chaque pays invité. Des artistes venus de tous les continents se retrouvent les uns avec les autres non pas dans une compétition mais se faisant écho. Dans le même lieu, des africains, des américains, des asiatiques, des européens avec leur sensibilité, leur culture, ne s’affrontent pas, ne se mesurent pas comme dans une arène. Un dialogue s’engage où l’on sent bien qu’il y a une portée commune, un lien sous-jacent.

[caption id="attachment_7083" align="alignleft" width="407"]Lin Xue, Untitled, 2012, encre sur papier L’artiste chinois est présenté dans la même salle que la sculpture de l’artiste italien Lin Xue, Untitled, 2012, encre sur papier
L’artiste chinois est présenté dans la même salle que la sculpture de l’artiste italien[/caption]

Un succès de fréquentation

A cette époque de l’année où le temps n’est pas des plus radieux, une foule se presse. Elle est impressionnante. La Biennale a accueilli cette année pas moins de 400 000 visiteurs. Des jeunes, des groupes d’élèves, des bébés dans des poussettes, des parents, des personnes âgées, des handicapés dans des chaises roulantes parcourent le Giardino, l’Arsenal, sans se soucier de la fatigue ou des éléments.

L’Art, valeur refuge ou refuge de valeur

Quelque chose les porte, une soif qui ne se satisfait jamais. Plus on en voit, plus on a envie d’en voir. On s’enivre à la beauté. Au delà de l’aspect purement commercial (à cette époque de l’année, on est sorti depuis longtemps des journées professionnelles et marchandes, les collectionneurs et les galéristes sont partis, ce qui se caractérise d’ailleurs par un relâchement général dans l’accueil, l’entretien des oeuvres – poussière, projection sans réglage des vidéos – ) les individus de tous âges, de toutes origines semblent chercher une réponse. L’art serait-il la nouvelle réponse aux grandes questions de l’humanité face à la faillite des aspirations religieuses, politiques, scientifiques, à la déroute générale du “peace and love”?

La moisson 2013

Attention, les artistes ne donnent pas de réponse. Ils restituent, ils catalysent, ils transmettent une perception à travers des matériaux, des modes d’expression, des techniques. On peut noter pour la Biennale de Venise 2013, une prédilection de leur part pour l’art vidéo, la photographie, une nette influence de l’arte povera, l’utilisation de l’argile, une grande place faite à l’architecture et à la construction, très peu de part faite à la sensualité ou si peu provenant essentiellement d’artistes féminines, de plus en plus représentées.

[caption id="attachment_7084" align="alignleft" width="500"]Sarah Sze, Portable Planetarium, 2010, pavillon des Etats-Unis, Biennale de Venise 2013 Environnement imaginaire à partir d’objets abandonnés Sarah Sze, Portable Planetarium, 2010, pavillon des Etats-Unis, Biennale de Venise 2013
Environnement imaginaire à partir d’objets abandonnés[/caption]

Beaucoup d’oeuvres font montre des mêmes préoccupations:  ce qu’est l’homme, quel est son avenir et celui de son environnement. Elles clament le manque de respect de ce qui le fait vivre, le met en garde face à son autodestruction. Il y a comme une dénonciation générale de notre manque de responsabilité à survivre, qu’elle soit individuelle ou communautaire. Face à un accès à la connaissance largement facilité par les techniques modernes de communication, tout embrasser s’avère un travail titanesque, aliénant, impossible, qui nous fait perdre de vue l’essentiel: notre humanité.

Le lion d’Argent revient à une jeune française

L’Art contemporain ne doit pas s’enfermer au sens figuré et littéral dans une “tour d’argent”.

Si ce que disent les artistes à travers leur travail est ô combien intéressant, il faut aussi être capable de l’ analyser. Or l’art, aujourd’hui très conceptuel, comportant de multiples références liées à l’histoire de l’art, à une culture multiple et mondiale, à des techniques de plus en plus nombreuses et complexes, nécessite l’aide de spécialistes capables de nous expliquer, des chercheurs et penseurs cultivés, indépendants. 

Ces “travailleurs de l’ombre” dont l’avis est essentiel pour comprendre et apprécier la qualité des oeuvres ont de moins en moins voix au châpitre dans cette logique où l’oeuvre d’art est réduite à un placement financier, à une diversification patrimoniale. Ainsi, si Messieurs Pinault,  Arnaud, Abramovitch achètent une oeuvre d’art, immédiatement sa côte explose. S’agit il pour autant d’une oeuvre majeure? Avons nous affaire à des hommes éclairés comme ce fut le cas des collectionneurs du XIXème siècle ou alimentent-ils la spéculation ?

Un contre-pouvoir

[caption id="attachment_7082" align="alignleft" width="500"]Jeremy Deller, we sit starving amidst our gold, pavillon britannique, Biennale de Venise 2013 Autoportrait de l’artiste non dépourvu d’humour, il tient dans ses mains le yacht du milliardaire Olya Abramovitch  Jeremy Deller, we sit starving amidst our gold, pavillon britannique, Biennale de Venise 2013
Autoportrait de l’artiste non dépourvu d’humour, il tient dans ses mains le yacht du milliardaire Olya Abramovitch[/caption]

On perçoit bien l’urgence à se poser cette question de la nécessité d’organiser un contre-pouvoir pour que le monde de l’art ne soit pas réduit à un marché. Une fondation d’art ne m’intéresse que par la qualité des oeuvres présentées. Je ne suis éblouie que par le travail de l’artiste d’un point de vue historique et artistique. Sa valeur marchande ne m’impressionne pas. Il faut donc défendre à la fois les artistes, leur permettre de garder leur intégrité et les connaisseurs. Les protéger, les soutenir, les considérer et les faire connaître. Leur permettre de travailler dans la dignité et l’indépendance.

 

 

La Beauté s’apprivoise. Elle ne se domestique pas.

Catherine Dobler