PROFONDEURCHAMPS

En face d’elle était une autre

Aujourd’hui, l’histoire d’un moment hors du temps, d’une rencontre dans un métro, d’un baiser presque irréel.

Par Lucie Morel.

[caption id="attachment_2570" align="aligncenter" width="560"] “Paris – La fille dans le métro” de François Constant[/caption]

En face d’elle était une autre. Il était tard. Assise sur son strapontin de métro elle la regardait. Ses cheveux étaient courts. Ses yeux verts. Ils la regardaient. Il faut dire qu’elle était belle avec ses longs cheveux blonds. Son corps était mince. Ses hanches fines. Son pull à mailles épaisses laissait deviner sa poitrine. Elle la regardait. Les lèvres surtout. Ces lèvres épaisses qui l’attiraient chez une femme. Elle croise son regard. Elle sourit ; et souriant sa langue effleure discrètement sa lèvre inférieure. Elle la regarde. Se regardent. Le métro s’arrête. C’est son arrêt. Elle se lève. Elle hésite. La voici debout, la main sur le loquet de la porte. Elle, semblait perdue dans ses yeux. On sonne. C’est le signal du départ.

En face d’elle était une autre. Elle, la regardait, elle, debout, adossée aux strapontins. Elle n’avait pas encore croisé son regard mais se sentait observée. Elle croise son regard. Elle n’avait encore jamais été regardée ainsi par une femme. Elle n’aurait su dire si elle était belle. Elle savait juste que ses yeux verts la captivaient. Perdue dans le regard de l’autre : elle s’oublie. Le wagon de métro où elle se trouvait jusqu’à présent était parti. Il ne restait que ces yeux. Les yeux de l’autre qui l’épiaient. Elle passe sa main dans ses longs cheveux blonds. Elle, sourit ; et souriant sa langue effleure discrètement sa lèvre inférieure. Mais le métro, tout à coup, ralentit et, perdant de la vitesse, le monde réapparait autour d’elles. Elle, se lève. Ses yeux verts toujours plantés dans les siens. Elle hésite. Elle voudrait faire un geste. On sonne. C’est le signal du départ. Elle, la main toujours sur le loquet, ne l’a toujours pas ouverte cette porte.

En face d’elle était une autre. Maintenant elle savait. Le métro avait repris sa course. La porte n’avait pas été ouverte. Elle n’avait pu se résoudre à abaisser ce loquet. Elle, pourquoi ne pouvait-elle se résoudre à la laisser ? Elle ne sait pas. Elle ne veut pas savoir. Elle s’en fout. Elle veut juste la regarder, et lentement se rapprocher. Elle se tient maintenant devant elle. Très proche. Elle, ne dit rien. Elle passe sa main dans ces longs cheveux blonds. Elle, pose sa main sur sa hanche.

En face d’elle était une autre. Elle la regardait encore. Elle, n’avait pas ouvert cette porte, et lentement, se dirigeait vers elle. Debout devant elle, elle, passe doucement sa main dans ses longs cheveux blonds, pour finir en caresse sur sa joue. Elle veut parler. Elle prend sa hanche dans le creux de sa main : comme pour mieux sentir sa présence, comme pour être sûre qu’elle, est bien là. Elle se décide : « Je m’appelle… ». Elle, l’arrête : elle ne veut pas connaître son nom ; d’ailleurs elle s’en fout. Elle veut juste être là, maintenant. Elle la regarde. Elle, l’embrasse. Perdue dans les lèvres de l’autre : elle s’oublie.

Lucie Morel