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Girls, ou l’étude clinique d’une « génération perdue »

Girls-Season-3

La saison 3 vient tout juste de sortir aux États-Unis, l’occasion donc de revenir sur ce phénomène. Oui, je suis une fan inconditionnelle de cette série, au titre bien trop girly. Oui c’est une série qui parle de femmes, a priori à des femmes, mais qui va bien au delà. On a parlé du traitement cru de la sexualité, on a parlé de Lena Dunham qui s’affiche dans une franche nudité, montrant au passage quelques bourrelets et beaucoup de tatouages. Mais ce que Girls montre avant tout, c’est le cynisme précoce d’une génération qui semble joyeusement paumée.

Couper le cordon

La série commence par cette scène mémorable. La nouvelle tombe comme un couperet : « We are not going to be supporting you any longer ». D’emblée on pose les bases. Peut-on parler d’indépendance sans indépendance financière ? C’est quand ses parents lui coupent les vivres que Hannah remet en question sa vie. Ses parents allant même jusqu’à justifier leur acte avec cet argument : donner de quoi écrire à l’écrivaine en herbe. Hannah cherche donc à s’émanciper d’eux et alors qu’elle ne parvient pas à payer le loyer, elle refuse de revenir quémander. Marnie et Jessa ont visiblement des familles éclatées, avec des parents atteints de jeunisme chronique, plutôt post-adolescents que parents responsables. Shoshana, quant à elle, évoque de temps à autre sa tante, mais pas ses parents. Ces jeunes femmes se sont extraites du cadre familial, elles évoluent avec leurs amis, cette famille d’adoption. La pression familiale ne semble pas être importante, sauf peut être pour Hannah dont les parents se rapprochent davantage de l’image classique du couple de parents encore mariés, un peu chiants mais toujours plutôt bienveillants. Le cadre est donc posé : quatre femmes qui cherchent à gagner leur indépendance, dans tous les sens du terme. À cette indépendance vis à vis des géniteurs se substitue une autre forme de dépendance, la dépendance affective envers les pairs, les amis, les mecs.

La notion de couple, une palette infinie de déclinaisons

Qui dit Sex and the city 2.0 dit évidemment sexe et romance. Les scènes de sexe sont plutôt très crues et montrent la démarche derrière chaque relation sexuelle. Citons Jessa : « Every time I have sex, it’s my choice » Voilà pour la caution féministe. Mais ce qui est plus intéressant, c’est le traitement des relations amoureuses : la série en montre un spectre infini de déclinaisons. En couple, célibataire, c’est compliqué : trois statuts amoureux relativement déconnectés de l’immensité du spectre des relations. Hannah affirme qu’elle ne veut pas être en couple, mais en revanche, elle veut un mec qui veuille traîner avec elle tout le temps et qui pense qu’elle est la meilleure chose au monde. La peur de l’étiquette se dessine. De la relation extra longue Marnie-Charlie au plan cul Hannah-Adam en passant par l’épisode Marnie-Booth, ce que l’on en retient, c’est une immense confusion. Je pense notamment à Marnie : « I thaught we were together ». Le moment de la définition terrorise, mais apparaît peut être comme une alternative souhaitable à l’atroce instant ou Marnie et Booth se rendent compte qu’ils ne se pensent pas de la même manière.

Il y a aussi dans la série Girls une emphase sur cette nouvelle forme de couple, ce lien fusionnel quasi charnel entretenu avec l’amie, LA personne qui connaît tout. Et Hannah de commencer son e-book : « A friendship between college girls is grander and more dramatic than any romance ». Deux jeunes femmes qui a priori connaissent tout l’une de l’autre, et qui comme dans une relation amoureuse parviennent à haïr tout chez l’autre, comme un vieux couple d’amoureux usé par la vie à deux, trop concentrées sur leur désarroi profond, trop perdues, trop occupées à se chercher. Au fond c’est la solitude, ce pendant mélancolique de l’individualisme, qui transparaît alors.

