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Paris International Festival of Psychedelic Music : “Se détacher du cliché du psychédélisme”

Depuis quelques années, la musique psychédélique revient sur le devant de la scène internationale. Que ce soit à Austin, Berlin ou Liverpool, le psychédélisme s’exprime enfin à nouveau, retrouvailles orgiaques faites de reverb, de fuzz, de guitares saturées et de batteries hypnotiques. Ce n’était donc qu’une question de mois avant que ce revival psyché n’atteigne notre bonne vieille capitale. C’est le cas avec le Paris International Festival of Psychedelic Music qui, pour sa première édition, convoque noms émergents de la scène française, monuments incontestables du genre et électroniciens de l’ombre.

Rencontre avec l’avant-garde du psychédélisme en France.

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Pourquoi avoir entrepris d’organiser un festival psychédélique alors que vous êtes connus, avec votre collectif Refraktion, pour des soirées plutôt techno entre Paris, Londres et Berlin ?

Michael : Nous essayons de faire un mix entre soirées techno et concerts psychédéliques. La première Refraktion, c’était un concert psyché à Londres par exemple ; on a aussi eu Follakzoïd et Camera à Berlin il y a peu. Nous avons toujours voulu montrer les artistes que l’on aimait, quelque soit le style musical et sans se fixer de barrière au niveau du genre.

Concernant le festival, cela faisait un bout de temps que nous avions ça en tête avec Tom et Mark (ndlr : les autres fondateurs du festival), et puis en décembre on s’est dit qu’il fallait le faire, que c’était le bon moment. Il y a une émergence de la scène psyché, notamment en France, avec de plus en plus de groupes et de concerts programmés. On a rencontré les bonnes personnes au bon moment, notamment les gens de la Machine du Moulin Rouge qui soutiennent et portent ce projet depuis le début. Nous avons trouvé des gens qui ont soutenu le projet, et tout est allé très vite, on a lancé le festival en décembre, lâché le premier nom (The Soft Moon) deux semaines après, puis d’autres groupes tout au long de janvier et la fin de la programmation début mars. En quatre mois, nous sommes donc partis de rien, pour arriver à quinze groupes, des DJs et un festival en ordre de marche.

Qu’est-ce qui fait selon-vous l’intérêt de la culture psychédélique ?

Michael : Nous sommes très intéressés par cette culture psychédélique, tout particulièrement par la pluralité des medias qui en découle. Dans l’idée du festival, on a vraiment cherché à donner une place très importante à la partie artistique au sens large, c’est quelque chose qui nous différencie beaucoup des autres festivals de psyché qui sont uniquement centrés sur la musique.

Anastasia : C’est intéressant car au début ce n’était pas tout à fait prévu ainsi. La partie artistique a pris de l’ampleur au fur et à mesure que le festival en a pris aussi.  Quand Michael et Tom m’ont proposé le boulot, je trouvais que la partie artistique était indissociable de la culture psychédélique et donc qu’il fallait lui accorder cette importance.  On travaille sur des expos qui sont axées sur la diversité des médias : il y aura de la 2D, beaucoup de vidéo.

Je me suis toujours beaucoup intéressée à la culture psychédélique, j’ai fait ma thèse dessus. Les affiches des concerts dans les sixties et seventies avaient quelque chose de vraiment caractéristique, de très identifiable.

Pourquoi avoir choisi la Machine pour organiser le festival ? C’est un lieu très connu pour ses soirées techno, y a-t-il un risque que ça ne colle pas avec la musique jouée ?

M : C’est un lieu qui est a la fois axé concerts – notamment des concerts de rock, hip hop et musique électronique – et soirées techno. Il y a pas mal de groupes de rock qui ont déjà joué à La Machine ; les Black Lips par exemple y sont passés il y a quelques temps, comme beaucoup d’autres groupes reconnus.

Ensuite on a choisi la Machine car on cherchait un lieu avec deux scènes, ce qui pour nous était un critère indispensable pour un festival de psyché. C’est une des seules salles à Paris où l’on peut avoir cette configuration. Il faut aussi dire que les gens de La Machine ont directement cru au projet et cela s’est fait tout naturellement.

