PROFONDEURCHAMPS

  • Rencontre avec Chinese Man

    Passé en l’es­pace de huit ans du sta­tut de bri­co­leur de sons à ce­lui de lea­der fran­çais de la scène trip-hop, le col­lec­tif Chi­nese Man s’im­pose au­jour­d’hui comme une ré­fé­rence pour tout ama­teur de bon beat qui frappe sur des samples tou­jours plus so­phis­ti­qués. Ren­contre en pleine tour­née avec SLY, Zé Ma­téo et High Ku, fon­da­teurs du groupe.

    Vous sem­blez avoir une ap­proche très dé­ten­due de la mu­sique, est-ce dû au fait que vous avez com­mencé ce pro­jet pour le plai­sir, sans vé­ri­table pers­pec­tive de car­rière ?

    Nous avons en ef­fet dé­marré ce pro­jet sans une im­mense pers­pec­tive de car­rière. D’ailleurs, j’ai ou­blié pour­quoi on avait dé­marré… Ah si, c’était pour de­ve­nir des stars (rires). En fait, comme nous sommes amis à la base, les pre­mières ses­sions de com­po­si­tions se sont construites au­tour de feux de che­mi­née, de la­sagnes et de blagues à se tordre l’es­to­mac. Le pe­tit rêve de faire un pre­mier vi­nyle, ce truc noir en plas­tique, était plu­tôt mo­teur. Le côté dé­tendu va avec l’es­prit zen, on fait les choses à notre rythme, et sur­tout per­sonne ne nous dit rien.
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    Com­ment s’est créé Chi­nese Man exac­te­ment et sur­tout com­ment en êtes vous ve­nus à com­po­ser de la ma­nière dont vous le faites (en par­tant de pla­tines vi­nyles, en uti­li­sant beau­coup de samples) ?
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    Comme je viens de le pré­ci­ser pré­cé­dem­ment, nous sommes amis. J’ai ren­con­tré Sly au ly­cée et High Ku un peu plus tard, à l’oc­ca­sion d’un spec­tacle de Hip-Hop. Nous avons d’abord monté un pro­jet qui n’a pas du tout fonc­tionné, un bon échec qui nous a servi à se re­trou­ver plus tard, pour faire de la mu­sique. La com­po­si­tion à base de samples et de pla­tines était notre ma­tière de dé­part, on a bri­colé du mieux qu’on pou­vait avec un or­di­na­teur et les samples qui nous par­laient vrai­ment. Cette for­mule a peu changé, puisque nous uti­li­sons la même base, mais des cla­viers et quelques ou­tils sup­plé­men­taires sont ve­nus s’y s’ajou­ter.
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    Ce qui re­vient beau­coup dans vos dif­fé­rentes in­ter­views est votre éclec­tisme, la di­ver­sité de vos in­fluences. Il semble dif­fi­cile de qua­li­fier votre mu­sique, com­ment vous dé­fi­ni­riez-vous ?
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    Comme nous par­tons tou­jours d’un sample qui doit nous plaire à tous les trois, nous ne nous li­mi­tons pas à un genre. Si le sample est bré­si­lien, alors le mor­ceau aura cette so­no­rité, s’il est proche de l’afro-beat ce sera idem. Il faut que les cho­ré­gra­phies qui nous viennent ins­tinc­ti­ve­ment nous mettent en transe, des pe­tits pas de côté, des pi­rouettes, la cé­lèbre danse de la canne à pèche… On écoute tous beau­coup de sons, d’ailleurs l’en­semble de l’équipe écoute beau­coup de styles de mu­sique, ça nour­rit bien l’es­prit et ça oriente sans doute vers des so­no­ri­tés qui nous branchent. Le style est du coup dif­fi­cile à iden­ti­fier, mais le terme Bass Mu­sic est as­sez juste parce que c’est sou­vent cet ins­tru­ment qui sert de liant à tous ces mé­langes (c’est beau non ?)
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    (rires). Pour re­ve­nir aux samples, com­ment les choi­sis­sez et les trou­vez-vous ? Et lé­ga­le­ment ça se passe com­ment ? Vous avez déjà eu des pro­blèmes de droits d’au­teurs ? À par­tir de quand consi­dé­rez-vous que sam­pler de­vient ar­tis­ti­que­ment lé­gi­time ?
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    Pour les samples, on fait du mieux qu’on peut. On tra­vaille de­puis le dé­but avec une ju­riste et on clear le maxi­mum de sample. Il ar­rive par­fois qu’on ne puisse pas, ou qu’on ne trouve pas les ayants droits. C’est comme une quête pour le Chi­nese Man, ça fonc­tionne un peu comme un fea­tu­ring, on de­mande l’ac­cord et si l’en­semble des per­sonnes at­ta­chées à un mor­ceau est d’ac­cord, on est heu­reux, ça veut dire que la col­la­bo­ra­tion fonc­tionne. On cherche des samples par­tout, évi­dem­ment beau­coup dans les vi­nyles, prin­ci­pa­le­ment d’ailleurs. Il y a tout de suite un son qui peut être in­té­gré car tout le tra­vail de mixage et de mas­ter est déjà exis­tant dans un sample, c’est ça qui est in­té­res­sant. Nous tra­vaillons de­puis un peu plus d’un an avec quelques mu­si­ciens (love) et c’est une autre ap­proche, elle ajoute vrai­ment un plus à l’en­semble, un côté acous­tique et live qui trans­forme vrai­ment la com­po­si­tion. A mon sens, la no­tion de sample a tou­jours existé, nous n’in­ven­tons presque rien, mais ce sont nos filtres. On est tel­le­ment content de plon­ger les oreilles dans l’his­toire… Comme dit le poète Eliot, “tout ce qui est nou­veau est de ce fait au­to­ma­ti­que­ment tra­di­tion­nel”. J’ai pi­qué ça dans Bande à part de Go­dard. Je trouve ça très juste.
     
