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“Pour en finir une bonne fois pour toutes avec les écoles de commerce” : 1- L’enculé

“Les gens sans esprit ressemblent aux mauvaises herbes qui se plaisent dans les bons terrains, et ils aiment d’autant plus être amusés qu’ils s’ennuient eux-mêmes. L’incarnation de l’ennui dont ils sont victimes, jointe au besoin qu’ils éprouvent de divorcer perpétuellement avec eux-mêmes, produit cette passion pour le mouvement, cette nécessité d’être toujours là où ils ne sont pas qui les distingue, ainsi que les êtres dépourvus de sensibilité et ceux dont la destinée est manquée, ou qui souffrent par leur faute.”

Balzac, Le Curé de Tours

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“Pour en finir une bonne fois pour toutes avec les écoles de commerce”, c’est une immense fresque naturaliste, un peu comme les Rougon-Macquart, mais en plus cool. C’est une vision scientifique et parfaitement neutre de l’enseignement supérieur français sous la Cinquième République. C’est prendre une par une les différentes personnalités rencontrées dans les écoles du Haut Enseignement Commercial. Comme le nom de l’article ne l’indique pas, nous commencerons par une description relativement flatteuse de certains de ces étudiants, mais, ne nous affolons pas, ça ne va pas durer.

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Episode 1 : l’Enculé

L’enculé est un étudiant comme vous et moi, à ceci près qu’on pourrait parfois plus le prendre pour un Suédois ou un polytechnicien que pour un étudiant à d’école de commerce. Pour la bonne compréhension de ce qui va suivre, il convient en effet de garder en tête ce vieux proverbe indien : « quoi que vous fassiez dans la vie, il y aura toujours, quelque part, un Suédois ou un polytechnicien pour le faire mieux que vous ».

« Les gens heureux me font chier. » – Jean-Marc Reiser

Un Suédois, d’accord ; mais pourquoi prendre un polytechnicien comme symbole ultime de réussite et d’efficacité, me direz-vous ? Tout simplement parce qu’après deux (trois ? (quatre !)) années, tous les préparationnaires de France et de Navarre ont obtenu deux droits : premièrement, celui de se considérer comme les symboles ultimes de la réussite et de l’efficacité ; ensuite, celui d’envoyer se faire foutre toute personne qui viendrait contester le premier droit. J’aurais tout aussi bien pu parler d’HEC, ou de Normale Sup’, mais malgré l’admiration sans borne que je voue à Cédric Villani, mes sympathies politiques d’extrême droite me feront toujours penser qu’un polytechnicien portant uniforme, tangente et youl est nettement plus crédible qu’un normalien en nœud papillon et coupe Playmobil, tout médaillé Fields et spécialiste de la théorie de Boltzmann qu’il soit.

En parlant d’extrême droite, je précise que la notion d’ « enculé » qui va être discutée sous peu n’est pas à prendre au sens littéral, et n’a donc aucune connotation homophobe. Mes excuses à tous les FAF lecteurs de ce webzine pour la déception occasionnée, vous pouvez ranger vos cagoules.

« « Enculé » est un mot qui chante plus qu’il ne parle. » – Paul Valéry

Mais comment définir réellement ce qu’est un enculé, comment comprendre l’enculé dans son essence même, comment expliquer que c’est justement ce terme qui apparaît spontanément sur nos lèvres lorsque nous en croisons un au détour d’un amphi, d’enculé ? Reprenons depuis le début.

Tout a commencé alors que je recherchais un stage pour m’occuper quelques mois en été : je me renseignais pour obtenir un poste dans le domaine de l’aérospatial. Car oui, je suis resté un petit garçon blond et joufflu dans ma tête, j’aime encore les fusées, les satellites, regarder C’est Pas Sorcier et remplir mon mouchoir de compote de pomme au RU pour faire croire à ma voisine de table que je suis très très enrhumé, grosse rigolade garantie. Au fil de mes pérégrinations sur le site de l’Agence Spatiale Européenne, je suis tombé sur la présentation du célèbre Corps Européen des Astronautes. Pour ceux qui n’y connaissent rien et qui s’en foutent, sachez simplement que les quatorze hommes et femmes qui le composent représentent  l’ultime élite en matière d’ingénieurs, de pilotes, de médecins et de physiciens. Le cadet de ces messieurs est français et se nomme Thomas Pesquet. Voici, dans les grandes lignes, ce que le site de l’ESA nous apprend à son sujet :

« Diplômé de Supaero, ingénieur spatial pour les plus grandes sociétés, Thomas a été sélectionné parmi 10.000 candidats pour rejoindre le Corps Européen des Astronautes. Ceinture noire de judo, il pratique également le basket, la natation, le kite surfing, la voile ou encore la plongée sous-marine. Il joue également du saxophone depuis tout jeune et parle couramment anglais, espagnol, allemand et russe. Il est très beau, dit bonjour à la boulangère, a sauvé trois enfants de la noyade ce matin et fait l’amour comme un dieu. » La dernière phrase c’est moi qui l’ai rajoutée.

