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“Qatarina” de Gabriel Malika, ou la tragédie annoncée de Qatar 2022

Notre chroniqueuse Fatima Yalla (retrouvez ici ses chroniques dans la série “Doha dans l’oeil”) a interrogé, en exclusivité mondiale, l’écrivain Gabriel Malika au sujet de son nouveau roman,  Qatarina, une fable drôle et impertinente qui risque de faire du bruit.

Avec Qatarina, votre second roman, vous restez au Moyen-Orient.

Absolument. Mon premier roman, Les Meilleures intentions du monde, également paru aux Éditions Intervalles, se déroulait à Dubaï, une ville que j’aime pour son cosmopolitisme et son ouverture d’esprit. Avec Qatarina, j’ai mis le cap plus à l’ouest, vers cette petite péninsule où j’ai vécu et travaillé pendant deux ans.

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce roman ?

Le jour où le Qatar a remporté le droit d’organiser la Coupe du Monde de football en 2022. J’ai pris connaissance des modalités de cette organisation et je me suis posé deux questions très simples : sont-ils vraiment capables d’organiser un tel événement ? Est-ce une bonne chose pour le monde, et pour le Qatar lui-même ?

Vous parlez de la chaleur ?

Entre autres. C’est vrai qu’une température de 45- 50 degrés Celsius ne faciliterait pas les choses. Certains pensent pouvoir résoudre tous les problèmes avec l’air conditionné. Ils se trompent. Que feront les supporters, une fois sortis du stade ? Où se promèneront-ils ? Où iront-ils ?

La FIFA a déclaré que la Coupe du Monde pourrait avoir lieu en hiver. Qu’en pensez-vous ?

Les candidats à l’organisation de la Coupe du Monde qui ont perdu contre le Qatar (comme l’Australie ou les Etats-Unis) auraient le droit de protester car le Qatar a remporté l’organisation de la Coupe du monde sur la base de sa capacité à construire des stades climatisés, à les démonter et à les offrir aux pays africains, notamment.

N’était-ce pas une bonne idée ?

Une fausse bonne idée. Idéaliste et illusoire. Je vais vous donner une image. Que se passera-t-il si vous offrez une voiture à quelqu’un qui ne sait pas la conduire? Qui va lui apprendre? Comment va-t-il l’entretenir ? Donc, pour revenir à la Coupe du Monde, on peut légitimement se demander si le Qatar va envoyer ses citoyens en Afrique pour qu’ils coachent les équipes de maintenance locale. J’en doute.

Vous disiez que la chaleur n’était pas le cœur du problème. Pouvez-vous être plus explicite ?

Une Coupe du Monde de football va souvent de paire avec des mouvements de foule, de la consommation de boissons alcoolisées et de la prostitution. Croyez-vous que le Qatar soit prêt à faire face à ces trois phénomènes ? J’ai parlé à des Qataris, pas aux Cheicks qui signent les chèques, aux gens de la classe moyenne. Ils ne veulent pas de cette Coupe du monde. Ils en ont peur. Ces gens ne sont pas du tout prêt à recevoir une telle déferlante. Et dix ans ne suffiront pas à changer les habitudes et les mentalités.

Donc d’après vous, le problème n’est pas sportif ?

Le problème est socio-culturel. Une Coupe de monde de football n’est pas qu’une histoire de sport. Elle apporte avec elle un lot de rituels et de conventions qui ne seront pas du goût des locaux. Je vais vous donner quelques exemples. Que feront les supporters après les matchs ? Visiteront-ils le magnifique Musée d’Art Islamique de Doha ? Comment réagiront les autorités lorsque les supportrices du Brésil et d’ailleurs vont débarquer en petite tenue ? Nous sommes dans un pays ou le moindre soupçon de nudité suffit à déclencher l’ire des autorités. Y-aura-t-il suffisamment de monde dans les stades ? Sachant que très probablement, ni l’Inde ni le Népal ne seront qualifiés ! Que feront les autorités si des supporters n’ont pas d’hôtels ? Je ne pense pas qu’ils les feront camper dans les parcs (comme pour l’Euro en Ukraine). La liste est longue. Elle démontre qu’en achetant le produit « Coupe du monde », le Qatar n’a pas lu la notice. A-t-il réellement réfléchi à toutes ses implications ?

Ne peut-on pas compter sur le bénévolat des habitants du Qatar, sur leur enthousiasme ?

Je l’espère. Les Asian Games en 2006 ont été conçus comme une répétition générale des Jeux Olympiques ou de la Coupe du monde lorsque le pays rêvait déjà d’organiser un jour un grand événement sportif. Or ce qui s’est passé fut révélateur des problèmes à venir: les stades étaient vides car la population locale n’est pas sportive. Les qataris sont restés cloîtrés chez eux, peu habitués à la foule. Une foule composée d’athlètes, de préparateurs sportifs et de journalistes, puisque les touristes n’étaient pas au rendez-vous.

