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“De quelle couleur est le cheval blanc d’Henri IV ?” : lecture d’un aphorisme inédit du Tractatus

 

 

Lecture d’un 8e aphorisme inédit du Tractatus Logico-Philosophicus : ou, pour un renouveau de la confrontation entre positivisme logique et heideggeriano-existentialisme.

 

tractatus

 

 

 

 

 

 

 

 

«De quelle couleur est le cheval blanc d’Henri IV ?». Tel serait le huitième et dernier des aphorismes du Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein, aphorisme interrogatif jusqu’ici inconnu, découvert dans un étrange manuscrit recouvert de ketchup – retrouvé dans un frigo par le philologue français Pierre Hadadat. Or, selon ce très respectable philologue, qui travaille également à Macdo pour arrondir ses fins de mois (d’où l’heureuse découverte), il conviendrait de relire tout le Tractatus à l’aune de cette ultime et surprenant aphorisme et de renommer alors le tout : Tractatus chromatico-philosophicus ! La couleur prenant alors le pas sur la logique, comme le ketchup sur le livre. Quand on sait les interprétations qui ont si longtemps opposé les différents lecteurs du Tractatus, on imagine à peine les dissensions qui résulteront de cette ultime et dérangeant aphorisme !

Comment les tenants de la lecture positivo-logique stricte (Cercle de Vienne) se concilieront-il les partisans de la lecture heideggeriano-existentialiste sur la couleur supposé blanche du cheval ? C’est la question que pose Hadadat dans son livre biographique : Garçon, il y a un aphorisme dans ma sauce ketchup ! Outre le fait que les partisans du IVe renouveau du mouvement dadaïste ont intenté un procès à l’auteur et au philologue pour «plagiat (posthume) par anticipation» dans un texte étonnant de verve et de poésie: «De quel couleur est Dada IV ? Dada IV n’est ni noir ni blanc», il se peut que le lecture des oeuvres du «second» Wittgenstein se trouve profondément modifiée ! Quid de sa Conférence sur l’Éthique et de ses Investigations philosophiques sur les «jeux de langage» ? À travers cette question aphoristique étonnante de simplicité mais troublante de complexité, relative au coloris de la monture du souverain Henri IV, c’est la tautologie de l’évidence qui est remise en question. Dire: le cheval d’Henri IV est blanc, ce n’est pas répondre à une question qui appelle pourtant une réponse dans la formulation même de son énoncé. Des linguistes de renom, telles que la très respectée Juditha Beutleur, ont cherché à reformuler la question aphoristique que venait d’exhumer Pierre Hadadat, dans un article désormais incontournable : «Hadadat sur son cheval». On ne saurait que retranscrire le génie d’une formulation aussi limpide et rigoureuse que celle de cette si perspicace linguiste :  “Aphorisme 8 reformulé. If we accept the metaphysical notion of language identifying objects, and taking all this into account, then may we not reach the hypothesis that, in our language game, this can be said to be a white horse ?”

(«Si on accepte la notion métaphysique d’un langage permettant de référer à des objets, en prenant tout ceci en compte, ne pourrions-nous pas faire l’hypothèse que, dans les conditions de notre jeu de langage, cela puisse être qualifié de cheval blanc ?»).

Aphrisme 8 reformulé. If we accept the metaphysical notion of language identifying objects, and taking all this into account, then may we not reach the hypothesis that, in our language game, this can be said to be a white horse ?»

Force est de constater que cet aphorisme a suscité une vague de commentaires sans précédent : comment ne pas évoquer, parmi ceux-ci, le troublant rapprochement que fait la pop philosophe Michèle Onfrite entre le syllogisme aristotélicien du cheval («Un cheval rare est cher», tel en est l’enthymème) et l’interrogation wittgensteinienne ? En effet, d’après les lois syllogistiques à l’aune desquelles se font la plupart de nos raisonnements paralogiques, si une chose rare est chère et qu’un mauvais cheval est rare : alors un mauvais cheval est cher. Mais qu’en est-il si on applique le syllogisme paralogique à l’aphorisme chromatico-philosophique ? Est-ce que le cheval blanc d’Henri IV est un mauvais cheval ? Cabre-il souvent ? De quelles couleurs sont ses oeillères ? D’ailleurs pourquoi est-il blanc ? Est-ce qu’il porte un habit, ou est-ce qu’il fait bien attention à ne pas se salir ? Pourquoi autant de propreté ? Est-ce un blanc immaculé ou un blanc mat ? Autant de question qui restent sans réponse, faute de disposer des concepts adéquats. Mais c’est tout à l’honneur de Michèle Onfrite de les soulever.

cheval

Et Michel Papastoureau, sympathique historien des couleurs et des animaux, de rappeler que les couleurs n’ont pas toujours la même symbolique, en fonction des époques et des lieux où on les situe, et que les chevaux n’ont pas toujours la même dentition, en fonction de leur espèce ou de leur brossage plus ou moins régulier avant d’aller se coucher. Et l’historien des sensibilités, Alain Cocorbinou d’abonder dans son sens en ajoutant que l’interrogation wittgensteinienne rejoint aussi celle des poètes, surréaliste notamment : «La terre est bleue comme une orange» (Éluard). En effet, dans ce vers célèbre, où Éluard confond pour mieux rapprocher sphéricité du fruit et rondeur du globe terrestre, c’est comme le dernier aphorisme du Tractatus Chromatico-Philosophicus qui point : ne pas prendre les couleurs pour ce qu’elles sont, encore moins le blanc, qui n’en est pas non plus une -mais qui est bien l’absence de couleurs (à l’instar de la sphéricité qui n’est pas une couleur, mais un certain arrangement volumique de la matière).

Dans ce vers célèbre, où Éluard confond pour mieux rapprocher sphéricité du fruit et rondeur du globe terrestre, c’est comme le dernier aphorisme du Tractatus Chromatico-Philosophicus qui point.

dans ce vers célèbre, où Éluard confond pour mieux rapprocher sphéricité du fruit et rondeur du globe terrestre, c’est comme le dernier aphorisme du Tractatus Chromatico-Philosophicus qui point

Une chose est sûr, le nouvel aphorisme n’écrit pas noir sur blanc une chose ou l’autre, et on est assuré d’en voir de toutes les couleurs avant d’élucider l’importance des ses nuances épistémologiques au sein de l’édifice mystico-conceptuel du philosophe. Mais peut-être saviez-vous déjà tout cela, et l’auteur s’en excuse par avance, dans la mesure où c’est un simple bilan de considération chromatico-philosophiques qu’il prétend ici faire.

Une note de lecture de Bustos Domecq