A ce moment, votre réaction ne peut être que similaire à la mienne : « Wooo putain non mais quel enculé quoi. »

La messe est dite.

« Oh, yeah. » – Sasha Grey

L’enculé est donc celui qui réussit tout, mieux que vous, avant vous, et qui a toujours une chemise propre. Il se distingue cependant d’autres catégories d’individus, comme par exemple le sale connard ou le gros bâtard de merde en ce que l’enculé est toujours gentil, souriant, aimable, affable, sympathique, le rendant impossible à détester, et donc d’autant plus détestable. En cours de marketing (ou tout autre enseignement passionnant) un lendemain de cuite à huit heures, il est particulièrement agaçant d’avoir à ses cotés un enculé qui a bu autant que nous la veille, mais que l’on retrouve frais, dispo et rasé de près, alors que toi tu cherches une corde pour te pendre, t’as les dents du fond qui baignent, des Miel Pops au coin des yeux et t’es pas serein dans ton slip car plane au-dessus de toi comme l’épée au dessus de Damoclès la sanction, également appelée « châtiment » ou « colique alcoolique », qui te menace depuis la veille au soir (et dont les effets physiologiques étaient déjà connus des Anciens et furent décris en ces termes par Averroès : « caca de fête, caca qui fouette ; caca de bringue, caca qui schlingue » (ce dernier passage était, je vous l’accorde, d’une grande vulgarité ; et, comme le disait mon père, qui était un saint homme : « la vulgarité, ça me fait chier » (je vous rassure, mon père se porte comme un charme, mais l’emploi de l’imparfait rendait ma phrase plus simple à formuler (en plus d’aimer la vulgarité, j’aime également beaucoup les parenthèses (leur forme ronde et fessue est plus charmante que le dessin d’autres signes de ponctuation (comme les courbes nauséeuses du point d’interrogation ou la forme « bitale et monocouille », dixit Pierre Desproges, du point d’exclamation (sans compter qu’avec un peu d’entraînement, on peut rapidement réaliser de très jolis dessins en parenthèses, comme ici un vagin : ())))))))

« Dieu est mort. » – Nietzsche

L’enculé se reconnait sans peine sur le campus de son ESC : c’est celui qui est membre de toutes les associations, danseur émérite et chanteur lyrique, multi-instrumentiste à l’oreille absolue ; celui qui t’allonge au club de boxe, mais que tu peux pas lui en vouloir parce qu’il t’aide à te relever avec un sourire trop gentil ; celui qui arrive à distinguer à l’aveugle un Montée-de-Tonnerre d’une choucroute garnie lors des dégustations du club d’œnologie ; celui qui est encore capable de tenir une conversation intéressante à dix minutes du Connemara, alors que toi t’étais déjà bon pour retourner te brosser les dents au bout de ta deuxième bière.

« Nietzsche est mort. » – Dieu

15 juillet 1945, dans le désert du Nouveau-Mexique. L’armée américaine fait exploser Gadget, la première bombe nucléaire jamais construite. L’explosion libère une énergie de 19 kilotonnes de TNT qui sera ressentie dans un rayon de 200km. Satisfait, l’état-major décidera trois semaines plus tard d’en lancer deux sur le Japon. Robert Oppenheimer, physicien et concepteur de la bombe, s’écriera, au moment de l’explosion : « Maintenant, je suis Shiva, le destructeur de monde ». Moins poétique, le professeur Kenneth Bainbridge dira : « A présent, nous sommes tous des enculés ».

La prédiction du génial physicien s’est finalement révélée bien fausse en ce qui nous concerne, étudiants d’écoles de commerce. Bien peu d’enculés, aucun Thomas Pesquet en puissance parmi les étudiants en Hautes Etudes Commerciales. Ils sont beaux, les anciens préparationnaires, à se gargariser de leur statut de monstres de concours mais parfaitement infoutus de valider un malheureux cours de comptabilité!