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Un consultant au service du Qatar tentait de m’expliquer que ce serait comme à Londres pour les Jeux Olympiques, qu’il y aurait des bénévoles plein les rues ! J’ai cru qu’il plaisantait. La mobilisation d’un peuple ne se fabrique pas en dix ans, il faut des générations pour cela. Si les Londoniens étaient dans la rue, c’est aussi parce que les V2 se sont abattus sur leur capitale en 1939-1945. La solidarité est un sentiment collectif qui se construit sur plusieurs générations, à travers les épreuves.

Etes-vous farouchement opposé aux initiatives du Qatar ?

Je ne suis pas contre le Qatar, je doute de l’organisation de la compétition dans ce pays, grand par son compte en banque, petit par son âge et sa taille. Le Qatar, en la personne de son Altesse Cheikha Mozah, a fait de grandes choses, dans le domaine éducatif et culturel notamment.

Pensez-vous que votre livre dérangera le Qatar ?

J’en doute. D’abord, parce que c’est une fiction – très réaliste, j’en conviens. Et ensuite, parce que le Qatar ne craint rien ni personne. Il a une arme à laquelle seules quelques âmes intègres peuvent résister : l’argent. Je pense plutôt que le Qatar pourra m’être reconnaissant. Mon roman va leur permettre de mieux préparer la Coupe du monde et d’anticiper les nombreux problèmes qui n’ont pas encore été soulevés par quiconque.

Comment avez-vous procédé pour écrire ce roman ?

J’ai interrogé, écouté, dialogué avec toutes les parties en présence : les journalistes, les organisateurs, les hôteliers, les milieux du sport, les joueurs de football, les supporters, etc. J’ai été étonné de voir à quel point ils doutaient du bien-fondé et de la pertinence de l’organisation de cette Coupe du Monde.

Alors pourquoi, à votre avis, le Qatar a-t-il tant voulu cette compétition ?

Parce qu’ils veulent à tout prix faire partie des pays les plus en vue du Moyen-Orient. La puissance de l’Arabie Saoudite les irrite. Le glamour de Dubaï les énerve. Cette Coupe du monde leur donne une chance de se faire connaître autrement qu’avec des gazoducs.

On a beaucoup parlé de la Coupe du monde en hiver. Pensez-vous que ce soit la solution ?

Comme je l’ai dit au début de l’interview, la température n’est pas le cœur du problème. Son altesse Cheikha Mozah s’était adressée à la FIFA en l’implorant de confier l’organisation d’une grande compétition au monde arabe. Au monde arabe, oui, pas seulement au Qatar ! Ce devait être la coupe du Moyen-Orient, avec des matchs à Dubaï, Abu-Dhabi, Bahreïn, Doha et Mascate. Je ne sais pas si vous vous rendez compte mais construire dix stades à Doha, c’est comme construire dix stades à Lyon ! D’une totale absurdité.

Dans votre préface, vous dédicacez le livre a ceux qui œuvrent  pour l’épanouissement de la culture arabo-musulmane. Pourquoi ?

Parce que, pour moi, la déception, elle est là. Le Qatar avait une vraie carte à jouer grâce à la la culture, et son alter-ego l’éducation. Le Musée d’Art Islamique est une merveille. Doha pouvait participer à une nouvelle dynamique du monde arabe, dans tous les domaines. Ils ont tout gâché. Ils ont fait des dégâts avec leur diplomatie approximative. Ils ont acquis cette Coupe du monde qui va finalement leur nuire. C’est dommage.

Votre personnage Qatarina existe-t-elle ?

Je me suis beaucoup inspiré d’une jeune qatarie qui milite pour l’émancipation des femmes dans son pays. Elle a beaucoup de courage.

Vous critiquez également le sport dans votre livre. Dopage, achat des joueurs, tricherie, le tableau que vous dressez n’est pas reluisant…

C’est une réalité. Et pourtant, le football gardera toujours sa magie. Parce que malgré les drogues, les entourloupes, il y aura toujours une grande part d’aléatoire. Le football est un des seuls sports au monde où une équipe de National peut gagner contre une équipe de Ligue 1. Essayez la même chose au rugby ! L’aléatoire existera toujours, la pure beauté du geste aussi. Le tir qui finit dans une lucarne doit peu au dopage, mais beaucoup au talent.

Comment vous est venue l’idée de ce sport qui n’existe pas encore, le Hole-ball ?

En lisant un livre sur les poilus de 14-18. J’ai tenté d’imaginer la naissance d’un sport au milieu des tranchées.

Je ne m’attendais pas a une telle fin. Croyez-vous vraiment que le scénario que vous avez imaginé est plausible ?

Hélas pour le Qatar et le monde arabe, je le crains.

Que peut-on vous souhaiter ?

Que les gens aiment le livre. Pour un écrivain, c’est la plus grande des récompenses.

Propos recueillis par Fatima Yallah