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Avignon Off 2014 : Les 7 spectacles à ne pas manquer

Quand on se retrouve en Avignon, on est d’abord déconcerté par le crissement des cigales, la chaleur aveuglante et surtout par l’imposant programme du Festival Off. Avec plus de 1307 spectacles pour presque autant de compagnies, de la danse au clown, de l’ultra-classique à l’extrême contemporain, il s’avère ardu de faire un choix. Le mouvement de grève des intermittents a peu touché les compagnies du Off qui font de jouer une nécessité politique et artistique. Journaliste pour www.festi.tv,  web tv alternative et référence du off depuis 2008, j’ai sillonné les ruelles tortueuses d’Avignon. Quinze jours plus tard et quelques vingt-huit spectacles au compteur, voici mes coups de coeur de ce Festival Off 2014.

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1. Lillith : “psalmodie sismique et sensuelle”

Dans la petite chapelle du Théâtre Des Halles, tous les soirs quand sonnent neuf heures, c’est l’heure de la messe. Noire. La prêtresse c’est Julie Recoing, démone aux cheveux de serpents et chamane surgie d’un autre temps. Du vibrato de sa voix jusqu’au bout de ses ongles, elle est Lillith, la toute première femme de la création selon la Kabbale.
Deux archanges guitaristes encadrent ce solo, entre le chant post-rock et la psalmodie d’outretombe. Lillith c’est la puissance d’un monologue incarné avec puissance et justesse. C’est une prise de pouvoir féminine et sensuelle. Ça vous donne la chair de poule et ça vous ne vous quitte plus.

au Théâtre des Halles, à 21 heures

2. Les chaussures de mon oncle : “scènes de la vie d’un clown”

Qu’il est beau ce duo venu tout droit du Brésil ! Un vieux clown monté sur rollers et son grand nigaud de neveu sillonnent les routes dans leur petite carriole afin de gagner leur croûte. Mêlant pantomime, arts du cirque et de la rue ce spectacle sans paroles est un conte bouleversant sur la tradition et la transmission artistique. Récompensée par de nombreux prix et jouée dans le monde entier, Les chaussures de mon oncle s’adresse à tous les publics et s’inscrit dans une émotion chaplinesque où le rire se mêle aux larmes avec élégance et finesse.

au Théâtre Présence Pasteur, à 18h30

3. Retour à Reims : “Amer retour au pays natal”

Une mère ouvrière et son fils universitaire se toisent en chiens de faïence par dessus une petite table en formica jaune. La défaite du dialogue atteste de la rupture sociale et du décalage culturel qui sévit désormais entre eux.

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Laurent Hatat a choisi d’adapter le célèbre essai sociologique et intimiste de Didier Eribon en créant ce dialogue entre deux comédiens au sommet de leur art. La mère, Sylvie Debrun, est frappante dans son écoute pudique et désarçonnée, incapable de trouver les mots pour contrecarrer l’implacable rhétorique de son fils sur les vérités de sa condition sociale.

à La Manufacture, à 16 heures

4. Money ! : “poétique de la SICAV”

La compagnie belge Zoo Théâtre, menée par Françoise Bloch, mène depuis plusieurs années un travail soigné et percutant sur le monde économique, entre théâtre documentaire et satyre grinçante. Cette fois-ci, la troupe s’est attaquée à la sphère de la banque et de la finance. Des situations ultra-réalistes sont reproduites puis détournées jusqu’à la saturation ou l’absurde. Les comédiens brillent par leur sens de l’improvisation, leur humour décapant et la précision de leur jeu. Jamais caricatural ou moralisateur, le propos fait mouche et interpelle. De plus, la scénographie s’appuie sur une utilisation de la vidéo très réussie. L’argent dématérialisé habite la scène par une succession de chiffres et de colonnes projetées sur les comédiens. Un spectacle à ne pas manquer.

à La Manufacture, à 18 h 25

5. La Fuite : “Naissance d’une femme”

Quelque part en Chine, après une certaine révolution étudiante sur une certaine place, trois jeunes gens se retrouvent confinés dans un théâtre à l’abandon pour fuir la répression militaire. La nuit qui les attend sera peut-être la dernière.

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Leur jeunesse, leur fougue et leurs pulsions éclatent et se dispersent, les corps s’étreignent ou se repoussent, la sensualité se mêle au désespoir. La pièce du prix Nobel de Littérature Gao Xingjian est poignante et la mise en scène d’André Brusque offre à la comédienne Hélène Chevallier un rôle superbe. D’abord petite fille tremblotante elle se métamorphose sous les yeux des spectateurs en femme puissante et libre, maîtresse de ses désirs et de son destin.

au Théâtre du Chêne Noir, à 15 heures

6. L’école des ventriloques : “Moi ce n’est pas moi, moi c’est celui qui est tapi dans l’ombre de mon
esprit”

L’école des ventriloques est un spectacle aussi surprenant que fascinant (tout de même déconseillé aux moins de 16 ans) où les comédiens vendent littéralement leurs âmes à leurs marionnettes. En effet, pour avoir le droit d’intégrer ce drôle de pensionnat il faut renoncer à soi même et se consacrer exclusivement à un pantin vicelard et fourbe. Seulement voilà, Céleste, nouvel arrivant de l’école rêve de transgresser les règles et de changer le cours des choses.
Ce conte philosophique et grinçant, né l’univers surréalistico-délirant de Alexandro Jodorowsky et de l’imagination débridée de la Compagnie belge Point zéro, ouvre une belle réflexion sur les enjeux du métier d’acteur, sur l’illusion et la dépossession de soi. On en sort un brin effrayé mais époustouflé par la performance des comédiens et de leurs acolytes en mousse.

à La Manufacture, à 20h40

7. Rester vivant : “Ô rafraîchissantes ténèbres”

1401800682_matrice_provisoire_off_copieYves-Noël Genod est un étrange trublion aux airs d’Iggy Pop et à la verve Gérard-Philipienne. Dandy dégingandé, il propose un spectacle à l’entrée libre et à la sortie payante, où les spectateurs sont plongés dans la totale obscurité de l’humide et pierreuse salle ronde de la Condition des Soies. Claustrophobes, saurez-vous braver vos angoisses pour vous laisser emporter par ce récital de morceaux choisis des Fleurs du Mal ?
Une coupe de champagne offerte avant la représentation vous aidera à vaincre votre peur et à glisser dans un monde onirique où le temps s’arrête et les yeux se reposent. L’âme suspendue à la voix d’Yves-Noël qui vous susurre : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté… »

à La Condition des soies, à 19 heures

Par Agathe Charnet

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