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Zoom sur la jeune création théâtrale : Les Entichés et les Réveillés

Profondeur de Champs souhaite cette année porter une attention particulière à la jeune création théâtrale. Chaque année des centaines de jeunes compagnies sont crées en France et tentent leur chance dans la capitale. Amis d’école, de conservatoire ou copains de castings, ces jeunes gens font fi de la morosité ambiante et se démènent pour réaliser et faire vivre leurs projets. Pour ce premier opus dédié aux jeunes artistes du spectacle vivant, nous avons rencontré deux compagnies avec – une fois n’est pas coutume – deux filles à la mise en scène : Les Réveillés et les Entichés.

Les Entichés : «Nous ne concevons pas le théâtre sans engagement»

A la tête des Entichés il y a le tandem Mélanie Charvy (25 ans) et Paul-Antoine Veillon (21 ans), deux inséparables issus du Studio de Formation Théâtrale de Vitry. A leur actif, ils ont monté deux pièces inédites de l’auteur Christian Morel de Sarcus au Théâtre de l’Etoile du Nord et au Guichet Montparnasse, réalisé un court-métrage et développent à présent leur nouvelle création J’appelle mes frères du Suédois Jonas Hassen Khemiri.
J’appelle mes frères c’est l’histoire d’un jeune adulte « issu de l’immigration » hanté par le racisme latent et la suspicion permanente de la société suédoise contemporaine. La première parisienne a eu lieu au Théâtre de Verre en Octobre 2014. L’occasion de revenir avec la metteur en scène Mélanie Charvy sur les coulisses de cette production ambitieuse et engagée.

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C’est la première fois que la pièce « J’appelle mes frères » est montée en France. Pourquoi avoir choisi ce texte ?

Tout est parti d’un travail avec les enfants du centre Kirikou (centre associatif de Saint Ouen). Des enfants de la troisième voir quatrième génération d’immigrés. J’ai été interpellée par leurs histoires et j’ai eu envie d’aborder l’immigration au théâtre. Puis j’ai découvert ce texte en comité de lecture au Studio de Formation. Dans les pays scandinaves ce texte est entré en résonance profonde avec les événements meurtriers de l’île d’Utoya et la psychose anti-terroriste qu’elle a enclenché. J’ai contacté la traductrice de la pièce et je me suis lancée dans l’aventure il y a presque un an.

Inclure le Politique au théâtre, est-ce un des enjeux de création des Entichés ?

Absolument. Je n’arrive pas à faire du théâtre sans qu’il y ait une forme d’engagement. Pour les Entichés, le théâtre doit être un écho du monde d’aujourd’hui, il doit amener le spectateur à s’interroger à la sortie de la représentation. Avec J’appelle mes frères nous avons questionné de manière presque ludique la question brûlante de l’immigration et de la double origine. La fiction permet une forte identification. Les réactions de spectateurs en ce sens sont très encourageantes.

J’appelle mes frères est un texte à la forme particulière, rythmé uniquement par des conversations téléphoniques. Comment rendre cette dramaturgie vivante ?

J’ai choisi de prendre le contrepied de l’écriture. Le seul moment où une conversation téléphonique est présente dans la mise en scène, c’est quand un personnage fait semblant de téléphoner ! La pièce est dialoguée, au présent, rythmée par la musique et la vidéo qui sont à la fois des appuis de jeu pour les comédiens et des interludes qui viennent sublimer les hallucinations du personnage principal, littéralement torturé par la suspicion liée à la menace terroriste. Il incarne toute une génération qui se sent coupable de crimes qu’elle n’a pas commis.

Et être une jeune compagnie en 2014 c’est quoi ?

