PROFONDEURCHAMPS

Le magasin de vidéos

« Et je fais mon métier proprement, et sans tricher sur les lignes ! J’ai la liste des prix affichée bien en vue de tout le monde, et pas d’histoires avec moi, parce que, par Dieu, je sais me secouer la poussière ! » Cervantès, Nouvelles Exemplaires.

Aujourd’hui dans la rubrique Création originale, ce n’est pas simplement une œuvre que Profondeur de champs tiens à mettre en avant mais une démarche : depuis avril 2012, tous les lundis à 16h, Frédéric Benhaim publie une nouvelle sur son blog Les Commerces. Neuf mois et une quarantaine de nouvelles plus tard, le projet prend une nouvelle ampleur avec la perspective de plusieurs collaborations avec d’autres écrivains ainsi qu’une première adaptation au théâtre avec la comédienne Virginia Galvan et la Compagnie Hanna R.

L’auteur explique : « L’idée était d’aller à la rencontre du lectorat avec une histoire par semaine, toujours le même jour et à la même heure, sur le même thème – une sorte d’exercice de style, et en même temps c’est une façon d’explorer l’évolution sociale à travers un sujet non “noble” : le commerce ».

[caption id="attachment_3266" align="aligncenter" width="500"]tumblr_m8rfkb4Caf1rcm4y8o1_500 Night Shadows, Edward Hopper[/caption]

La dernière nouvelle en date, Le magasin de vidéos :

“Les temps sont durs. Le DVD se loue, mais la VOD, le streaming, les vidéos sur le mobile, sans compter la survie des salles de cinéma, l’ordinateur, les tablettes, le téléphone, enfin, bref, les écrans omniprésents, à quoi bon le magasin ?

On a connu la belle époque de la vidéo. Les clubs étaient partout. Le commerce était lucratif, et intéressant. Aux Etats-Unis, Blockbuster Video faisait un tabac. Ils étaient dans tous les centres commerciaux.

Aviez-vous ce film ? Je vous l’aurais conseillé. Vous l’auriez emporté, rapporté le lendemain, mais trois jours après, il fallait payer une amende. Et à cause des retardataires, les nouveautés manquaient : la frustration était telle quand la petite languette manquait au bas du boîtier, indiquant que vous étiez cuit, qu’il fallait se rabattre sur le plan B, ou C, ou le vieux Western. Maintenant c’est fini, tout ça ; tout se télécharge, tout se visionne. Depuis quand redit-on visionner un film ? Ce n’était-il fini depuis les Lumière ?

Il fallait faire gaffe à la vidéo. La rembobiner. Attention à la bande magnétique. Je regardais pour m’assurer qu’elle était bien intacte. Vérifier avant de retourner au magasin. Les films en V.O. étaient consignés dans un rayon spécial, pas de choix au départ du film comme avec les DVD. Rayon spécial, justement, au fond, les cassettes « adulte ». La ligne rouge de la moquette, relevant le brun à carrés dorés, semblait presque y conduire le curieux. Les jeunes y jetaient des regards qui se voulaient discrets.

Du comptoir on voyait toute la vie des gens : vous étiez, ou plutôt vous viviez ce que vous empruntiez. Des cassettes de film sentimental, des cassettes de gym et de remise en forme, voire des films de cuisine et de savoir-vivre, il y avait le choix.

Puis sont arrivés les DVD justement. Plus fins, même principe, ça n’a rien changé. Sauf qu’il fallait maintenant veiller à l’entretien du disque. Et puis, au fond, c’est de là qu’a commencé la déchéance.

La solution, quand un marché dépérit, c’est la qualité. Donc, ici maintenant, c’est du film d’auteur. Des films aussi pour toutes les personnes qui ne sont pas équipées dernier cri. Mais reconnaissons-le : ça se meurt, petit à petit. Louer un DVD, ça se fait encore, mais moins. Les jeux vidéo, ça marche encore un peu, mais quand on n’est pas spécialisé, faut suivre. Et on n’est pas connu pour la location de films d’auteur, car pour cela il y a des magasins spécialisés, qui d’ailleurs tournent encore bien ! Petit à petit, le patron cherche un repreneur. Dites-nous si ça vous intéresse. Faites le 06….”

Retrouvez Les Commerces, de Frédéric Benhaim, ainsi que l’ensemble des nouvelles composant le projet, sur Facebook. 

Paul Grunelius