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Tom Terrien : “L’outil électronique est un moyen de maîtriser son idée”

Tom Terrien se rapproche d’une figure presque disparue : l’homme de musique. C’est-à-dire cet artiste pluridisciplinaire qui étend son activité de la composition à l’interprétation (et même au mixage pour Last Decade), de la partition à l’instrument, en embrassant des genres hétéroclites. Chacun de ses projets, jazz (Minimal Orchestra), techno (Ttomh) ou electronica (Tom Terrien), semble s’allier naturellement à une Å“uvre d’ensemble singulière et intime.

Avant tout, peux-tu resituer le projet de Tom Terrien par rapport à ton parcours musical et tes autres projets (Minimal Orchestra, ton projet techno) ?

Le projet « Tom Terrien » existe depuis que j’ai 12 ans, à faire mes petits morceaux dans ma chambre, à les enregistrer sur cassette pour les faire écouter à mes amis et ma famille, et depuis j’ai toujours fait ça, sauf que je n’avais jamais vraiment trouvé l’opportunité, les moyens techniques, le temps, de le sortir de ma chambre jusqu’à maintenant. Plusieurs paramètres ont fait que ces trois dernières années ont rendu la chose possible, la rencontre avec l’association Call Forth (Bastien Rabois), une « pause » sur le projet Minimal Orchestra (pour lequel je travaille de nouveaux tracks en ce moment), et du nouveau matériel.

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Quand et comment est arrivée l’envie de mener un projet personnel en complément de ces aventures collectives ?

Comme je te l’ai dit plus haut, ça ne m’a jamais vraiment quitté. Mais effectivement, il y a environ 3 ans, les choses se sont précisées avec la rencontre de Bastien qui avait entendu sur le net une première tentative de projet solo, un album que j’ai appelé « Be Glad » qu’on peut d’ailleurs trouver sur Bandcamp… Et son enthousiasme m’a contaminé, mais surtout motivé à persévérer dans la voie du « solo », un peu animé aussi par une plus grande envie d’autonomie, d’approfondir et de pousser mes capacités de composition le plus loin possible. Et pour ça, rien de mieux que se retrouver seul face à ses outils, non ?

Tu es instrumentiste, ce qui s’entend beaucoup dans Last Decade. Quand tu as composé ce projet électronique, l’instrument était-il toujours central ou as-tu suivi un processus plus dématérialisé ?

Oui, étant pianiste, ma méthode passe toujours par le clavier, même dans la programmation de batteries par exemple. L’outil électronique pour moi représente surtout un moyen de maîtriser son idée au maximum, autant dans la  précision que dans l’instabilité. Mais j’ai une affection particulière pour le côté surprenant et instable de l’électronique analogique, que le numérique va permettre de « cadrer » à l’avenir.

On peut noter une utilisation de l’arythmie et  du silence dans cet EP. A quel point le jazz t’influence-t-il encore et quelle liberté prends-tu par rapport à la contrainte du genre musical ?

Oui, j’écoute beaucoup de jazz, j’en joue beaucoup aussi en trio, solo piano… Il m’influence donc évidemment énormément dans la complexité des harmonies, la richesse du développement, l’improvisation. Par exemple, le premier track de l’EP « Last Decade » est un genre d’ « improvisation traitée »…

L’aspect home made de ta musique est-il une façon de produire un son plus intime selon toi?

Non, je ne pense pas que le fait de composer chez soi change le caractère intime ou non d’une musique. Ceci dit, tout le monde peut faire de la musique à la maison, et ça donne plein de directions possibles ! Aussi violentes qu’intimes, que dérangeantes, ou cérébrales…

L’intimité se joue sur la fragilité qu’on va insuffler dans sa composition je pense, l’émotion qu’on va y mettre, comment on va se perdre dedans : par tous les moyens possibles et imaginables !

Après quelques recherches, notamment sur la captation faite par Arte, il me semble que le live a une importance toute particulière pour toi (alors que dans ce registre musical il est souvent délaissé). C’est pour ce moment de partage devant un public que tu fais de la musique ?

J’ai ce rapport assez paradoxal à la musique : je suis tout autant transporté par ces moments où tu te crées un instant précieux et fort, à fond en train de développer un morceau, d’improviser seul chez toi, que par les concerts où, là, l’intimité et l’énergie se partagent, où il y a du challenge, les réactions immédiates des gens en face.

En fait, j’aime beaucoup jouer, où que ce soit !

Certains passages m’ont semblé porter une influence d’artistes comme Access to Arakasa, Plat sans vouloir se cantonner à l’étiquette IDM/ambient. As-tu de grands modèles contemporains dont tu t’inspires ?

Oui bien sûr, j’écoute ceci dit beaucoup de musiques différentes. Et j’essaie un maximum de m’affranchir des « courants », pour donner plus de place à mon imagination émotive. Mes influences peuvent aller de Miles Davis à Ryuichi Sakamoto, ou de Autechre, Phoenecia, à Dutilleux, Chopin, Eric Dolphy… Tout ça se mélange dans mon inconscient et donne ce que tu as pu entendre, mais surtout attise mon envie de réaliser encore plein de fantasmes musicaux aussi variés que possible.

Last Decade est le premier volet d’un triptyque. Pourquoi ces trois sorties distinctes ? Cela a-t-il influencé ta manière de travailler ?

La décision de sortir ces EP en trois fois est venue après coup, j’avais ces 14 morceaux prêts, et en cherchant l’ordre de la tracklist, j’ai réalisé qu’elle pouvait se diviser vraiment en 3 parties distinctes… Et vu qu’à l’heure actuelle, en tant qu’artiste « émergeant », il est souvent préférable de distiller sa musique petit à petit, j’ai choisi cette direction, en partenariat avec Call Forth et la distribution digitale avec Plug Research est arrivée à point nommé ! Tout s’est un peu enchaîné de manière assez fluide et logique.

Mais pour la suite je compte bien un peu plus réfléchir mes sorties, faire des formats plus spéciaux, etc.

Tu es très implanté sur la scène toulousaine, et ta musique prouve à ceux qui le pensaient encore que l’innovation ne vient pas nécessairement de Paris en France. Est-ce un aspect que tu prends en compte ?

Je pense que ça fait un bon moment que « l’innovation » s’est décentralisée. Plein de villes comme Lyon, Nantes, Toulouse, ont une politique de développement culturel tout aussi riche. Pour moi, l’important c’est l’échange et la rencontre, la spontanéité et l’authenticité, qui permettent une créativité, et même une diffusion efficace… peu importe la ville. Et puis, tout le monde le sait maintenant, avec internet tout a changé à ce niveau-là !

Entretien réalisé par Arthur Godard Saulgeot

Plus d’informations sur http://tomterrien.bandcamp.com/