On se souvient de Sartre : “J’ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres” (Les Mots, Pléiade, p. 20). Depuis Descartes, philosopher suppose de lire et d’écrire. Issue des mathématiques, la philosophie en a conservé la rigueur, qui exige la rature. Apparemment, à l’époque de Rembrandt, ces évidences n’étaient pas encore acquises. La philosophie ne s’obtenait pas par le travail ; elle naissait de la rêverie. On avait surtout besoin d’une certaine qualité d’ombre et de silence. Ces deux composantes se retrouvent en effet dans ses Å“uvres, à l’image de ses portraits, où d’imposants corps pâles trônent au centre des toiles à fond sombre, en s’y détachant nettement par clair-obscur.
En effet, l’escalier s’associe à la méditation, au monde des idées, qui s’élève vers la pénombre. Le cheminement vers le savoir se fait donc marche par marche, et se termine vers l’inconnu, aux limites de la connaissance. Ce mystère est accentué par la petite porte close, énigmatique. Le processus de réflexion qu’exige l’introspection du Philosophe est ainsi mis en évidence grâce à l’escalier, par une ingénieuse mise en abîme. De plus, celle-ci renvoie aussi à notre propre travail de réflexion auquel on s’adonne pour décrypter la présente Å“uvre, comme toute Å“uvre d’art en général. Espace pictural, la pièce dans laquelle se déroule la scène s’apparente à un espace mental.
La luminosité de la pièce appelle, elle aussi, l’analyse. Elle ne provient pas du feu, mais bien de la fenêtre, c’est-à -dire de l’endroit où se trouve le Philosophe. Ne ferait-t-elle pas penser aux soudaines lueurs de l’esprit, provoquées par l’idée surgissante, le raisonnement fructueux ?
Un élément de la composition semble confirmer cette interprétation. En effet, la pénombre du haut de l’escalier, accentuée par l’assombrissement du vernis au fil du temps, cache un troisième personnage, à l’allure semblable à celle du Philosophe, mais peint presque en grisaille, d’une pâleur extrême, presque flou, d’allure spectrale. Il regarde dans notre direction en montant l’escalier, avant de disparaître dans l’obscurité du premier étage. Ne serait-ce pas symbolique de la pensée du Philosophe, fruit de sa méditation, qui, ayant progressivement gravi les marches de la réflexion, s’élève vers des sphères jusque-là inconnues ? Son dernier regard dans notre direction, avant de disparaître dans l’inconnu, ne serait-t-il pas un appel à le suivre, une invite à la contemplation ?
Une chose est sûre : c’est bien ici un éclair de génie qui illumina Rembrandt pour animer ainsi sa composition intemporelle, et qui émerveille encore aujourd’hui celui qui tente d’en élucider le sens.
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