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Tonnerre, de Guillaume Brac : One from the Heart

“Honte à toi, femme à l’œil sombre,

Dont les funestes amours,

Ont enseveli dans l’ombre

Mon printemps et mes beaux jours”.

Sorti il y a maintenant deux semaines, Tonnerre est le premier long de Guillaume Brac, remarqué déjà pour son merveilleux moyen-métrage en 2012, Un Monde sans femmes, qui racontait la solitude de personnages gentils, doux, inadaptés au point d’être forcés à vivre dans un monde où les femmes ne passaient jamais plus qu’en coup de vent, pendant les vacances, éphémères comme des fantômes. Avec Tonnerre, le jeune cinéaste se lance dans quelque chose de plus risqué, de plus furieusement romantique aussi : un autre versant du même amour, plus sombre et passionné.

Rover

Vincent Macaigne y interprète Maxime, jeune rocker venu se ressourcer chez son père (le tonitruant Bernard Menez, tout droit sorti des films de Rozier) dans la petite ville enneigée de Tonnerre. Là-bas, par hasard, il rencontre Mélodie (Ah! Melody! Tu m’en auras fait faire, des conneries…), jeune journaliste locale, pleine de doutes et de charmes. C’est le début de l’amour, les balades en ski de fond et les guilis dans le lit, jusqu’au jour où Mélodie décide de disparaître. Pour Maxime, la chute est rude. Trop rude, même, pour accepter d’en rester là. Sa passion (ou sa folie) le poussera jusqu’aux dernières extrémités afin de retrouver sa Mélodie.

La beauté du film de Guillaume Brac – car beau, il l’est – tient dans cette habileté étonnante à allier une vraie poétique du quotidien avec la force des plus grandes histoires d’amour. Tonnerre est ainsi parsemé de scènes au contenu profondément banal mais dont il ressort une splendeur inattendue (Rozier, m’entends-tu ?), comme si c’était dans ces moments-là que se jouait véritablement notre vie, que se définissait intégralement notre bonheur. Ainsi cette scène hilarante au restaurant, où un vieux monsieur qui peint des sapins vient vendre ses Å“uvres aux deux amoureux. La complicité entre Maxime et Mélodie est alors à son comble mais elle n’est pas feinte tant la scène semble avoir été improvisée sur le moment. Et ce vieux monsieur offre probablement parmi les plus beaux plans de Tonnerre. Le fait de faire apparaître de véritables habitants de la ville, des connaissances du réalisateur, jouant leur propre rôle, ajoute à cette tendance relativement naturaliste dont se réclame le film autant qu’elle témoigne de cette volonté de donner à la ville le rôle principal, comme si Tonnerre était un lieu magique, perdu dans le temps et l’espace, où les sentiments s’exalteraient et s’exacerberaient.

Ces scènes ont aussi pour elles d’ouvrir le champ des possibles, d’offrir la possibilité à des personnages secondaires – voire des figurants – de prendre le film à bras le corps et de l’amener dans des directions qu’il n’aurait jamais empruntées s’ils n’avaient pas été là. Je prends pour exemple cette scène où Hervé (Hervé Dampt, qui possède donc effectivement un vignoble à Tonnerre) donne un pistolet à Maxime. La scène pourrait paraître totalement incongrue – et en un sens elle l’est – tant elle détonne avec la première moitié du film par sa noirceur et par cette évocation – claire et sans détour – de la mort. Mais c’est justement dans cette absurdité et dans cette fragilité qu’elle en devient touchante et finalement troublante, faisant basculer définitivement le film dans le drame.

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Le drame, pourtant, était déjà là depuis longtemps. Il faut voir ainsi Tonnerre deux fois pour se rendre compte de la manière dont Guillaume Brac plante subrepticement les graines de la tragédie dès la première partie du film. Plus lumineuses que la seconde partie, plus drôles, plus légères (magnifique scène où Macaigne se met à danser devant une Mélodie amusée), les 30-40 premières minutes de Tonnerre n’en restent pas moins constamment hantées, comme un souffle qui passe, par la possibilité du malheur (les vers de Musset, clamés par Menez, sont éminemment prophétiques).

De cette façon, Tonnerre est un film totalement empreint de poésie romantique, où Maxime serait un alias d’Octave, le héros désabusé de La Confession d’un enfant du siècle, déçu par l’amour et la traîtrise des femmes. L’amour, chez Guillaume Brac, vient remplir le vide de l’existence. C’était déjà le cas dans Un Monde sans femmes, mais dans Tonnerre le réalisateur va encore plus loin, s’éloignant d’un naturalisme revendiqué pour effleurer une poésie proche du fantastique (on retrouve encore l’influence d’Alfred de Musset), comme une indication que la romance entre Mélodie et Maxime n’appartient déjà plus au monde des humains mais touche plutôt à quelque chose de divin.

Mais Tonnerre est un film moderne, et là où la vision romantique d’un Musset paraîtrait aujourd’hui teintée d’une misogynie sans fard, ne cherchant jamais à comprendre les femmes et les accusant plutôt de tous les maux, Guillaume Brac ose poser à plat les sentiments, faire parler Mélodie, la source du malheur. Le cinéaste a cette sensibilité inouïe qui le pousse, à l’instar d’un Maurice Pialat ou d’un Judd Apatow (Maxime porte d’ailleurs un magnifique T-Shirt « McLovin », ce n’est pas un hasard) à éprouver de la tendresse pour chacun de ses personnages, ne les jugeant jamais par leurs actions, leur laissant l’occasion de s’expliquer pour, finalement, accepter leurs failles.

Cette acceptation est ce que vers quoi tend le film tout entier. Car si Tonnerre parle de désillusion, du vide, de la traîtrise, il est surtout et plus que tout le reste un film sur le fait de devenir adulte. La relation entre Maxime et son père est symbole de ce cheminement accompli par le personnage : d’abord plutôt conflictuelle, elle se transforme au fur et à mesure du film en une camaraderie, une compréhension mutuelle. L’amour qu’a connu Maxime et la perte qu’il a subie, les folies qu’il a commises pour récupérer Mélodie, leur extrême violence, sont le prix à payer pour grandir. A la fin du film, Maxime peut enfin partir se balader à vélo avec son père, comme celui-ci lui avait proposé au début. Débarrassé de ses souffrances, il peut enfin quitter Tonnerre.

Eliott Khayat

Vous pouvez retrouver Eliott Khayat sur son excellent blog, Les Films de Bob.