C’est tout d’abord faire ses premiers pas dans le monde professionnel du théâtre. Et il faut savoir s’entourer. Tout d’abord de professionnels expérimentés qui peuvent nous guider sur le chemin de l’administratif. Et faire la rencontre de jeunes artistes prêts à défendre une création en acceptant de partir de rien. Pas d’argent, pas de moyens, juste le texte et les acteurs. Enfin, c’est aussi apprendre à se positionner. Savoir ce que l’on veut défendre et pourquoi on fait du théâtre. Dans le cas des Entichés c’est toujours d’amener le public à réfléchir sur une question de société.

Site : http://compagnielesentiches.wordpress.com
Facebook : https://www.facebook.com/compagnielesentiches?fref=ts
Bande annonce de J’appelle mes frères : http://www.dailymotion.com/video/x29ek2t_j-appelle-mes-freres-de-jonas-hassen-khemiri-compagnie-les-entiches_creation

Les Réveillés : Se donner la contrainte d’être « sans limites »

La bande des Réveillés c’est sept amis, comédiens, auteurs ou metteurs en scène qui se sont rencontrés dans les couloirs du Conservatoire du Xème et qui ne sont plus quittés depuis. Ils présentent depuis octobre Rodéo Protocole une pièce déjantée écrite par Mathilde Isaad et mise en scène par Tessa Bazin. Sur scène six comédiens ne cessent de se demander (et de prendre à parti les spectateurs) ce que c’est, « ça » : le théâtre. Pourquoi on y va. Qu’est ce qu’on veut y entendre. Et d’exploser joyeusement les références et les codes – néo-brechtiens, raciniens et les autres. Ici, on ne se demande point si il y a « nécessité de sang et de morts » (Racine) sur scène mais au contraire pourquoi les personnages féminins n’ont jamais leurs règles ! Entretien avec la metteur en scène Tessa Bazin.

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Rodéo Protocole qu’est-ce que c’est ?

Rodéo Protocole c’est pas facile à décrire. C’est une pièce sur le théâtre et à la fois sur l’explosion des formes théâtrales. On a cherché à re-convoquer ce qu’il y avait de magique au théâtre et que l’on perd parfois à force de s’encombrer de références. A créer un espace de liberté folle où tout est possible.
Il y a aussi l’idée de rendre le spectateur participatif. De l’inclure dans le spectacle de le provoquer, de le stimuler. Nous avons voulu un spectacle qui remue, qui « réveille » (!)

Comment avez-vous travaillé ce texte un brin barré ?

Nous avons répété en nous appuyant sur le texte de Mathilde Isaad qui l’a réécrit au fur et à mesure, en se nourrissant de l’univers des comédiens. Nous nous sommes données pour seule contrainte de ne pas avoir de limites, d’aller au bout des idées, des propositions aussi abracadabrantes soient-elles. Et il y a aussi le bonheur de travailler tous ensemble, de se nourrir de l’énergie des uns des autres.

Dans Rodéo, il y a de la danse, du chant, des contorsions… Le corps des comédiens c’est important pour les Réveillés ?
Très. On a vraiment voulu reconstituer un cabaret. Un cabaret certes de bric et de broc, fait avec ce qu’on a sous le main, mais un cabaret qui fait de l’effet ! Les passages dansés ont été travaillés avec un chorégraphe et nous avons énormément répété.

Et être une jeune compagnie en 2014 c’est quoi ?

En pratique c’est une énorme galère. On débute et il n’y a aucune reconnaissance, aucunes subventions. On est jeunes, on a très envie de créer et de jouer mais nous n’avons pas de moyens. Alors c’est le système D : nous avons joué dans des squatts, des jardins publics. Mais ca nous a aussi permis de faire beaucoup de rencontres, de partager notre travail avec un public qui ne se rend forcément au théâtre.
Rodéo Protocole se joue au théâtre de la Reine Blanche jusqu’au 15 novembre 2014

Facebook : https://www.facebook.com/CompagnieLesReveilles?fref=ts
Teaser : https://www.youtube.com/watch?v=TPaN6FedPgY

Propos recueillis par Agathe Charnet.