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Mode : la fin d’une époque

New York, Septembre 2014. La Fashion Week bat son plein, Marc Jacobs propose à ses invités d’enfiler d’énormes casques Beats By Dr Dre, Ralph Lauren tente l’expérience du défilé 100 % hologrammes. Une Fashion Week somme toute assez classique, avec son lot de tentatives plus ou moins réussies de créer la surprise et de se positionner en maître de l’avant-garde. Et pourtant, quelques événements apparemment isolés semblent annoncer une ère nouvelle. Tout d’abord, Jean Paul Gaultier a annoncé le 15 septembre qu’il présenterait sa dernière collection de prêt à porter le 27 septembre pour se consacrer aux parfums et à la haute couture. Vanessa Friedman, journaliste et critique de l’International New York Times évoque « the end of an era ». A Milan ensuite, les rédactrices ont décrit des silhouettes moins sexy qu’à l’accoutumée, sans risque voire un peu nostalgique, comme pour asseoir les acquis d’un style. Micro événements ou prémices d’un changement de fond ?

Des enfants terribles aux premiers de la classe

Peut-être le changement a-t-il commencé avec le suicide du créateur anglais Alexander McQueen. Il met fin à ses jours en plein milieu de la fashion week de New York en février 2010, le monde de la mode est en deuil. Mais très vite, le temps des affaires reprend : qui choisir pour reprendre la direction artistique de la marque ? L’heureuse élue est Sarah Burton, ancien bras droit du défunt. Mais en prenant la tête de la griffe, elle l’a assagie. Tout en respectant l’ADN de la marque, elle en fait un véritable succès commercial à coup de « hit bags ». Un imaginaire moins SM, des collections plus accessibles, pour finir en apothéose en étant choisie par Kate Middleton pour dessiner sa robe de mariée. Deuxième événement majeur : John Galliano se fait virer de chez Dior en février 2011 pour ses frasques. Il est remplacé par son antithèse le belge Raf Simmons. Personnalité plus effacée, mode de vie plus sain, respect de l’héritage de Monsieur Dior, le renouveau total.

tumblr_l78fihdMKr1qcs2q2o1_1280John Galliano et Linda Evangelista (robe rose) photographiés après la présentation de sa collection Automne-Hiver 2005-2006 pour Christian Dior à Paris – Crédits photo Java/ABACA

Des enfants terribles, on garde l’héritage et la créativité, mais maintenant l’industrie veut des premiers de la classe, des personnes discrètes et travailleuses. Pas des divas, mais plutôt le genre à saluer timidement à la fin d’un show, en pull gris clair un peu trop large, regard baissé pour éviter le regard de la foule. On comprend avec les marques McQueen et Dior que l’on se dirige vers des collections plus lisibles. Moins folles, mais plus portables. Comme si la mode était en train de revenir à l’essentiel.

L’essentiel, c’est à dire le vêtement et le client. Le Pragmatisme est sûrement l’ingrédient qui a manqué à la mode dernièrement, et donc, pour reprendre mon premier exemple, à Jean Paul Gaultier. Il a poussé, pour le jeu ou par véritable conviction, son style trop loin. Nabila puis Conchita Wurst, plus une farce qu’un véritable discours sur la société : cela fait longtemps que le vêtement n’a pas eu le premier rôle de ses défilés. Or, le prêt à porter ne triche pas, puisqu’il a précisément vocation à parler au consommateur. La sanction est donc tombée. Il faut créer, il faut imaginer, mais ne jamais oublier le client.

La mode n’est pas un art. Elle n’est pas non plus qu’une industrie. Souvent, elle oscille, prise entre ces deux feux. Trouver l’équilibre, entre renouveau créatif et contraintes commerciales, voilà tout l’enjeu des directeurs artistiques d’aujourd’hui. D’ailleurs, ce n’est pas un gros mot que de parler d’industrie. Souvent perçu comme péjoratif par ceux qui font la mode, qui se pensent comme artistes, le terme d’industrie n’est qu’une description clinique de ce qu’est la mode. D’ailleurs, il y a quelque chose de bénéfique au commerce : c’est un moyen clair de voir si l’offre et la demande se rencontrent. Le succès commercial venant récompenser les capacités d’un directeur artistique à capter l’ère du temps, à respecter le client, son corps, son mode de vie, ses mouvements et ses envies. Et ce que nous disent les chiffres, c’est que les gens ont envie de confort et de simplicité, ils achètent du Céline, ils veulent moins de logo et plus de belles matières. Ils achètent du Isabel Marant parce qu’ils veulent du confort et de la décontraction. Hermès, enfin, connaît toujours une croissance extraordinaire grâce à sa culture de la rareté et à la mise en valeur de savoir-faire uniques alors que le contexte est plutôt défavorables pour le luxe.

Raf-Simons-Christian-Dior-new-lookChristian Dior p̩riode Raf Simons, 2012 РCr̩dits photo wwd.com

Le rappel à l’ordre : justifier les prix délirants du luxe

Le client – et surtout la cliente, qu’elle soit asiatique ou française – semble se fendre d’un doigt d’honneur à la mode pour attirer son attention. Le temps est (re)venu de justifier le prix des produits par un travail et un véritable savoir-faire. Certaines marques de luxe, dont Gucci, ont entamé un repositionnement en sortant de la production extensive pour aller vers l’ultra luxe et promouvoir par là le savoir-faire de leur maison. C’est au fond respecter le client que de vendre des produits de qualité supérieure lorsqu’on les facture plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’euros.

La mode tâtonne, se cherche une identité, un nouveau modèle. Au fond, l’industrie est en train de connaître, plus qu’un changement d’époque, un changement de rythme. Etirer le temps de la création est nécessaire pour retrouver le temps d’être attentif au client et au produit. Si la course effrénée a jusqu’alors été la stratégie adoptée, l’industrie mesure peut-être qu’elle ne pourra jamais être aussi rapide que notre société digitalisée, rapide et capricieuse, si ce n’est au détriment de la création, du vêtement, et donc du consommateur. Et le consommateur le rappelle si nécessaire : il a le pouvoir puisqu’il a l’argent. Il sera surement plus dur de ralentir la cadence. Mais prendre le risque de ralentir, c’est penser au long terme. Par contrainte ou par vision, le changement est en marche.

Leïla Messouak

Un Commentaire

  • Posté le 26 September 2014 à 21:03 | Permalien

    Merci chère Leila Messouak pour toutes ces informations sur le monde de la mode .Un univers bien à part par sa créativité et son savoir faire . Le client est roi alors tous les créateurs et les grands couturiers se plient pour satisfaire ses désirs .