Et pourtant, Dieu sait que de nombreux exemples d’enculés sont à notre portée : à commencer par le vénéré directeur d’HEC (major de son MBA, major de sa promo à Supaéro et déjà major de sa classe en maternelle) et par les membres du corps professoral (allez donc faire un tour sur l’intranet de votre école histoire de consulter les CV de vos chers professeurs et de vous dire qu’on a quand même encore pas mal de boulot devant nous : celui qu’on prend pour un gentil petit professeur d’économie de l’entreprise a en fait de bonnes chances d’être multi-diplômé des plus prestigieuses universités de la Ivy League).

Sans doute s’agirait-il de se sortir un peu les doigts de la chèvre et de se souvenir de la bonne parole déjà transmise : « seule la paresse fatigue le cerveau ». Cinquante siècles de civilisation pour en arriver là…

Camille Gontier

9 Commentaires

  • Posté le 3 October 2013 à 07:34 | Permalien

    Je ne suis pas bon critique, je ferais donc concis : génial !

  • Posté le 3 October 2013 à 08:52 | Permalien

    L’article est très intéressant, et l’idée de se moquer des gens trop parfaits qu’on envie au point de les détester est superbe. Cependant, on ne pourra jamais comparer quelqu’un qui fait ou a fait une école de commerce seulement (et qui a appris la sur-jouance, qui joue le rôle de la personne parfaite à chaque instant) et quelqu’un qui est diplômé ou le sera, d’une grande école d’ingénieur. Le vrai enculé sera toujours le type d’école de commerce qui ne connaît rien à rien mais qui fait semblant, toujours avec ce regard méprisant.
    Et il n’y a pas que les étudiants de Polytechnique qui portent un uniforme parmi les meilleurs écoles d’ingénieurs. Mais en effet ça rend beaucoup crédible d’en porter un.

  • Posté le 3 October 2013 à 10:43 | Permalien

    Vivement la suite…

  • Posté le 3 October 2013 à 13:35 | Permalien

    Que dire à part Bravo ! Continues comme ça et bientôt les lettres de ton nom seront prononcées avec autant de déférence que celles qui composent le nom de Pierre Desproges.

  • Posté le 11 October 2013 à 17:59 | Permalien

    C’est du petit lait !

  • Posté le 4 October 2014 à 19:00 | Permalien

    Merci pour l’article excellent.

    Je suis tombé dessus en cherchant une vielle chanson que j’adore et qui a traîné une dizaine d’années sur Internet.

    Les paroles de la chanson se limitent à”HEC enculé” sur font de techno.

    Elle était disponible à cette adresse http://www.youtube.com/watch?v=HiWMZdO0c-c , mise en ligne par Henri de B, mystérieusement retirée depuis.

    Je pense que la vidéo a été censurée puisque notre très cher et adorable président est un ancien d’HEC (http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Hollande#cite_note-HECFAQ-34).

    L’un des lecteurs de cet article a-t’il souvenir de ce mp3? Sauriez-vous où le retrouver?

    Merci d’avance.

    ++

    • Posté le 14 December 2017 à 17:54 | Permalien

      Un bon sup de co doit être fatalement un enculé s’il veut réussir sa vie et sa carrière de cadre sup. Et ce dès l’adolescence où il commencera à s’entrainer à des enculeries de son cru avant de se perfectionner tout au long de sa vie et notamment dans son école. Exemple : inviter un collègue de promo prendre un café dans un bar jouxtant son ancien lycée mais se foutre de sa gueule tout le long et lui foutre la honte devant la serveuse. J’en ai d’autres.

  • Posté le 28 December 2017 à 19:27 | Permalien

    Autres enculeries donc : lorsque l’école enjoint à ses étudiants de se présenter en un lieu précis éloigné de l’école pour être formés à la prise de rendez-vous téléphonique (passionnant comme formation genre on s’est pas quoi apprendre à nos étudiants mais on a du fric à donner à un ancien de l’école qui va dispenser ladite formation) : super on va y aller tous ensemble. Eh bien non : l’enculerie consiste à laisser un étudiant en rade à l’aller comme au retour histoire de lui dire qu’on l’emmerde et que l’une des compétences du sup de co enculé est la mise en quarantaine d’autrui.

  • Posté le 10 February 2018 à 15:16 | Permalien

    comment reprocher aux sup de co d’être des enculés quand les dirigeants de ces dites écoles sont des doux agneaux ?

    http://www.fakirpresse.info/Regarde-les-salaries-tomber
    https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/la-preuve