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Frustration : “J’aime l’élégance dans le rock” (2/2)

Retrouvez la première partie de l’entretien avec Frustration ici.

Ça fait un peu plus de dix ans que vous existez, qu’y avait-il avant Frustration, et qui étiez-vous ?

Frustration est issu de deux groupes : Steve & the Jerks, qui est devenu Anteenagers et chez qui il y avait le clavier et le guitariste de Frustration, et les Teckels, groupe de Oi où il y avait Marc à la batterie, votre serviteur au chant et Manu, notre ancien bassiste. On a tous joué dans plein de groupes, sorti plein de vinyles.

[caption id="attachment_8920" align="aligncenter" width="500"]Frustration (c) Born Bad Records Frustration (c) Born Bad Records[/caption]

Tu parles de votre clavier, ça me permet de te demander : sur Uncivilized, votre dernier album, il y a une présence beaucoup plus grande des synthés au sens large, et l’impression à l’écoute est plus « électronique »…

Ce qui s’est passé c’est qu’au moment où j’ai fondé le groupe en 2002, on a commencé en quatuor classique : guitare, basse, batterie, voix. Très original, je sais (rires) ! On a répété trois ou quatre fois dans cette formation, puis on s’est vite aperçu qu’avec ma voix et surtout la guitare de Nickus, qui font très Joy Division, on allait tenir six mois et ça allait se casser la gueule. Il n’y avait plus de place pour Junior qui était bassiste, donc on l’a mis au synthé. On lui a bien dit : « Attention bonhomme, ce ne sera qu’un morceau sur quatre », mais il est doué et ça a pris de plus en plus de place dans le groupe. Il y a aussi nos goûts qui sont devenus plus électroniques par moments, et ça s’est fait de manière assez naturelle finalement.

Tu mentionnes Joy Division à qui vous êtes très souvent comparés, j’aurais envie de relativiser ce rapprochement qu’on voit partout : autant je comprends en quoi votre esprit, tes mouvements sur scène, la basse parfois peuvent vous rapprocher de ce groupe, mais je trouve que dans l’ensemble c’est quand même un vrai raccourci que de vous limiter à une sorte de « Joy Division français »…

Déjà, contrairement à Ian Curtis, sur scène je ne suis pas épileptique. Mais il y a eu un moment où j’en ai eu marre de me limiter et j’ai eu envie de me lâcher. C’est une musique qui est propice aux mouvements cadencés, mécaniques comme ceux-là. Mais oui, je suis d’accord avec toi, c’est un raccourci. Je pense qu’en plus de mes mouvements et des sons « bas de manche » de la basse, il y a une histoire d’attitude qui explique cette comparaison. Je suis hyper fan de Joy Division et de Ian Curtis – bien que pas du bonhomme, un peu trop droite libérale pour moi – mais j’ai bien d’autres influences que lui au niveau vocal, comme Nigel Lewis qui était le premier contrebassiste des Meteors, une espèce de grand saucisson d’un mètre quatre-vingts qui a fait un groupe après qui s’appelle les Escalators, puis un autre qui s’appelle les Tall Boys, et qui fait du rock avec une voix assez grave (il chante). Il y a des choses que j’aime bien développer dans les voix graves, à l’image de ce que faisait Curtis, lui-même influencé par Morrison des Doors. Je n’ai pas du tout honte de cette influence d’ailleurs : je ne mettrai jamais de pantalon en cuir sur scène ou je ne sais quoi, mais j’aime bien cette chose dans ma voix qui tient quelque part du romantisme noir. J’aime l’élégance dans le rock en fait.

Tu es d’ailleurs connu pour tes polos boutonnés jusqu’au col, c’est très anglais comme look…

Je ne sais pas si c’est anglais, je dirais que c’est edwardien. Je suis aussi toujours avec des feux de plancher qui m’arrivent quasi aux genoux (rires). En revanche le truc que j’aime beaucoup niveau attitude c’est le look à l’anglaise type Sham 69, notamment les vestes et les chemises super serrées que je trouve très élégantes. J’aime beaucoup le look des Teddy Boys, hyper straight, edwardien quoi. Les Arctic Monkeys ont archi abusé de ça par exemple, de ces trucs hyper serrés qui font des fringues très inconfortables, notamment quand tu vieillis et que tu commences à avoir un peu de bidon (rires) !

Ce j’aime beaucoup jouer avec Frustration, c’est le côté super chaleureux et hyper froid en même temps ; on aime bien en mettre plein la gueule mais que ça reste sobre. On ne supporte pas les gens qui se la pètent en fait, on ne les supporte absolument pas.

