PROFONDEURCHAMPS

Les nouvelles formes du discours politique

«  Le candidat est un chef d’orchestre, ou un homme-orchestre sans partition, dont on a pensé qu’il pouvait jouer toutes les musiques.  »
Jean Marie Cotteret

Loin de la spontanéité décontractée, le discours politique laisse peu de place au hasard. Même les paroles qui paraissent échapper au calme et à la pleine conscience de leur débiteur sont rarement le fruit d’une fraîcheur naïve. Souvent formés au media-training qui se transforme de plus en plus en passage obligé pour qui songe à une carrière dans les affaires publiques, les hommes et femmes politiques composent avec des règles implicites dictées par les évolutions médiatiques.

Le triomphe de la brièveté

Sous l’impulsion de nouvelles formalités audiovisuelles, la rhétorique politique a du s’adapter et se conformer à l’appareil médiatique et aux nouvelles attentes journalistiques. Le passage à des émissions plus courtes, une réalisation plus dynamique mais aussi l’avènement de la culture de la «  petite phrase choc  » ont contribué à raccourcir le temps imparti aux paroles politiques. Chez les chaînes d’information en continue, le bandeau où défilent en permanence les événements marquants de la journée ne permet qu’un nombre réduit de caractères  : d’où l’attention marquée pour les petites phrases des politiques, les faits simples à expliquer. L’espace-temps médiatique a été resserré, favorisant ainsi de nouvelles formes discursives incluant l’omission, le mensonge, la manipulation affective, autant d’éléments difficiles à saisir et assimiler dans le feu de l’action, notamment en direct (Philippe Breton, 1996, 1997).

homme politique

Il faut aller au plus court et au plus rapide  : on est loin des longs monologues du général De Gaulle où l’interactivité était absente et le ton monotone. Désormais, la popularité et l’écho que peut avoir un membre du personnel politique ne tient plus à sa seule capacité oratoire  : plus il sera apte à rentrer dans le moule audiovisuel, plus il sera présent sur la scène politique, celle-ci étant largement éclairée par les médias, intermédiaires principaux entre le public et ses dirigeants. D’autre part, en plus de ce nouvel impératif de concision, les politiques doivent gérer leur image et leurs paroles face aux nouveaux gardiens de la brièveté médiatique  : les journalistes et les présentateurs télés. Les émissions qui ne durent généralement pas plus d’une ou deux heures (en dehors des périodes électorales) sont pourtant censées balayer un large panel de problématiques, et c’est le rôle des journalistes de faire en sorte que ces questions soient posées et que les personnalités politiques y répondent. La plupart du temps en effet, le responsable politique n’est plus l’unique maître de son discours  ; invité sur un plateau de télévision (ou pour un entretien dans un journal), c’est rarement lui qui maîtrise les questions, le lieu ou la réalisation.

Si les politiques préparent souvent ces entretiens en amont avec des conseillers en communication (les spin doctors), c’est aux journalistes de diriger et orienter le débat. Ils ont pour mission d’interpeller les dirigeants en leur posant les questions auxquelles ces derniers ne s’attendent pas toujours, et c’est à eux de les amener sur des sujets qui n’étaient initialement pas prévus afin d’éviter la langue de bois.

Un discours formaté en fonction du public ciblé

Malgré cette relative absence de contrôle sur la direction que peut prendre un entretien ou une allocution télévisée, le discours politique est toujours sous-tendu par une préparation en amont qui laisse peu de place au hasard. Au delà du choix des mots employés, c’est aussi le média utilisé qui est mûrement réfléchi. L’homme et la femme politiques ne s’expriment pas de la même manière selon les différentes couches de la population auxquelles ils vont s’adresser. La sélection et le choix du média se font en fonction d’un public ciblé, par rapport à une segmentation sociale préalable.

