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“Pour en finir une bonne fois pour toutes avec les écoles de commerce” : 3 – L’anticonformiste

Lire l’épisode 2, Le pauvre

« Quand on voit ce qu’on voit et qu’on sait ce qu’on sait, on ne peut pas s’empêcher de penser ce qu’on pense » (Jean-Marc Reiser)

L’anticonformiste est un étudiant comme vous et moi, mais à ceci près que si vous le lui dites, il vous collera son poing dans la gueule. Lui aussi a préparé le concours d’entrée de son ESC pendant deux ans : mais il a délaissé les lectures classiques du préparationnaire (notamment les indigestes précis d’histoire du XXème siècle aussi sexys qu’un annuaire, ou « Géographie de la mondialisation par Laurent Carroué, vas-y tu vas voir c’est le pied ») au profit d’œuvres moins consensuelles. Pour les prolétaires qui ont préféré aller à Assas, sachez qu’un des principaux auteurs de livres utilisés par les préparationnaires fut colistier de Tixier-Vignancour et Le Pen aux élections européennes. Citons notamment Le Virus Libéral de l’économiste altermondialiste Samir Amin (aux éditions Le Temps Des Cerises, ça ne s’invente pas), un bouquin qui se lit comme un roman érotique : en notant les passages rigolos pour les relire ensuite à ses copains. Une fois intégrée son école de commerce, il en a gardé de drôles d’idées, comme fonder une asso Antenne du Parti Communiste de Jouy-en-Josas ou continuer à porter ses tongs jusqu’à ses trente ans.

« Si j’aurais su, j’aurais pas venu » (de Gaulle en 1964, lors de l’inauguration du campus)

[caption id="attachment_7818" align="alignleft" width="800"]© Jean Fraipont © Jean Fraipont[/caption]

L’anticonformiste est un personnage difficile à reconnaître de prime abord, mais l’œil aguerri saura le distinguer grâce à certains éléments qui ne trompent pas comme son absence totale de considération vestimentaire, quitte à avoir l’air d’un con, peu importe, ce qui compte c’est d’avoir l’air de quelque chose : ce renégat d’anticonformiste refuse l’odieux diktat du pull Abercrombie et du polo Ralph Lauren, et les Versaillais le mépriseront, lui qui n’est même pas fichu d’accorder sa chaussette gauche avec le troisième bouton de sa chemise, c’est tout de même un comble.

Commençons cependant par rendre à César ce qui est à César. Il faut reconnaître que l’anticonformiste, et c’est tout à son honneur, contribue à dénaturer le cliché de l’étudiant en Ecole de commerce, tel qu’un célèbre réalisateur de cinéma français, qui aurait mieux fait de continuer à filmer des prisons pour mineurs aux Etats-Unis, a tenté de le décrire dans un film au sujet à peine racoleur et destiné à montrer à la ménagère lambda que « l’élite technocratique qui s’apprête à la gouverner » (sic) n’est qu’un ramassis d’abrutis avinés et bovins, un argument que l’on retrouve notamment chez Joseph Goebbels et Patrick Sébastien. Il s’agit bien sûr de La Crème de la Crème de Kim Chapiron, qui raconte l’organisation d’un réseau de prostitution à HEC. Vu que ça n’a pas l’air acquis pour tout le monde, rappelons que c’est pour de faux, que Le Loup de Wall Street est également une fiction, et que le dernier sacrifice d’un nouveau-né sur le campus date d’il y a plus de deux ans.

« L’enfer, c’est les autres » (Jean-Paul Sartre) – « Les autres, ils t’emmerdent » (Simone de Beauvoir)

Entre ses cours d’esperanto (plus de place en volapük) et la préparation de son échange universitaire à l’université Amin Dada de Bourg-La-Vilaine, il occupe ses week-end comme il peut : il discute avec ses copains suédois sur Google+ (« Jag stöder helhjärtat den åsikten att, LOL ! »), visite le musée de la toile de Jouy avec ses copains pauvres ou enculés, ou va faire un tour à la fête de l’Huma, où il cachera piteusement sa véritable identité (« Je suis en L3 d’économie à l’université Louise Michel de Jouy-en-Josas »). Il fait partie de ces gens qui vont à l’Huma pour autre chose que la bière pas cher, Iggy Pop pas cher ou se mettre super cher. Que nenni : il est là pour demander à Bernard Thibault s’il sait où sont les chiottes et découvrir qu’ « HEC » est une marque super famous d’objets de déco produits par des altermondialistes chinois (true story).

« J’ai toujours rêvé d’un monde meilleur. Où le bonheur serait loi. Où les soldats seraient troubadours. Mais aujourd’hui j’ai changé. Aujourd’hui, j’en ai plus rien à branler ». (Alain Chabat)

Mais tout ne va pas forcément pour le mieux dans le meilleur des mondes. Loin s’en faut. Il s’agit dans un premier temps de distinguer le mec cultivé, intéressant et qui a ses propres idées, de l’anticonformiste complètement pédant qui pense qu’être intelligent et unique, c’est dire systématiquement le contraire de ce que pense son voisin de table au RU. L’anticonformisme est un caractère acquis, devant être vaillamment défendu : l’anticonformiste cherchera alors en toutes occasions à crier le plus fort possible au monde entier à quel point il diffère de la plèbe. Il snobera tout ce qui lui déplait d’un simple « too mainstream » qui le laissera rempli de suffisance.

Il s’agit également de ne pas mettre tout le monde dans le même sac. Parfois, ses anciens rêves refont surface. La lecture des journaux décrivant l’état du monde le laisse pantois. Vraiment. Il a vaguement l’impression que quelque chose ne tourne pas rond. Qu’il faudrait faire quelque chose. Que ce sera dur, qu’il a encore du temps devant lui, mais que les autres ne seront pas forcément là pour l’aider. Ca le rend triste. Malgré tous ses défauts, il est heureux de savoir qu’il y a encore quelques anticonformistes parmi nous, capables d’organiser la résistance gramscienne face à l’uniformisation culturelle, et à la pensée unique. Cinquante siècles de civilisation pour en arriver là…

Camille Gontier