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“Pourquoi mes frères et moi, on est parti” : rencontre avec l’équipe

Après la représentation de Pourquoi mes frères et moi on est parti, un texte de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, au théâtre de Belleville, Lillah Vial a rencontré les comédiens ainsi que la metteur en scène du projet, Sarah Tick.

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Profondeur de champs : Pouvez-vous revenir sur votre rencontre, sur la genèse du projet ?

Sarah Tick : Nous sommes plusieurs à avoir été formés au Studio de Formation Théâtrale de Vitry-sur-Seine, et deux comédiens du groupe sortent du cours Florent. En 2011 nous avons créé une compagnie avec Anne-Laure Gofard et François Couturier. Nous sommes cinq en tout mais faisons aussi appel à d’autres comédiens en fonction des projets.

Concernant ce spectacle, l’aventure a commencé lors d’un festival à Lille. J’ai vu Clément, Pierre-Antoine et Paul-Antoine arriver ensemble, et je me suis dit qu’il fallait faire un truc avec ces trois là. J’ai alors tout de suite pensé à le pièce de Hédi.

La question s’est ensuite posée de qui allait jouer Nour, le quatrième personnage. Pour moi c’était impossible de choisir un mec, car c’est un garçon très jeune, et Pierre-Antoine a pensé à Laura. Et après tout, Nour est un prénom mixte donc ça n’a jamais posé de problème.

PdC : Est-ce difficile de jouer un garçon ?

Laura Chetrit : Non, c’est rigolo, je m’amuse à le faire. Puis Sarah m’aiguille quand la voix est trop aiguë ou quand les gestes sont trop féminins. On ne peut pas parler d’un véritable travestissement vu que je porte juste un bonnet et un survêtement, il a surtout fallu chercher le corps et la voix du personnage.

PdC : Dans tous les cas vous avez réussi à recréer cet esprit de fratrie, comment avez-vous procédé ?

Sarah Tick : Ça aide que les comédiens soient amis dans la vie mais il a tout de même fallu bosser car la fratrie et l’amitié sont deux choses différentes. On a beaucoup travaillé sur une forme de violence qui peut exister entre des frères, notamment sur le rapport des aînés à Nour.

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PdC : Vous avez fait le choix, d’après une critique publiée sur le net, d’une scénographie minimaliste pour « écarter tout naturalisme anecdotique ». Le naturalisme est selon vous un travers à éviter avec ce texte ? Est-ce un moyen de le faire entendre davantage ou autrement ?

François Couturier: Au final ça nous échappe. Ce qui est drôle c’est qu’on a essayé de penser les choses en amont et en fait tout s’est déconstruit : au début on pensait à un truc réaliste, puis tout a changé et on a eu l’idée de la bâche au sol. J’avais l’impression d’avoir bossé sur le sol mais à la première on s’est rendu compte que tout ce qui vivait c’était ce qui est aérien, la poudre etc.

Sarah Tick : En répétition on avait bossé avec du sable et sinon beaucoup sans rien. Ça a été une bonne surprise quand on s’est aperçu que ça volait, et la texture du sol avec l’argile nous plaisait. L’argile rappelle la chaux sur les murs des maisons, mais aussi celle des caveaux, des fosses communes. C’est aussi ce qui délimite le stade de foot et représente la drogue. Le talc, lui, rappelle la vocation de mime de Nour.

François Couturier : Concernant les casiers, l’idée est venue lors de répétitions au Théâtre de Verre. Ils étaient entreposés dans la salle dans laquelle nous travaillions.

Sarah Tick : Ce qui est intéressant avec les casiers c’est que ça peut-être des casiers de foot mais aussi de bureau ou autre. On trouvait que c’était suffisamment neutre.

François Couturier : On voulait aussi jouer sur la règle du hors-jeu en foot, ce qui implique qu’il n’y a jamais de sortie, les comédiens sont toujours sur le plateau. Pour ce qui est des costumes, l’idée était de créer une unité visuelle, puis on a imaginé que les frères s’échangeaient leurs vêtements entre eux.

PdC : Une heure de spectacle, c’est court, voire frustrant !

Sarah Tick :  Le texte seul fait entre 43 et 45 minutes donc c’est une pièce courte, c’est la première commande qui a été faite à Hédi. Il le dit lui même, la rapidité est quelque chose qui lui plaît. Il y a un message, une ambiance, je ne vois pas ce qu’on aurait raconté d’autre. Puis il y a le danger de tomber dans l’anecdotique. C’est court, ça se veut comme une photo de ces mecs là à un moment donné, comme une photo de leur état. Chacun imagine ce qu’il veut pour la suite.

Ça a tout de même été une énigme pour nous car le texte finit par un point d’interrogation, et pendant ces huit dates on a essayé cinq ou six manières différentes de finir le spectacle !

PdC : Le texte introduit la question du basculement vers l’âge adulte et la situation de passivité des personnages rappelle le mal du siècle des jeunes de notre société. Est-ce un thème qui vous touche ? Y a-t-il une résonance avec les événements récents ?

Pierre-Antoine Billon : Un peu mais on s’est demandé « est-ce qu’on joue ou pas ? », pas « est ce qu’on joue ça ? ».

Sarah Tick : J’ai demandé à Hedi ce que devenaient ces mecs là selon lui. Il m’a répondu que le personnage de Mo n’avait pas de limites et je pense que s’il y en avait un qui pouvait tomber dans quelque chose de plus extrême ce serait lui.

Je pense aussi qu’ils ont tous un idéal très différent, et en même temps ne savent pas où ils vont.

C’est un idéal très consumériste de la fin des années 90. Ça pourrait devenir en 2015 un idéal beaucoup plus radical. Après, ces jeunes là sont dans une tout autre galère que ce qu’on peut connaître nous. Même si ça peut résonner beaucoup aux oreilles d’une jeunesse désabusée, on n’en reste pas moins une jeunesse dorée donc je me sens assez loin de ça. Il y a surtout dans ce texte la question fondamentale de l’exil.

Propos recueillis par Lillah Vial