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Rencontre avec Yan Morvan, reporter à la “mauvaise réputation”

S’il est difficile pour un photographe reporter de s’immiscer au sein des univers tribaux et ultra codifiés, Yan Morvan constitue une belle exception à la règle. Il est notamment le seul à avoir pu photographier les « Hell’s Angels », connus pour leur caractère violent et fasciste notoire. Il a également couvert des évènements des plus sanglants, tels que la guerre Iran-Irak de 1980-88 ou encore la guerre civile au Liban, pays où il fut condamné à mort à plusieurs reprises. En ce moment, il vadrouille sur les champs de bataille égyptiens. Julien Morel du magazine Vice lui a consacré un article il y a deux ans, lui décernant le titre honorifique de « reporter le plus badass de tous les temps ».

[caption id="attachment_6661" align="alignleft" width="500"]Série Hell’s Angels Crédits : actuphoto.com Série Hell’s Angels
Crédits : actuphoto.com[/caption]

L’exposition de la librairie bordelaise La Mauvaise Réputation est consacrée à la monographie de Morvan, nommée Gang, parue en 2000 aux éditions Marval. L’expo dépeint un univers ultraviril qui témoigne de contextes sociaux en crise.

La rencontre avec Yan Morvan a eu lieu début septembre à Bordeaux, lors d’une séance de dédicace de son livre Gangs. Une rencontre pour le moins déroutante. Assis derrière son bureau, une bouteille de scotch mollement cachée sous une chaise et un gobelet au poing, le photographe parait à la fois accessible et imposant. A une première question « pourquoi vous êtes vous tourné d’emblée vers des univers ultra violents, à savoir la guerre puis les gangs ? », Morvan répond : « à cause des femmes ». Après un rire gêné qui cachait mal mon malaise, il s’explique.

« Je voulais impressionner, « faire mon trou » et cet univers de virilité faisait de moi un être courageux, presque intrépide ». Une manière de se démarquer des autres photographes reporters. Ce récit franc et quelque peu taquin pourrait laisser penser à une démarche dévêtue d’intellectualisme.

Mais en redevenant sérieux, Yan Morvan se fait engagé et réfléchi. Que ce soit dans les banlieues françaises sclérosées par l’anomie sociale, où les jeunes se regroupent et recréent des codes afin de se forger une identité commune ; ou à la campagne, au sein de bandes de motards nationalistes, tendance extrême droite. Les photographies des « Hell’s Angels » en sont l’exemple le plus frappant. Le travail de Yan Morvan insiste par ailleurs sur le rôle social de ces « gangs », aiguillons et créateurs de contenu normatif pour des jeunes en manque de repères. Lorsque les piliers d’une société sont ébranlés, que l’Autre n’est plus le prochain mais l’étranger perturbateur, le gang recrée un entre soi rassurant pour ses membres, selon la logique bien humaine et universelle de la Société. Ainsi, les photographies de Morvan sont emblématiques d’une société dont les vecteurs d’intégration ne suffisent plus à assurer le bien vivre ensemble. Dans cette perspective, Morvan affirme le caractère « sain » des gangs.

[caption id="attachment_6662" align="alignleft" width="500"]Guy Georges Crédits : a-l-œil.info Guy Georges
Crédits : a-l-œil.info[/caption]

Une question se pose: comment éviter un certain sensationnalisme lorsque l’on choisit de tels sujets ? A ce mot barbare, Yan Morvan bondit et rejette totalement le procédé. Ici apparaît la tension entre l’envie du jeune premier, Morvan au début de sa carrière, de se faire une place dans le monde du journalisme et le rejet d’une commercialisation probable de ses œuvres. C’est à ce moment qu’il évoque le contentieux juridique autour de Gangs.

En effet, ce livre a été attaqué en justice sur la base du droit à l’image par « Petit Mathieu », qui pose à l’âge de 17 ans pour Morvan, armé d’un marteau et d’un pistolet d’alarme. Il appartenait à l’époque au mouvement d’extrême droite Troisième Voie. Dans sa chambre, des affiches nazies, dont une des Jeux Olympiques de Berlin en 1936. Petit Mathieu attaque donc le reporter aujourd’hui, alors qu’il avait donné son consentement au moment de la prise de vue en 1987. L’addition est salée, l’éditeur de Morvan La Manufacture des Livres ainsi que le Nouvel Observateur sont condamnés à reverser des sommes colossales. En cas de poursuite de la diffusion de l’image, 500 euros par jours à reverser au plaignant, alors que Morvan et La Manufacture des Livres ont du reverser 5000 euros au conseiller en communication qu’est aujourd’hui Mathieu B.

[caption id="attachment_6663" align="alignleft" width="500"]Petit Mathieu Crédits : bjp-online.com Petit Mathieu
Crédits : bjp-online.com[/caption]

Paradoxalement, cette affaire a joué en la faveur du photographe, alors invité, soutenu aussi bien moralement que financièrement : ses ventes de photographies et de livres ont bénéficié du « coup de pub » juridique et de ses aberrations. Ironie du sort, Morvan ne voulait pas initialement faire figurer cette photographie dans sa monographie ; c’est sous l’insistance de son éditeur qu’elle y est apparue.

Sous ces différents enjeux, le contexte juridique semble indiquer que le droit individuel à l’image prime sur l’intérêt collectif de droit à l’information. Il n’en demeure pas moins que le travail de Morvan est saisissant. Les regards, les ambiances, et la tension toujours palpable ressortent parfaitement. Ce travail audacieux revêt même un caractère civique, nous renseignant sur des microcosmes sociaux effrayants et méconnus.

Julie Plichon

Un Commentaire

  • Posté le 8 November 2013 à 22:05 | Permalien

    héhé, toujours à cause des femmes…