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Un éclair électrique soudain : une histoire du flash

En 1839, François Arago proclame l’invention de la photographie devant les membres de l’académie des sciences. Une fois l’euphorie produite par la découverte qu’on pouvait fixer durablement sur une surface des images du monde extérieur, des expériences ont été tentées pour 1) améliorer le temps de pose et pouvoir réaliser des photographies « instantanées » 2) ne plus dépendre de la seule lumière du soleil qui limitait fortement les possibilités des photographes : prises de vues en pleine journée, par beau temps et uniquement en extérieur. Bref, pouvoir photographier plus de choses, plus souvent, plus facilement. Albumine, collodion sec, collodion humide etc., de nouvelles préparations chimiques n’auront de cesse d’améliorer la sensibilité des surfaces et ainsi la vitesse de prise de vue, jusqu’à la véritable instantanéité du gélatino-bromure d’argent vers 1880.

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Avant cette date, d’autres recherches, portant sur la lumière artificielle cette fois-ci, sont menées en parallèle, toujours dans l’idée de fixer l’infixable, le non ou le peu visible. Henry Fox Talbot, qu’on pourrait définir comme l’inventeur à-peu-près-ex-aequo-avec-Niépce-de-la-photographie-mais-en-angleterre, écrit ainsi un article sur la possibilité d’obtenir des images « instantanées » grâce à la lumière artificielle : « Il est en notre pouvoir d’obtenir l’image de tout objet en mouvement, quelle que soit sa rapidité, pourvu que nous ayons la possibilité de les éclairer suffisamment grâce à un éclair électrique soudain. »

Pour cela, il était nécessaire de trouver une source lumineuse contrôlable et « actinique », c’est-à-dire capable d’impressionner une surface photosensible.

Les premières expériences concluantes ont lieu très tôt, vers 1840. La lumière oxhydrique, alors utilisée pour les projecteurs de théâtre permet de faire des daguerréotypes – le support photographique principal de l’époque – en moins de cinq minutes au lieu de près de vingt-cinq auparavant. En 1860, Nadar fait même équiper son immense studio du boulevard des Capucines et met en place un salon « photo électrique » où il réalise des portraits et entreprend de photographier les catacombes de Paris.

De nombreuses autres techniques suivront la lumière des projecteurs.
Tout d’abord, un procédé connu sous le nom de « flamme de Bengale », qui consistait grosso modo à mettre le feu à une préparation pyrotechnique à base de soufre, de phosphore, de sulfure de carbone et d’autre substances à l’évocation sympathiques qui, en plus d’être compliquées et dangereuses à manier, produisaient des fumées épaisses et toxiques. Elles connurent pourtant une grande popularité.

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C’est finalement le magnésium qui répond pendant une longue période de la façon la plus satisfaisante aux recherches sur la lumière artificielle en photographie. La technique devient d’usage courant en 1887 et est employée jusqu’aux années 1920-1930.

Le magnésium est dans un premier temps utilisé sous forme de ruban parfois tenu avec une pince au dessus d’une lampe ou d’une flamme, puis brûlé en petits morceaux. Ce procédé permettait d’obtenir une lumière de courte durée. Mais la sensibilité des plaques au collodion de l’époque nécessitant généralement un temps de pose de plusieurs secondes, des appareils à mouvement d’horlogerie furent créés pour maintenir l’éclair plus longtemps.

Le temps de pose demeurait malgré tout d’environ une minute, ce qui paraît peu mais peut en fait s’avérer sacrément long quand il s’agit de rester immobile pendant 60 secondes tandis que le photographe met le feu à une substance chimique qui vous éclaire violemment d’une lumière si aveuglante qu’elle vous oblige à garder les yeux fermés. « Crispation » est le premier terme qui vient à l’esprit. On comprend donc aisément que cette technique ait surtout servi à photographier des objets inanimés et immobiles.