À la télé, à la radio ou dans un quotidien national, celui qui est candidat aux élections va souvent chercher à (re)cadrer son discours afin d’attirer les indécis, cet électorat qui s’est désintéressé de la politique et qui ne sait pour qui voter. Dans une entreprise de séduction et de mobilisation, sa parole sera moins libérée que s’il s’adresse à des partisans déjà pleinement acquis à sa cause, comme lors d’un meeting ou d’une réunion avec ses sympathisants. Pour plaire et rallier un maximum d’électeurs à voter pour lui, le discours du candidat se fait le plus ouvert possible et se rapproche parfois du centre en ayant recours à des propos rassembleurs, modérés. En utilisant des médias dits de masse comme la télévision ou la radio, les personnalités politiques ont bien conscience qu’ils vont s’adresser non pas à un individu en particulier mais à un public indifférencié et pluriel. Ils vont s’adresser quasiment à l’ensemble des citoyens  : toutes les couches de la population sont concernées par le journal télévisé ou l’émission de radio, toutes les régions, tous les âges, toutes les professions.

À ce titre et selon Cotteret, la communication grand public se fait toujours la plus simplificatrice possible  : un système binaire dans lequel les oppositions droite/gauche et bon/mauvais sont les plus prégnantes. Comment espérer obtenir l’adhésion par l’intermédiaire d’un vote si l’on est incompréhensible  ?

Et puisque le politique s’adresse à des millions d’individus à la fois, il doit trouver le plus petit dénominateur commun  : l’adoption d’un vocabulaire plus simple correspond à cette volonté d’être compris par tous, et même par des destinataires qui n’ont pas forcément envie de les écouter parler (dans le cas du journal télévisé par exemple, contrairement à la démarche volontaire d’un partisan qui se rend à un meeting de son parti).

Le story-telling fédérateur

Mais avec la montée en puissance de l’infotainment et de la «  politique entertainement  », les logiques discursives propres à la parole politique ont changé. Le discours politique se dénude et se défait de son arme principale, l’argumentation, au profit d’une mise en scène permanente de l’intimité des dirigeants. Le raccourcissement du temps de parole et la montée en flèche des magazines people offrent une place importante au récit de soi mais aussi au récit tout court, et c’est là le story-telling. Plus généralement, le story-telling est une technique de communication qui consiste à narrativiser un discours dans le but de fortifier l’adhésion de l’auditoire. Le but de cette fictionnalisation du discours politique consiste à essayer de toucher un public qui se distance de plus en plus des affaires publiques. Face à des taux d’abstention qui ne cessent de s’élever, le réinvestissement de la cause politique semble passer par cette volonté de renouer avec le public par des mesures de proximité. D’autre part, l’intérêt pour la vie privée d’un dirigeant politique est d’autant plus grande que les incompatibilités entre les programmes des partis diminuent. Mettre en récit permettrait alors de donner l’illusion d’une identification possible du public à l’engagement politique.

Le grand adepte du story-telling en politique, c’est le président américain Barack Obama, qui utilise un langage très imagé, truffé de métaphores sur la vie des ses citoyens (il évoque par exemple le quotidien des Américains chômeurs avant de donner les chiffres du chômage). L’exécutif français n’y échappe pas  : Emmanuel Macron évoque sa grand mère pour justifier sa vision économique peu après son arrivée au gouvernement fin août 2014 : « si on ne produit pas, ma grand-mère m’a toujours dit qu’on n’aurait pas grand chose à distribuer ». De même, François Hollande, après la publication du livre de son ex-compagne, utilise cette méthode pour enrayer la polémique des «  sans-dents » et rappelle ses origines modestes.

Le discours politique et son passage à l’Internet

Si les allocutions télévisées sont toujours très prisées par le personnel politique en période électorale,  l’usage d’Internet et des réseaux sociaux est de plus en plus pratiqué. À l’image d’Alain Juppé qui a annoncé sa candidature aux primaires de la droite via son blog ou Nicolas Sarkozy qui a publié le message de son retour en politique sur sa page Facebook, le discours politique a durablement investi une autre sphère médiatique.

L’utilisation d’Internet se fait dans un souci de rapprocher deux entités, avec d’un côté la classe politique accusée d’être déconnectée des réalités sociales et civiles, et de l’autre côté cet électorat qui a le sentiment de ne pas être associé aux décisions politiques.

