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Astérix est-il de droite ?

Petit essai d’interprétation politique

Pour être triviale, l’interrogation sur la dimension politique des albums Astérix n’en est pas pour autant vide de sens. Approprié par les politiques – une affiche du RPR, diffusée en 1998, stigmatisait les dissensions internes de « la droite la plus bête du monde »avec l’illustration d’un bagarre issue d’une planche d’Uderzo –, le petit Gaulois ne parait pas non plus étranger à la Res publica. En témoignent par exemple les véritables scènes d’affrontements électoraux qui figurent dans Le Cadeau de César, La Rose et le glaiveou Le Combat des chefs. Et comment ne pas évoquer Le Grand fossé, où deux moitiés d’un oppidum gaulois se trouvent divisées par la vision politique de leurs deux chefs respectifs ? Pour reprendre les auteurs eux-mêmes, Astérix « a été pensé pour être lu par des adultes. Tout, dans ses aventures, n’est que symbole, gravité et sérieux » [1]. Mais si une lecture politique des aventures d’Astérix est possible, la question se pose donc nécessairement : ce dernier est-il de droite, ou de gauche ? Sa générosité bien connue en fait-elle un socialiste, ou son chauvinisme l’inclinerait-il plutôt à voter UMP ?
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Une figure symbolique du Français moyen
D’emblée, une réponse semble évidente : ni de droite, ni de gauche, Astérix est tout simplement représentatif du Français moyen. Au-delà des clivages politiques, il incarne le caractère national : « râleur, bagarreur […] mais aussi sympathique, courageux, honnête, rusé fidèle et le cœur sur la main »[2]. Ainsi l’insoumission aux armées romaines, face à des chefs pactisant avec Rome – comme dans Le Chaudron ou Le Combat des chefs – et avec l’appui des patriotes gaulois rappelle évidemment la Résistance, mythe national unissant droite et gauche. Le pavois de Vercingétorix/Abraracourcix, au centre de l’album Le Bouclier arverne, est ainsi symbolique de l’esprit de résistance nationale.
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Dans Le Complexe d’Astérix, publié en 1985, Alain Duhamel faisait une autre analyse : dans leur village fortifié, cerné par la mer et par les légions romaines, Astérix et ses compagnons illustreraient l’« exception culturelle » des Français contemporains et leur réticence à s’insérer dans une mondialisation perçue comme dangereuse et destructrice. Un combat dans lequel pourraient tout aussi bien se retrouver José Bové, démonteur de Mc Donald, Arnaud Montebourg, porteur de marinière, ou Dominique de Villepin, défenseur du « patriotisme économique ». Pour autant, sans nier cette essence transpartisane, une lecture attentive des albums  révèle des indices précieux sur l’identité politique du Gaulois.
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Héros de la gauche anticapitaliste…
Il serait bien sûr facile de comparer le barde Assurancetourix à Jack Lang – grâce auquel des millions de Français peuvent profiter des mauvaises notes de leurs voisins à chaque Fête de la Musique. Mais au-delà de ce parallèle malicieux, plusieurs marqueurs idéologiques viennent placer nos irréductibles Gaulois sur la gauche de l’échiquier politique français.
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Peu portés sur la discipline militaire – Astérix légionnaire en un offre une preuve flagrante – et toujours prêts à offrir l’asile aux persécutés, de Pépé l’Ibère (Astérix en Hispanie) au questeur Malosinus (Astérix chez les Helvètes), Astérix et ses compagnons pourraient sans peine être revendiqués par Eva Joly et par les Jeunes socialistes.
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D’autant que, à l’instar de François Hollande dans son discours du Bourget, ils sont « ennemis de la finance ». César l’affirme lui-même dans La Zizanie : « L’or n’intéresse pas ces barbares, sinon ça fait longtemps que la potion serait dans le commerce »[3]. L’album Obélix et compagnie est, en particulier, symbolique du rapport plus que conflictuel qu’entretiennent nos héros avec l’argent et le capitalisme. Le Premier ministre de l’époque, le libéral Jacques Chirac, y est caricaturé sous les traits de Caïus Saugrenus, technocrate romain adepte de l’économie de marché. Par l’appât du gain et de la puissance – « L’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase» dixit François Mitterrand – il poussera Obélix à industrialiser sa production de menhirs pour alimenter le marché romain, accumuler les sesterces et devenir ainsi « l’homme le plus important du village ». La suite aurait pu être écrite par Lénine ou Mélenchon : la richesse d’une minorité, le travail et la concurrence montante entre villageois vont totalement briser l’harmonie de la communauté. Fort heureusement, la bulle spéculative entretenue par les Romains finira par éclater, détruisant du même coup la spirale destructrice du capitalisme.