Dans les années 1880, deux évolutions techniques concomitantes viennent tout changer : la photographie instantanée devient possible grâce au fameux gélatino-bromure d’argent et on parvient à transformer le magnésium en poudre. La pose est désormais réduite à une fraction de seconde et la lumière de magnésium permet enfin d’obtenir des portraits un tantinet moins figés. Ceci étant dit, Albert Londe écrit tout de même en 1914 que « tous les photo-poudres sont de véritables explosifs», ce qui demeurait modérément rassurant. L’emploi de cette technique présentait ainsi certains dangers pour l’utilisateur d’autant que la poudre s’allumait, à l’origine, à la main, au moyen d’une allumette… Jacob Riis, l’un des plus fameux utilisateurs des premiers procédés au magnésium, faillit provoquer un incendie et ce type d’accidents était assez commun. En plus de présenter des dangers, le magnésium présentait le même inconvénient que les flammes de Bengale et autres procédés pyrotechniques antérieurs : sa combustion produit une fumée épaisse formée d’une fine poussière de magnésie. Amélioration substantielle tout de même car, bien que très irritante, cette fumée n’était plus toxique.

Tous ces inconvénients ne seront définitivement réglés qu’avec le développement dans les années 1930 des ampoules-éclair ou « flashbulbs » qui marque la fin de la photographie à l’éclair de magnésium. Dans ce procédé, le métal se présente sous forme d’un fil très fin, ou d’une mince feuille d’aluminium, il est enfermé dans une ampoule en verre remplie d’oxygène à basse pression. L’allumage du fil se fait par le passage d’un courant électrique dans un filament enrobé d’une pâte explosive qui provoque l’inflammation rapide du fil, l’ampoule est par conséquent à usage unique.

Ces « flash » en forme d’ampoule qui apparaissent dans les films noirs pour planter le décor et qu’on voit systématiquement dans les mains d’hommes agités immanquablement vêtus d’anoraks beiges. Et pour cause, cette technique assez coûteuse et encombrante (puisque les premières ampoules sont à usage unique) reste pendant longtemps l’apanage des photo journalistes.

L’esthétique de la lumière artificielle est très particulière, elle modifie les visages et la tonalité de toute la photographie. Les contrastes sont plus forts, les contours plus nets, les personnages se détachent davantage sur le fond… Une certaine violence se dégage de l’image prise au flash.

Les manuels destinés aux photographes amateurs mettent d’ailleurs en garde contre cet aspect : « La lumière directe, dont le nom seul comporte la définition, en frappant les points saillants du modèle, accentue ces saillies en les éclairant vivement, tandis que les parties non frappées directement sont noyées dans une ombre plus ou moins épaisse. Cette lumière directe « pique » partout des notes éclatantes, blanches […] c’est elle qui fournit, avec une lampe unique au magnésium, ces figures heurtées qu’on nous a autrefois si souvent présentées; ou encore qui, tombant trop normalement sur le modèle, donne un visage aplati, blafard. »

Il existe des moyens d’adoucir la lumière directe du flash, par l’ajout de panneaux réfléchissants, ou d’autres flashs déclenchés simultanément éclairant d’autres parties de la pièce et qui contribuent à créer une lumière plus diffuse. Mais ces aménagements ne sont pas compatibles avec la photographie « sur le vif » qui caractérise la photographie de presse et est à l’origine d’une esthétique très particulière qu’on retrouve développée à l’extrême dans l’œuvre de certains photographes des années 1930 aux années 1960. Elle est notamment sensible dans l’œuvre d’Arthur Fellig, plus connu sous le pseudonyme Weegee. Ses photographies de la vie new yorkaise nocturne, et plus particulièrement des faits divers qui s’y déroulent, témoignent d’une recherche esthétique de l’usage du flash. De même que les photographies de Lisette Model qui continuent à prendre pour modèle les marginaux des États-Unis, et de New York en particulier. L’utilisation de la lumière artificielle en photographie devient tellement courante qu’on a pu appeler la période des années 1930 aux années 1960, au moment où se développent les flashs électroniques, « l’âge du flash ».

Elsa Whyte