Un moment très impressionnant de la vie de Frustration a été votre concert en prison…

Je vais te dire, le soir même à neuf heures et demie j’étais au pieu. On est arrivés à 10h30, on a demandé un café à une dame qui devait être une des chefs, une matonne, qui ressemblait un peu à Taubira et qui nous dit : «  Vous vous croyez où là ? Il n’y a pas de machine à café ici ». Donc on nous a servi des cocas en nous faisant rendre l’opercule des canettes pour que personne ne les prenne, on a mangé un sandwich mou. Puis on a joué dans un truc qui servait d’Eglise et de pièce de théâtre en même temps. Et là, on a vu arriver des mecs avec des dents pourries, pas des grands bandits mais quand même. Ça sentait l’herbe dans la salle pendant qu’on jouait. Juste avant qu’on joue les mecs gueulaient « Optic 2000 » puisqu’on avait tous des pattes à l’époque et que visiblement ils croyaient qu’on allait jouer du rock n’ roll à la Johnny. Ce jour là c’est Cheveu qui a eu le plus de succès, il y a même un rappeur qui est venu chanter avec eux.

Quand on est sorti vers cinq heures on est allés boire quelques bières, mais rien de bien méchant. Et pourtant, on était épuisés du stress qu’il y avait eu.

Comment vous avez eu l’idée de faire ça ?

C’est JB qui nous a proposé, et j’ai adoré l’idée. J’adore me mettre en danger : pas faire n’importe quoi et rouler à 200 sur l’autoroute les yeux bandés, mais cette sorte de mise en danger là, qui fait que d’un seul coup ta partie est moins facile.

C’est comme partir en Inde, certains reviennent en étant des vieux sages, certains en trouvant que tout ce qu’on fait c’est des trucs de trous du cul et de nantis. Moi j’ai compris que les gens qui payent pour venir te voir, ils payent pour voir un certain style donc ça ne sert à rien de jouer les mégas rebelles parce que ceux qui sont venus te voir le sont déjà assez. Donc ça ne sert à rien de jouer les gourous, d’en rajouter. S’il y a une sorte de communion entre Frustration et les gens, c’est peut-être parce que je n’essaie pas d’en faire trop.

Mais pour terminer sur ce concert, quand on était en prison on flippait tous. On était devant des mecs avec des survêts noirs et dorés, avec des chicots pourris, qui n’en avaient rien à foutre de nos merdes. Je peux te dire que le délire « working-class » à l’anglaise ils n’y entendent rien. Une bonne leçon d’humilité, de résilience.

L’identité visuelle – très industrielle, quasi futuriste – fait partie intégrante de Frustration. Quel sens donnez-vous à cela ? C’est une façon d’affirmer cette identité de la « périphérie de Paris » ?

Déjà on est pas tous « working-class » dans le groupe, il y en a qui bossent dans l’informatique, d’autres qui sont barman… Le tout c’est qu’il ne fallait pas qu’on tombe dans le piège prolo à l’anglaise, skinhead etc. Et quand on a vu le boulot de Baldo, qui est un mec qui est dans le milieu punk et rock n’ roll depuis la fin des années 1970, on y a vu un truc moderniste, pas une représentation étriquée de la « working-class » strictement ouvrière. Ce qu’on voulait, et que Baldo fait super bien, c’est de retranscrire cette impression d’étouffement, de tristesse et d’envie de sobriété, comme si on s’écriait : « Ah non, ça n’aurait pas dû être come cela ! ». Et ce qui est marrant c’est que Baldo n’est pas du tout fan de Frustration, il est plus branché rock n’roll, des groupes comme les Olivensteins.

Le titre Blind a été utilisé dans la BO du film La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli. Comment ça s’est fait, et est-ce que vous avez vu et aimé le film ?

Le film est bon, on l’a tous trouvé très bien. Quand on a reçu cette proposition, je me suis dit « Bon bah, un court ou moyen métrage de plus », car il y déjà eu des morceaux de Frustration dans des films comme ça. Et un jour que j’étais à Alésia, j’ai vu sur un bus l’affiche de La Guerre est déclarée. J’ai appelé JB et il m’a dit avec son accent parisien « Eh ouais, ça va sortir en long métrage ! ». Oui le film est vachement bien, j’étais très ému la première fois que je l’ai vu.

On n’est pas devenus riches pour autant, mais il y a bien sûr eu des retombées. Et je suis très fier d’avoir fait partie de ce film parce que l’idée me plaît : ce couple qui décide que leur histoire passera avant la maladie peut-être incurable de leur enfant, et surtout leur rencontre à tous les deux que j’aime beaucoup. Ce n’est absolument pas empreint de vulgarité, on a deux personnes seules qui se choisissent. Ce lancer de cacahuète par lequel ils se rencontrent je le trouve très romantique, c’est comme Brassens dans La Chasse aux papillons, il la prend avec son filet.

Ça ne vous a pas du coup donné envie de continuer sur la voie de la synchro, et même des BOs ?

On aimerait bien, mais composer pour un film ça demande un temps fou. On a vu Cheveu se mettre dans des projets comme ça et ça leur a pris beaucoup de temps.

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Entretien réalisé par Paul Grunelius et Rémy Pousse-Vaillant