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Paul Fournel : “Les écrivains écrivent avec des mots. Le reste est un détail ou une maniaquerie”

Écrivain, auteur dramatique, poète, Paul Fournel est entré à l’OULIPO en 1972. Il répond aux questions de Profondeur de Champs.

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Pouvez-vous nous raconter vos premiers souvenirs avec la littérature ?

C’était « Le Club des Cinq » publié dans la bibliothèque Rose que je lisais le soir enfoui sous mes draps à la lumière de ma lampe de chevet jaune. Une lecture choisie par moi qui n’avait pas d’autre objet qu’elle-même et mon plaisir. C’était ce que je pouvais percevoir comme traits de la « littérature » à cet âge et je trouvais cela voluptueux.

Dans quelle mesure, votre formation à l’École Normale Supérieure a-t-elle nourri votre écriture ?
 
On y lit. On y étudie les textes de près et de loin. On en parle. On y rencontre des gens qui en ont lu d’autres. On y écrit et on apprend à trier, travailler vite, sélectionner ses tâches et ses plaisirs. On y résout des problèmes techniques qui permettent de mieux utiliser ses outils. On s’affine. On s’y persuade que la littérature est importante et qu’écrire est un projet valide.

Quelles rencontres vous ont fait « grandir » en littérature ?
 
Raymond Queneau et l’Oulipo.

Dans notre société post-industrielle trouvez-vous que l’écrivain délaisse le papier ? Vous-même comment écrivez-vous ?

Les écrivains écrivent avec des mots. La façon dont ils posent leurs mots dépend du temps, des moyens techniques, des machines disponibles et du tempérament de chacun. Mais l’essentiel ce sont les mots. Le reste est un détail ou une maniaquerie.

J’écris maintenant sur écran. J’ai longtemps écrit à la plume sur papier. J’ai sauté avec joie la case « machine à écrire » qui m’exaspérait par son bruit et ses contraintes techniques (ce qui plaît particulièrement à certains qui l’utilisent encore, précisément pour son « jazz »…). Quand je n’ai pas d’écran, je pose mes mots partout sur du A4, dans des carnets… C’est sans réelle importance.

Vous êtes passionné de cyclisme, comme beaucoup d’artistes : Alfred Jarry, Fernand Léger, Paul Morand… Qu’apporte cette passion à votre écriture ?

Le repos et la fatigue. « Il faut bien que le corps exulte » chantait Jacques Brel. Le vent et la rapidité. Le voyage à la vitesse des hommes qui permet de faire tourner des phrases et des idées (au moins jusqu’à ce que la route monte). Les vacances aussi. Et puis comme on ne peut pas lire à vélo (ou en tout cas pas longtemps), c’est un endroit rêvé pour réfléchir. Le vélo pratiqué par les champions, lui, est mon feuilleton. Je le regarde et il en vaut d’autres.

Dans votre parcours, vous avez toujours été proche des Etats-Unis, de vos activités d’enseignant à l’Université de Princeton à Jason Murphy, poète imaginaire de la Beat Generation. Quels poètes américains appréciez-vous et pourquoi ?

Vue de ce côté de l’Atlantique, il me semble que la poésie américaine souffre de moins de contraction que la poésie française. Parfois même on pourrait la chanter. Il m’arrive de fredonner en la lisant. Et puis je ne suis pas partie prenante de ses querelles. Je la lis pour la gourmandise de la langue comme un mystère que j’ai peur de doublement mal comprendre. Ne connaissant pas les poètes américains comme un spécialiste, je peux les lire sans a priori, sans préjugé, comme on pédale par un matin de soleil. La liste des noms est disponible partout : de John Ashbery à Louis Zukofsky en passant par l’ami Harry Mathews.

Pourriez-vous évoquer les projets sur lesquels vous travaillez actuellement (poèmes, romans, essai…) aux lecteurs de Profondeur de Champs ?

Je travaille encore ces jours-ci à un recueil de poèmes qui paraîtra avant l’été prochain et qui portera sur la nourriture, la recette et les formes. Il devrait s’intituler « Le Bel appétit ». Et puis je pense à autre chose qui commence à pousser et puis j’écris des textes ici et là pour les lectures de l’Oulipo, pour les ouvrages collectifs, pour des revues. Et je garde toujours un œil ouvert, en pédalant, en lisant, en écrivant, au cas où passerait une idée ou un poème… Le métier d’écrire en quelque sorte. À pratiquer chaque jour car l’écriture est un muscle.

Entretien réalisé par Nicolas Grenier.

Site officiel de l’auteur : http://www.paulfournel.net/