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Hostiles à l’économie de marché, nos Gaulois affichent en outre une véritable conscience écologiste. Dans Le Domaine des dieux, ils s’opposent ainsi à Anglaigus, promoteur latin sans scrupule – et exploiteur de main d’œuvre à bas coût – qui entend détruire l’écosystème forestier pour édifier un vaste complexe immobilier. La forêt qui entoure le village est perçue comme un environnement protecteur et à protéger. Un vif débat s’engage alors au sein de la communauté. A l’intérêt économique d’Ordralfabetix et Cetautaumatix, enrichis par le tourisme romain, Panoramix répond par la prise de conscience écologique : « Les Romains ont détruit la forêt et vont finir par nous détruire ! »[4]. Sursaut salutaire, les Gaulois abattront l’insula d’Anglaigus et replanteront chaque arbre arraché. Le soir tombera sur une nature restaurée dans ses droits face à la funeste industrie humaine.
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Pour autant, s’agit-il là de valeurs spécifiquement « de gauche » ? L’histoire des idées politiques permet de répondre par la négative. Comme René Rémond l’a montré dans Les Droites en France, le capitalisme libéral n’a jamais fait consensus à droite, et suscite l’hostilité plus ou moins forte de ses composantes « légitimiste » et « bonapartiste ». Quant à l’écologie, ne puise-t-elle pas ses sources dans la pensée catholique de Saint François d’Assise et dans un traditionalisme pour lequel seule « la terre ne ment pas » ? La thèse d’un Astérix spécifiquement socialo-écologiste n’est donc pas satisfaisante.
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…ou chauvin traditionaliste ?
A l’inverse le Gaulois et ses amis professent d’autres valeurs qui les marquent sans ambiguïté à droite. Un net antifiscalisme, d’abord : « Un jour un collecteur d’impôts est venu. Depuis nous sommes dispensés d’impôts » déclare un Abraracourcix goguenard dans Le Chaudron[5]. De tels propos pourraient sans peine être tenus par un militant de l’UMP, de même que celui-ci adhèrerait à la description faite, à la page 43 du même album, du percepteur romain : assis sur son coffre d’or et s’exprimant, l’air renfrogné, dans un jargon bureaucratique. Le bouclier d’Abraracourcix peut donc être perçu comme un antique et subtil prédécesseur du « bouclier fiscal » sarkozyste.
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L’attachement à un certain nombre de valeurs traditionnelles, ensuite. Primo la grandeur nationale, qui se traduit par le culte des gloires historiques et qui conduit Abraracourcix à une curieuse amnésie au sujet d’Alésia – « Alésia ? Connais pas Alésia ! Je ne sais pas où se trouve Alésia ! »[6] – ou à une expédition en Belgique pour prouver à César et aux Belges que, de tous les peuples, les Gaulois sont les plus braves. Secundo, le principe d’autorité, incarné à merveille par Panoramix, vieux sage raisonnable, gardien des valeurs du village. Astérix se fie entièrement à son jugement et lui voue le respect dû par l’homme de droite aux aînés et aux autorités civiles et religieuses. Tertio, et enfin, la stabilité sociale. Le village demeure, au fil des albums, dans un ordre social, économique et urbain quasiment immuable : aucun changement de profession, aucun bouleversement architectural, aucune immigration. La conservation de cet ordre immuable sert d’ailleurs d’enjeu à bon nombre d’aventures, face aux envahisseurs –Astérix le Gaulois, Astérix et les Normands – ou aux agents du désordre – Le Devin, La Zizanie, au premier rang desquels le féminisme. En la personne de Maestria, pasionaria du « MLG » (Mouvement de Libération de la Gauloise), qui s’élève contre la « tyrannie masculine », entend faire porter des braies aux femmes et diriger le village à la place d’Abraracourcix, le féminisme est en effet perçu et combattu comme un danger[7]. Et quand le village est détruit par les Romains, dans Le Fils d’Astérix, c’est pour ensuite être reconstruit strictement à l’identique.
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On trouve du reste en commentaire du banquet final du Domaine des dieux une formule qui pourrait exprimer la quintessence des aventures d’Astérix : « Une victoire sur les Romains, une victoire sur le temps qui passe, inexorablement»[8]. Or qu’est-ce qu’être de droite, en définitive, sinon s’efforcer de retenir la fuite du temps ?
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Une certaine idée de la Gaule