     
    L’uni­vers ci­né­ma­to­gra­phique, jus­te­ment, semble être très im­por­tant pour vous, et que ce soit en live ou sur vos disques vous faites sou­vent ré­fé­rence à des films en sam­plant des dia­logues. Est-ce  une ma­nière de faire pas­ser un mes­sage ? Un hom­mage à cer­tains réa­li­sa­teurs ?
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    La dé­marche au dé­part est sans doute liée au fait que nous fai­sions de la mu­sique ins­tru­men­tale. Le fait de ra­jou­ter des voix qu’elles soient ti­rées de vi­nyles ou de ci­néma nous per­met­tait d’en­ri­chir nos mor­ceaux en leur don­nant une nou­velle di­men­sion. Après na­tu­rel­le­ment on a cher­ché dans les uni­vers qui nous étaient fa­mi­liers et le ci­néma bien sûr en fai­sait parti. Mais les voix qu’on uti­lise en gé­né­ral ont plus pour but de ques­tion­ner le pu­blic que de vrai­ment faire pas­ser un mes­sage, di­sons qu’on pré­fère que les gens se de­mandent ce qu’on a vrai­ment voulu dire plu­tôt que d’adres­ser un truc su­per fron­tal.
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    J’ai lu dans une in­ter­view da­tant d’il y a quelques an­nées que votre mu­sique était la cible de cri­tiques, dont une qui m’a fait rire di­sant que votre mor­ceau I’ve Got That Tune n’était qu’un « sample pit­ché en 45 avec un bon beat des­sus ». Pen­sez-vous avoir ac­quis une cer­taine lé­gi­ti­mité de­puis ?
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    Mal­gré les cri­tiques on a tou­jours eu le sen­ti­ment d’être lé­gi­time étant donné qu’on a fondé notre propre la­bel et qu’on a avancé avec nos propres moyens donc quelque part, en ne de­vant rien à per­sonne, on n’a ja­mais eu le sen­ti­ment de trom­per les gens ou de ne pas être à notre place. En plus on ma­nie plu­tôt bien l’auto dé­ri­sion et du coup les cri­tiques sont en gé­né­ral an­ti­ci­pées, vu que c’est des blagues qu’on se fait entre nous. Après, on est conscient de nos li­mites mais aussi de ce qu’on sait faire… Et puis après tout I’ve Got That Tune, c’est ça : un truc pit­ché sur un bon beat hip hop mais pour nous ce n’est pas en­vi­sagé de ma­nière pé­jo­ra­tive.
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    Quels sont vos coups de cœur mu­si­caux du mo­ment ? Com­ment voyez-vous l’avè­ne­ment d’un col­lec­tif comme C2C ? Une sorte de po­pu­la­ri­sa­tion du turn­ta­blism ?
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    Un peu d’auto pro­mo­tion pour com­men­cer. On est obligé de par­ler de De­luxe, la nou­velle si­gna­ture du la­bel qui a sorti un EP qu’on adore for­cé­ment. Si­non on n’a pas trop écouté de nou­veau­tés donc on ne peut pas trop don­ner de coups de cœur. Concer­nant C2C on est sur­tout cu­rieux d’écou­ter l’al­bum et on sera content de les re­trou­ver en fes­ti­val vu qu’on a déjà pas mal tourné avec Beat Tor­rent (ndlr : dont les membres font par­tie de C2C) , donc ça sera l’oc­ca­sion de boire l’apéro.
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    Vous avez, de­puis quelques an­nées main­te­nant, créé votre propre la­bel. Com­ment conci­liez-vous ce tra­vail de pro­duc­tion avec votre car­rière mu­si­cale ?