L’idée est évidemment de trouver d’autres lieux pour les éditions prochaines, quelque chose de plus grand et en extérieur notamment.

C’est une excellente alternative pour un premier festival, et c’est une jauge assez bonne pour commencer avec 1250 personnes au total. Viser plus haut aurait été trop ambitieux, plus bas n’aurait pas été possible parce que nous avons beaucoup de groupes et donc des contraintes financières importantes.

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Comment expliquer que ce courant musical ait longtemps été ignoré ces dernières années à Paris, alors que des villes comme Liverpool, Berlin ou Austin ont développé des festivals psychédéliques bien plus tôt?

M : Je pense que la France reste un pays assez conservateur musicalement parlant, les choses arrivent généralement après peu importe les courants musicaux. Il y a évidemment quelque exceptions, mais c’est vrai que l’on est souvent un peu en retard là-dessus.

Mais en fin de compte, ça n’a pas mis tant de temps que ça. Le festival de Liverpool a trois ans, et sachant que l’Angleterre est beaucoup plus axée sur la musique c’est un peu dans l’ordre des choses. Si ce festival était arrivé un an avant, est-ce que ça aurait autant marché ? Est-ce que ça aurait pris une telle ampleur ? Depuis un an en France, il y a une émulation au niveau de la musique psyché, tu as beaucoup de concerts, beaucoup de groupes qui se forment, le nombre de requests de groupes psychédéliques français que l’on a reçues est vraiment hallucinant ! Et il y a vraiment selon moi un renouveau du psyché, de sa musique, sa culture. Si tu regardes la programmation des Nuits Sonores, elle est quand même bien plus psychédélique que les années précédentes. Je reste convaincu que c’était vraiment le bon moment pour monter ce festival.

Comment allez-vous développer le côté artistique et visuel du festival ?

A: Pour le Batofar et l’I.Boat, ça sera en plein air. La première expo qu’on fait s’appelle Brainwaves, elle sera itinérante entre Bordeaux et Paris, complètement dans la tradition psychédélique donc. Cette exposition se concentre sur de la 2D, accompagnée par des projections vidéo.

Pour la grande exposition, on cherche des galeries en intérieur parce qu’il va y avoir une grande partie de happenings et de performances, ça va être très complet comme programme.

En happenings, on a prévu des concerts acoustiques d’instruments comme la cithare, axés sur la relaxation, sur la libération du mental, la méditation. Il y aura des performances d’expression corporelle, de danse.

Il y aussi un côté très multiculturel dans la recherche des live acts, c’était important pour moi de montrer l’étendue de l’univers psychédélique sur différentes civilisations, à différentes époques : il faut à tout prix se détacher du cliché étriqué que subit le terme.

On souhaite aussi organiser des movie-nights, avec des projections de films des sixties et des seventies. On veut montrer que le psychédélisme en soi est un terme qui englobe une multiplicité de choses, de médias. Il faut que ça soit un ressenti, que ça soit une expérience.

M: L’idée est vraiment de faire découvrir aux gens qui ont une idée réductrice du psychédélisme qu’il y a plein de choses derrière ce terme, et qu’on peut le vivre de différentes manières. C’est un mouvement qui n’a pas été là pendant un certain nombre d’années, et maintenant que tu as ce renouveau beaucoup de gens ne savent pas exactement ce que c’est.

A : Il y a un gros amalgame sur le psychédélisme, avec les seventies, les hippies, « on prend de la drogue, on est à Woodstock et c’est vachement marrant », mais le psychédélisme à l’origine, c’est un terme qui étymologiquement parlant veut dire « libération de l’esprit », dès lors on veut montrer que c’est une notion qui s’applique à beaucoup de sujets.

Dans le choix de la direction artistique musicale, y a-t-il une volonté d’élargir les frontières de la musique psychédélique ? Je pense notamment à Zombie Zombie, où aux DJ sets du label In Paradisum.