L’importance du réseau réside dans l’illusion d’une interactivité entre ces deux sphères  : donner l’impression que le personnel politique se rapproche de ses électeurs, qu’il les écoute. Obama a ainsi accueilli dans son équipe de campagne le co-fondateur de Facebook, Chris Hugues, avec la volonté de toucher ainsi le plus grand nombre de citoyens possible. Selon le Pew Center Research, 46% des électeurs ont suivi la campagne du président américain via ces médias là. Car à travers les réseaux, les hommes et femmes politiques cherchent aussi à toucher des franges plus jeunes de la population, car si Internet est considéré comme un média dynamique, les réseaux sociaux sont les champions de la jeunesse et le meilleur moyen de les toucher.

La plupart des dirigeants ont leur territoire digital  : du président iranien Hassan Rohani au Pape François, pour qui «  Internet est un don de dieu  » et qui possède sur Twitter neuf comptes en neuf langues différentes, totalisant 10 million d’abonnés. Pourtant, à l’échelle locale, Internet reste une pratique confidentielle  : seuls 17% des élus municipaux ont une page Facebook et seuls 2% ont un compte Twitter. (1)

A cela s’ajoute également que malgré la possession d’un compte, la plupart des politiques délaissent les réseaux sociaux et leur page Internet une fois les élections passées, qu’elles aient été gagnées ou perdues.

Selon Fabienne Greffet, «  les acteurs dominants du jeu politique privilégient la communication télévisée, les relations avec la presse et les réunions publiques plutôt que la communication sur Internet » (2)

Loin de la figure du grand tribun formé à l’école de l’éloquence et qui s’exprimait à la tribune du Parlement romain, l’homme et la femme politiques d’aujourd’hui ont vu leurs discours modifiés avec les évolutions de la société et de ses médias. La parole n’est plus spontanée  ; elle est souvent préparée en amont par des conseillers en communication et ceux qu’on appelle des spin doctors. Elle ne se limite plus aux conférences officielles du président  ; tout homme ou femme politique peut la prendre et donner son avis, par l’intermédiaire des réseaux sociaux notamment. Elle ne se fait plus uniquement via une allocution télévisée ou un communiqué administratif  ; elle s’expose sur Internet et parfois en 140 caractères. La structure narrative l’emporte parfois sur la logique argumentaire à travers le story-telling.  Mais la parole politique est aussi durablement liée à l’exposition médiatique de celui qui la prononce  : avec peu de moyens, peu de chances d’être entendu. Enfin, la nécessité de délivrer un discours concis amplifie la tentation du recours à la «  formule choc », cette petite phrase qui fait la célébrité temporaire de l’homme ou de la femme politique du jour. La volonté d’être sous le feu des projecteurs aggrave le risque d’instrumentalisation des thématiques sensibles (comme l’immigration, l’insécurité, le communautarisme). Le discours politique se vide-t-il de ce qui le portait avant, à savoir la conviction idéologique  ?

Pour Olivier Duhamel (professeur à Science Po) qui fait un constat pessimiste de cette évolution discursive, le discours politique se dégrade « à cause de la vidéocratie  : l’ère des écrans accentue dramatiquement la crétinisation du politique ». (3)

Ophélie Perros

(1) Communiqué de l’Association des Mairies de France (le 8 avril 2011) 
(2) Fabienne Greffet, « Les blogues politiques », Communication [En ligne], Vol. 25/2 | 2007, mis en ligne le 08 septembre 2008, consulté le 17 février 2015. URL : http://communication.revues.org/883 ; DOI : 10.4000/communication.883
(3) Le Monde, 25/09/2010
Pour en savoir plus  :
Breton Philippe, La parole manipulée, Paris, La Découverte, 1997
Charaudeau Patrick, Le discours politique. Les masques du pouvoir. Paris, Vuibert, 2005
Cotteret, Jean-Marie, Gouverner c’est paraître, Paris, PUF, 1997

 

Un Commentaire

  • Posté le 29 October 2020 à 09:27 | Permalien

    Bonjour,
    Merci de m’expliquer pourquoi il est nécessaire, dans un texte si intéressant écrit dans notre langue, de recourir brusquement à de l’anglais, “story telling”? Le français ne fait pas sérieux, pas scientifique? C’est une langue où l’on ne sait plus inventer des termes appropriés aux concepts?
    Salutations courtoises