Se perdre, se chercher, se trouver

L’inspiration nietzschéenne n’est pas loin. Episode pilote, Hannah : « Then I have work, and then I have a dinner thing, and then I am busy, trying to become who I am », idée reprise par Katherine, la mère de famille dont Jessa garde les enfants : « In my opinion, you’re doing it to distract yourself from becoming the person you’re meant to be ». Changement de temporalité oblige, la relative stabilité et le schéma classique de la création d’un foyer à soi semblent remis à plus tard. Que reste-il donc de la vingtaine ?

Plus de job, plus de mec, des tensions avec sa meilleure amie et une mère qui veut être la copine, Marnie n’a plus de repère. Marnie : «  I just wish someone would tell me, like ‘this is how the rest of your life should look ‘ ». On voit là l’incertitude de la jeune femme qui correspond bien à une génération entière en proie au doute, entrée sur le marché du travail alors en pleine crise. Et l’on entend en creux : « A quoi bon avoir fait des études si c’est pour devenir hôtesse ou barista » ? Si Marnie est incertaine, Hannah, elle, fuit en avant.

Succession d’actes gratuits, comme pour continuer à se prouver qu’on peut dépasser certains cadres et, bien évidemment, éviter à tout prix de reproduire le schéma familial et de céder à une forme de déterminisme. Quand Hannah est attouchée par son boss, Jessa lui recommande tout simplement de coucher avec lui. Pourquoi ? « For the story ». Elijah lui dit de « laisser sa trace», elle s’exécute en taguant le mur de sa chambre. Il y a dans ces scènes une immense gêne : on est gênés pour Hannah, par sa gaucherie. Ses actes sonnent faux. Elle est embauchée en freelance et sa boss lui demande de prendre de la cocaïne ou de faire un plan à trois. Pourquoi ? Parce que « The magic happens outside of the confort zone ». Et finalement elle en oublie en chemin de se respecter. Elle semble substituer l’aval parental à l’aval de ses amis, à celui de personnes un peu barrées mais surtout très cool, à qui elle veut plaire. Le personnage est dans une démonstration permanente : Hannah entend se prouver qu’elle est une jeune femme ouverte, au dessus des cadres sociétaux. Ce qui fait écho à la réflexion d’Elijah : « There is no rule but common decency ». Cette auto-provocation, cette recherche de limites se vérifient aussi dans les commentaires qu’elle assène sur sa vie sexuelle, notamment lorsque des expériences plutôt positives laissent apparaître en creux sa relation avec Adam. La clé réside dans le dialogue entre Hannah et Joshua, le beau quadra avec qui Hannah passent deux jours à faire l’amour, jouer au ping pong et manger de la vraie nourriture de « grown up » dans des pulls en cachemire. Elle lâche prise pour enfin admettre qu’elle s’impose de vivre toutes ces choses, mais qu’au fond elle recherche simplement le bonheur. Peut être un peu trop mainstream pour elle.

Lena Dunham est très probablement égocentrique comme elle aime à le souligner à travers son alter ego Hannah Horvath. La frontière entre l’autobiographie et la fiction est ténue. On lui a reproché d’exhiber son corps, de se créer des relations avec des hommes qu’elle n’aurait prétendument jamais pu rencontrer dans la vraie vie. Mais Lena Dunham nous laisse voir quatre jeunes femmes qui se construisent, qui chutent, se perdent. On est souvent gêné pour elle, gêné en tant que spectateur d’être projeté dans une intimité crue et brutale. Mais malgré tout, on s’attache à ces tendres femmes egocentriques et perdues, qui vont d’échecs en désillusions, perdant de leur optimisme mais pas de leur enthousiasme. Cyniques et désabusées, ces jeunes femmes ont pourtant une furieuse envie de vivre et de devenir ce qu’elles sont. Lena Dunham parvient à capter cet état de latence, d’incertitude, voire d’errance propre à la personne qui se cherche. Et là, c’est toute une génération qui semble se chercher, entre douce mélancolie et euphorie joyeuse.

Leïla Messouak