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La bataille de Solférino, une nouvelle jeunesse pour le cinéma d’auteur français

« Nous avons besoin d’audace et de grands gestes, quel que soit le résultat dans un premier temps  : nous désirons l’élan, l’enthousiasme, l’exaltation, le combat, tout ce qui nous évitera la nostalgie, la dépression et le défaitisme. Tout ce qui sortira le cinéma d’auteur de ses petits calculs et lui redonnera son ambition. »

Avec ces mots, Stéphane Delorme, rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, nous annonçait dans l’édito du numéro d’avril 2013 l’arrivée d’une nouvelle vague de « jeunes turcs » dont la fouge et l’audace assureraient le renouveau d’un cinéma d’auteur français jugé parfois apathique et conformiste. Vraiment ? Une avant-garde qui offrirait fraicheur et idées novatrices au savoir-faire cinématographique français  tout en enchantant la ligne éditoriale très exigeante des Cahiers Du Cinéma ? Entre scepticisme et impatience, nous attendions avec excitation le visionnage des œuvres de ceux qu’on nous vendait comme les nouveaux génies du 7ème art à la française : Justine Triet (La Bataille de Solférino), Antonin Peretjatko (La Fille du 14 Juillet), Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après Minuit), Rebecca Zlotowski (Belle épine), Djinn Carrénard (Donoma) et Guillaume Brac (Un Monde Sans Femme).

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Depuis, nous avons vu La Bataille de Solférino. Premier long-métrage de Justine Triet. Enthousiasmant, en effet.

L’intrigue se déroule en un lieu, Paris, en une journée, le 6 mai 2012, et ne présente qu’une intrigue, quid du couple chaotique formé par Laetitia et Vincent. Laetitia, journaliste à i>télé, couvre en continu les réactions de la foule socialiste amassée rue de Solférino à quelques heures des résultats du second tour des élections présidentielles. C’est ce jour-là qu’a choisi Vincent, son dérangé d’ex-mari, pour essayer de récupérer ses filles, bravant ainsi l’interdit du juge tout en mettant à l’épreuve les limites et l’hystérie de Laetitia.

Des enfants qui hurlent. Une mère au bord de la crise de nerf. La menace de l’ex-mari qui veut monter voir ses filles, mais qui ne doit surtout pas, « parce qu’il est psychopathe et violent ». Le baby-sitter, dépassé par les événements, qui débarque avec les deux fillettes de moins de 3 ans dans la foule de plusieurs milliers de personnes amassée rue de Solférino. Un avocat misanthrope un peut trop attaché à sa chienne. Des éléments cocasses qui font de La Bataille de Solférino une très bonne comédie qui repose sur l’absurdité des péripéties et l’aspect borné des personnages. Chapeau bas à la performance de Vincent Macaigne qui déclencherait les rires du plus psychorigide des spectateurs dans son rôle de père maladroit / poète maudit incompris et imbu de sa personne.

Cocasse au premier abord, La Bataille met sur le devant de la scène des personnages paradoxaux et ambivalents, loin des rôles stéréotypés qu’on retrouve bien souvent dans les comédies.

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Justine Triet se propose d’analyser la destruction du couple illustrée par les affrontements incessants entre Vincent et Laetitia. La temporalité resserrée, la focalisation sur le couple et l’usage de la caméra subjective permettent à la réalisatrice de mener une réflexion efficace sur les causes d’une relation qui se délite progressivement, de l’amour au chaos. Justine Triet réussit à rester très juste et à se tenir à l’écart du cliché, du raccourci ou, pire encore, d’un féminisme ou d’un machisme exacerbé, écueils dans lequel ce genre de problématique tombe bien souvent. Laetitia et Vincent sont montrés comme des personnages pétris d’angoisse, démunis et paradoxaux, tantôt excusables et tantôt coupables. Le film se présente comme un laboratoire d’analyse des causes d’un échec amoureux.

La mise en scène est miroir de l’intrigue. Justine Triet filme un Paris déchiré en deux camps, à quelques heures des résultats, moment national singulier où les attentes et passions s’exacerbent. C’est un Paris bruyant, désuni et passionné que nous livre l’œuvre, reflet macroscopique de ces deux être englués dans leur petite singularité, effrayés par le dialogue, seuls responsables de la désagrégation de leur union.  Stressée, angoissée, hantée par la folie de son ancien compagnon, la jeune femme est l’otage symbolique de la foule en liesse. Un élément de mise-en-scène qui vient renforcer de manière très originale le drame du personnage. Le bruit, dont le film est saturé, fonctionne également comme un support  dramatique, enfants qui hurlent, ex-mari qui parle, parle, parle, comme pour masquer sa vacuité, les cris de la foule en délire : tout concourt à rendre l’environnement des deux personnages anxiogène.

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Un film aussi drôle que profond, une réflexion pertinente sur l’échec et le délitement de certaines relations, pourtant exceptionnelles. La capitale française filmée à un moment charnière de son histoire dans de magnifiques scènes de foule, très travaillées. Une thématique, un réalisme, un dialogisme et un jeu d’acteur inspirés de la Nouvelle Vague que Justine Triet parvient à renouveler grâce à l’originalité de la mise en scène et l’actualisation de la problématique du film. La Bataille a gagné le prix du public du Festival Paris Cinéma et a fait parti du palmarès de l’édition 2013 de l’ACID.

Clémence Bisch