PROFONDEURCHAMPS

Deux textes de Zineb Mekouar

Nous publions aujourd’hui deux textes nostalgiques et empreints d’amour. On y parle de grand-mères au parfum de miel, d’enfance et de roses attristées. Au fil de ces deux textes, le lecteur apercevra les prémices d’un monde merveilleux, qui lutte contre la cruauté. Par Zineb Mekouar. 

                                                         

La grand-mère au parfum de miel.

Un jour, comme souvent, pendant les vacances de pâques ou d’été, l’enfant était chez la grand-mère au parfum de miel. Il aimait bien aller chez elle. C’était l’une de ces grands-mères juste assez âgées pour nous faire de bons gâteaux au chocolat, juste assez jeune pour être notre confidente ou notre meilleure amie. Avec juste assez d’expérience pour être une vraie mamie, juste assez d’années pour pouvoir nous courir après lorsque l’on joue à cache-cache. Quoiqu’il en soit, l’enfant était heureux quand il était avec elle et tous ses souvenirs, une fois plus grand, auront un étrange parfum de grand-maman. Mais il y en avait un – de ces souvenirs – qui ne le quittera pas, une fois plus âgé.

C’était lors d’une journée de pâques ou d’été, lors d’un matin de jeu et de rêve. Ce jour-là, le grand-père au parfum d’encens arriva vers la grand-mère au parfum de miel et lui dit « il faut faire un peu d’ordre, de classement ! La bibliothèque, immense et encombrée, qu’il y a dans la chambre, il faut la ranger un peu. Sinon, de tes livres, j’en ferai une cheminée ! ». La grand-maman ne répondit rien. Elle perdit juste, pour une seconde à peine, pour une éternité d’enfant, son merveilleux sourire. Et elle dit simplement, presque dans un murmure, « la littérature, c’est ma vie. ».

Lorsque, un peu plus grand, l’enfant devint adolescent, il aimait bien se raconter des histoires. Il aimait bien imaginer des choses abracadabrantes. Et puis les écrire aussi, toutes ces choses. Et c’est alors qu’un jour, pendant les vacances de pâques ou d’été, alors qu’il jouait à rêver sa vie, il prit une feuille et un stylo et se mit à l’imaginer par écrit. Il en lut ensuite un extrait à la grand mère au parfum du miel et, celle-ci, lorsqu’il eut fini, ne répondit rien. Elle perdit juste, pour une seconde à peine, pour une éternité d’enfant, son merveilleux sourire. Et elle dit simplement, presque dans un murmure, « alors, pour toi aussi, la littérature c’est ta vie ? ».

Lorsque, beaucoup plus grand, l’enfant perdit sa grand maman ; lorsque, pendant les vacances de pâques ou d’été, il ne trouvait plus où aller ; lorsque, dans ses moments de solitude ou de tristesse, il se sentait un peu désespéré ; il ouvrait toujours un livre, un de ceux de la grande bibliothèque poussiéreuse de ses grands-parents. Et alors, étrangement, à chaque fois qu’il feuilletait l’un de ces merveilleux mondes ensommeillés, un somptueux parfum de miel venait lui étourdir les sens en lui murmurant: « c’est donc vrai ? Pour toi aussi, la littérature c’est la vie ?». Et cette phrase ne durait qu’une seconde à peine, qu’une éternité d’enfant.

                                                                                                        

  Le jeune homme et la rose.

Et le jeune homme, encore inexplicablement sous le charme de sa fleur, de me raconter :

« Un jour, dans un parc, une rencontre bouleversa mes heures.

Je vadrouillais vers je-ne-sais quel but, lorsque je vis une rose, rouge et sublime, teintée d’un orgueil arist

ocratique (peut être était-elle méditerranéenne ?), qui pleurait dans un coin. Ses larmes coulaient à flots et, quand je me suis approché pour connaître la cause d’un si grand chagrin, lorsque la Belle remarqua mon intrusion dans son monde parallèle, elle prit un air de dame qui, mise à part une étrange fierté sortie-d’on-ne-sait-où, n’avait rien d’agressif. Tout en elle était harmonie, élégance et charme. La demoiselle était envoûtante.

–  Qu’y a-t-il, chère princesse, de si triste pour vous faire ternir ainsi ?

–  Je ne plais pas ! lâcha-t-elle dans un sanglot.

–  Comment ? Mais qui sont ces personnes au cÅ“ur de pierre qui ne succombent pas à vos charmes ? Il faut être aveugle ou ignorant pour ne pas tomber amoureux de vous !

–  Vous êtes si gentil ! Mais le jardinier qui vient me nourrir chaque jour m’a dit, à peine ce matin, que j’étais passée de mode. Personne, à votre époque, n’aime les fleurs qui fanent. Je n’intéresse pas car je suis éphémère. C’est bien connu, ton monde préfère les fleurs en plastiques !

Et elle fondit en larmes dans mes bras. Ne sachant que faire pour remonter le moral de ma bien aimée et ayant un faible pour les âmes mélancoliques, je ne pus me résoudre à la laisser seule dans cet état. J’essayai alors un trait d’esprit :

–  Mais les personnes dont vous parlez ne vous méritent pas ! Laissez les passer leur temps avec leurs fausses roses qui ne sentent aucun parfum. En plus, de vous à moi, on se lasse vite des lieux où ces gens-là nous emmènent… ce sont des endroits vides et sans vie, où tout est faux, où tout est sur-joué, où mêmes les hommes sont en caoutchouc ! Telle que vous êtes, vous avez de la valeur. Et l’on ne mélange pas les torchons et les serviettes !».

– Mais à quoi me sert-elle, ma valeur, si elle me condamne à rester seule ? Si Dieu existe, que j’aimerais qu’il me transforme en l’une de ces décorations de mariages ou encore en l’une de ces fleurs en papier… qu’importe ! Mais qu’il me transforme en quelque chose d’utile !

Je restais coi, ne sachant que répondre. Cette créature, venant sans aucun doute d’un autre monde, d’un monde Idéal, était certainement tombée par hasard sur notre vieille planète. Et, se sentant rejetée du fait de sa splendeur naturelle, elle en était arrivée à supplier qu’on l’avilisse, qu’on la commercialise, qu’on l’ap-prix-cie (du verbe apprécier, conjugué à la sauce de mon époque). Et je compris qu’elle passerait alors le reste de son temps parmi nous à gaspiller ses heures dans les prières et à se tuer, à petit feu, pour alimenter son désir de plaire.

Subitement, un terrifiant tonnerre gronda et me fit, un instant, perdre connaissance. A mon réveil, une magnifique jeune femme se tenait à mes côtés… c’était ma fleur ! Elle avait réussi son intégration ! Elle était devenue, comme elle l’avait si ardemment souhaité… humaine ! »

Un Commentaire

  • Posté le 12 November 2013 à 03:23 | Permalien

    C’est magnifique ce rendu de profondeur, de sensations, de sentiments et d’odeurs ! Oui la littérature peut avoir une belle place dans la vie où le rêve d’un meilleur se confond avec la réalité. Une juste place, une place juste.