M : Nous avons été dans une démarche – critiquée par certains – de s’ouvrir le plus possible à tous les styles qui sont à cette frontière dont tu parles. Zombie Zombie ce n’est pas du rock psychédélique, mais ça reste de la musique psyché. C’est un peu pareil pour In Paradisum finalement. Ils ont une esthétique que l’on adore et qui colle carrément avec un festival de musique psychédélique. Nous sommes dans une démarche qui est celle de briser les frontières musicales. La musique psychédélique englobe énormément de styles musicaux différents et nous n’avons pas du tout voulu nous fermer à tel ou tel style.

A : Je pense aussi que le psyché dans un groupe ou dans une musique, tu l’entends si tu as envie de l’entendre. La perception du psyché est propre à chacun. Si tu écoutes Mondkopf et que tu commences à divaguer dans tes pensées, et bien il y aura un côté psychédélique dans cette musique.

Quel groupe – que tu n’as pas eu – aurais-tu aimé programmer pour cette première édition du festival ?

M : Il y en a beaucoup ! Je pense à un groupe qui s’appelle Goat notamment, ils jouent avec des masques, c’est un truc un peu tribal et on les aime beaucoup.  En fait il y a les groupes que je n’ai pas pu avoir pour des questions de disponibilité, et ceux que je n’ai pas pu avoir pour des questions financières. Les Black Angels et le Brian Jonestown Massacre par exemple c’était une question d’argent. Nous avons un format de festival encore trop petit pour les accueillir.

Pour ceux que l’on n’a pas a eu pour des raisons de disponibilités, il y a les Psychic Ills, Night Beats… Ça a failli se faire jusqu’au dernier moment, et cela ne s’est pas fait. Ce sont des groupes américains, il y a la question des visas : il faut qu’ils aient un certain nombre de dates pour venir en Europe. Wooden Shjips aussi on aurait aimé les avoir. Au final sur trois cent requests tu en ressors avec trente qui disent oui, et tu fais ton puzzle financier et artistique, en essayant de voir qu’est-ce qui match avec quoi, quel jour…

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les artistes exposés ?

A : Je suis en école d’art à Londres et j’ai autour de moi plein d’artistes absolument incroyables qui vont exposer. Il y aura des artistes anglais, allemands, français évidemment. C’est le plus souvent des artistes de la scène émergente. Le monde de l’art est terriblement dur pour quelqu’un qui se lance, et c’est avec joie que je réunis des talents comme ceux qui vont s’exprimer pour l’exposition.

On a posté une submission sur la page Facebook, et des artistes de New-York nous ont contactés. Des gens d’Inde aussi. On ne s’attendait pas à avoir autant de réponses internationales ! On a même eu plus de réponses internationales que françaises.

Est-ce que tu penses – pour les prochaines éditions – organiser le festival à l’étranger ?

M : Probablement pas a l’étranger, il y a des gens qui le font déjà très bien dans d’autres pays. En revanche, on a le projet d’organiser une édition de mi-saison, probablement en hiver, dans une autre grande ville de France. L’idée est de faire une édition réduite sur deux jours, avec trois ou quatre groupes par jour et une partie artistique visuelle.

Penses-tu à des partenariats avec d’autres festivals psychédéliques comme Angers l’a fait avec Austin ? Ou préfères-tu rester indépendant ?

M : Je pense que pour le moment il n’y a pas d’intérêt pour nous à développer un partenariat avec une autre ville, parce qu’au bout du compte nous sommes tous des festivals indépendants et cela fonctionne plutôt bien comme cela. Il y a un lien très fort en Austin et Angers, ce sont des villes jumelées. On arrive tous à vivre tranquillement de ce qu’on fait, on est indépendant, mais ça ne nous empêche pas de nous serrer les coudes. En somme le psyché, c’est un peu une grande famille où nous nous soutenons tous.

Retrouvez le Paris International Festival of Psychedelic Music sur Facebook, et les 4, 5 et 6 juillet à la Machine du Moulin Rouge & la plage du Batofar.

Propos recueillis par Rémy Pousse-Vaillant