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    On songe de plus en plus au clo­nage pour pal­lier au sur­me­nage de ces mul­tiples vies (rires) ! Il faut avouer que c’est as­sez com­pli­qué mais bon c’est une li­berté to­tale donc on es­saye de me­ner les deux de front. Et en même temps ça nous per­met aussi de se mettre en re­trait même si pour l’ins­tant, Chi­nese Man est par­ti­cu­liè­re­ment ex­posé. Mais dans le fu­tur on es­père dé­ve­lop­per beau­coup plus le la­bel, his­toire de pou­voir se re­po­ser un peu.
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    Éprou­vez-vous tou­jours du plai­sir à jouer des titres comme I’ve Got That Tune jus­te­ment, que vous avez dû en­tendre des mil­liards de fois de­puis sa sor­tie ?
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    C’est cer­tain que c’est l’un des mor­ceaux que nous avons le plus en­tendu et joué ! Mais cela fait par­tie du tra­vail que l’on fait pour la créa­tion de nos lives : ré­or­ches­trer nos an­ciens mor­ceaux, en chan­geant les struc­tures, en in­vi­tant des MCs ou des mu­si­ciens. Cela nous per­met de ne pas nous en­nuyer et d’of­frir au pu­blic une ver­sion in­édite des mor­ceaux qu’il connait.
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    Vous avez une po­si­tion in­té­res­sante concer­nant l’éco­no­mie de la mu­sique (concer­nant le té­lé­char­ge­ment no­tam­ment que vous avez sou­tenu pu­bli­que­ment). Com­ment voyez-vous l’ave­nir éco­no­mique de la mu­sique ?
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    Vaste ques­tion… En tout cas il est cer­tain que nous nous op­po­sons à la ré­pres­sion contre le té­lé­char­ge­ment gra­tuit et aux lois type “Ha­dopi”.
    Nous pen­sons que l’in­dé­pen­dance peut être une so­lu­tion, cela a fonc­tionné pour nous. Ça de­mande cer­tai­ne­ment plus d’in­ves­tis­se­ment et de prise de risques mais cela évite de se re­trou­ver “coincé” dans un schéma dicté par l’in­dus­trie mu­si­cale. En plus cela offre une li­berté et un contrôle to­tal sur sa pro­duc­tion ar­tis­tique. Ce n’est sur­ement pas une so­lu­tion mi­racle mais c’est une pos­si­bi­lité d’évo­lu­tion pour le fu­tur.
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    Avant-der­nière ques­tion : Le per­son­nage du « Chi­nese Man » c’est une ma­nière de ne pas se mettre en avant ?

     
    Tout à fait, nous sommes très nom­breux à être in­ves­tis dans Chi­nese Man et Chi­nese Man re­cords (notre la­bel), notre vo­lonté n’est pas de mettre des per­son­na­li­tés en avant mais plu­tôt notre pro­duc­tion ar­tis­tique. Chi­nese Man est notre guide et notre ban­nière !
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    J’ai­me­rais pour ter­mi­ner vous po­ser une ques­tion qui est une tra­di­tion dans notre ma­ga­zine. Que pen­sez-vous de notre nom, « Pro­fon­deur de Champs » ? Qu’est-ce que ça vous évoque ?
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    Très joli nom ! Le ci­néma est une source d’ins­pi­ra­tion im­por­tante pour Chi­nese Man donc ça nous parle for­cé­ment. Cette no­tion d’ou­ver­ture est une com­po­sante ma­jeure de notre mu­sique.
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    En­tre­tien réa­lisé par Paul Gru­ne­lius.
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    Vous pou­vez re­trou­ver le groupe et le la­bel Chi­nese Man en cli­quant ici.