Cette curieuse identité politique, courant de pensée hybride, empruntant principalement à la droite traditionnelle mais aussi à la gauche, trouve une traduction dans l’histoire française des idées : le gaullisme. Attaché à la fois à la grandeur nationale, au principe d’ordre et à la justice sociale, aussi peu à l’aise avec le libéralisme économique qu’avec les progressistes échevelés, Astérix présente une intéressante métaphore de la pensée gaulliste. Puisant elle aussi son essence dans l’idéal de la Résistance, celle-ci se retrouve étrangement dans la synthèse politique du Gaulois. Elle aussi fait du rassemblement un impératif moral – et plus encore, une philosophie de gouvernement – au service de la grandeur et de l’indépendance du pays. Est-ce un hasard si Uderzo et Goscinny, pour annoncer la parution du Combat des chefs dans le magazine Pilote, avait imaginé Abraracourcix donnant une conférence de presse très proche, dans la forme, de celles du Général ? De là à voir dans le chef du village un clin d’œil à la « présidence monarchique » de ce dernier – et dans Bonemine, épouse discrète mais solide, un avatar de « Tante Yvonne » -, il n’y a qu’un pas. On pourrait de même faire un parallèle entre la potion magique de Panoramix et la force de frappe nucléaire acquise par la France en 1960 : l’arme secrète gaullienne, rendant la France invincible et la mettant, définitivement, à l’abri des menaces extérieures.
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Les nombreux voyages d’Astérix ne sont eux-mêmes pas sans rappeler la politique étrangère qui fut celle du général de Gaulle: recours contre l’impérialisme romain – Astérix en Hispanie, Astérix chez les Bretons, La Galère d’Obélix– comme la France s’affirmait comme une alternative à l’influence américaine, les Gaulois offrent également leur médiation pour apaiser les conflits internes – ainsi dans Astérix chez Rahàzade, Astérix chez les Pictes –, sans avoir pour autant une grande considération pour « le machin qu’on appelle l’ONU », en l’occurrence une Conférence des chefs de tribus traversée en trombe et en une planche dansAstérix et les Helvètes. Le Grand fossé illustre aussi étrangement la politique d’arbitrage française dans la Guerre froide : Astérix et Obélix y sont invités dans un village déchiré entre sa partie droite, dirigée par le conservateur Ségrégationnix, et sa partie gauche, sous le « bouclier d’airain, d’or et d’argent, symbole de paix, travail et congés payés »[9] de Tournedix. Dans ce village divisé par un fossé, comme Berlin par son Mur, ils refusent de prendre parti et prônent au contraire le dialogue entre les deux camps, qui se traduira à terme par la réunification.
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Foncièrement conservateur, animé d’une conscience nationale forte mais également épris de justice et méfiant à l’égard de l’économie de marché, Astérix pourrait donc être une mascotte– plus encore : une figure totémique – du gaullisme. Certes, il doit être remis dans un contexte historique : né au sortir de la Seconde guerre mondiale, dans une société française encore conservatrice et marquée par l’esprit de village, il est bien évidemment le fruit de son époque. Mais, au fond, le message qu’il transmet, en même temps que  le gaullisme, est intemporel : il est l’idéal du rassemblement, la soif d’indépendance et la volonté de tenir son rang – le premier –  dans un monde qui change. Une certaine idée de la Gaule, en somme.
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Simon Laplace
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[1] Uderzo et Goscinny, Le Livre d’Astérix le Gaulois, Albert René 1999
[2] Idem
[3] La Zizanie, page 6
[4] Le Domaine des dieux, page 35
[5] Le Chaudron, page 6
[6] Le Bouclier arverne, page 12
[7] Un danger écarté de manière assez misogyne, puisque Maestria et sa légion féminine seront vaincues par la pluie et par les soldes.
[8] Le Domaine des dieux, p.47
[9] Le Grand fossé, p.8

Un Commentaire

  • Posté le 17 May 2014 à 13:15 | Permalien

    Une autre interprétation possible et éclairante : certains pensent qu’Astérix serait en fait une métaphore du peuple juif (le petit village encerclé par un monde hostile, et une foultitude d’autres aspects et détails) ; René Goscinny était lui-même juif.
    Bref, encore de l’auto-célébration masquée (si cette hypothèse se confirme).
    Je renvoie à cet article détaillé :
    http://fr.scribd.com/doc/22675204/Asterix-le-juif

    Pour l’anecdote, Superman est également un super-héros inventé comme archétype symbolique positif du Juif (et c’est sûr dans ce cas-ci, même s’il se trouve des gens pour nier en prenant l’affirmation en pied de la lettre*).
    https://www.youtube.com/watch?v=Vm8gmJ-rGb0

    * D’ailleurs, je viens de me rendre compte que le type qui utilise ce stratagème n’est autre que… celui qui défend la thèse contraire dans la vidéo en lien ci-dessus !! Pilpoul, quand tu nous tiens !
    http://www.actuabd.com/Didier-Pasamonik-Non-Superman-n-est-pas-juif