Les Ballets russes dégagent une aura riche, résultat de la synergie des plus brillants éléments artistiques du premier tiers du XXème siècle, et de l’histoire.
Fondés en 1907 par Sergueï Diaghilev et éteints en 1927 (même si, en 1932, Wassily de Basil et René Blum ont engagé certains membres de la troupe sous le nom Ballet russe de Monte-Carlo), après le décès de leur instigateur, les Ballets russes ont mobilisé la culture russe et le public occidental, les esprits créatifs les plus audacieux et éclectiques, et ont fait du ballet, art de rigueur et de perfection, un accomplissement de l’audace artistique. Car audacieuse fut cette compagnie de ballet. Née du théâtre Mariinsky de Saint Petersbourg, ou plutôt de ses meilleurs éléments, et devenue indépendante en 1911, la compagnie des Ballets russes concentre autour de la figure de Diaghilev, une volonté de représentation et de transmission de la culture russe. Les Ballets russes sont une vraie révolution. Un élan formidable d’imagination, auquel contribuèrent, entre autres danseurs et chorégraphes: Balanchine, Anna Pavlova, Nijinsky ou encore Sergueï Lifar. Tous travaillèrent à faire de leur compagnie un étendard et de la danse classique et du bouillonnement intellectuel et artistique de leur époque, ainsi que de la Russie, dans sa robe bariolée des siècles passés et du présent incertain.
« Diaghilev m’avait dit : « étonne-moi ». Eh bien lui aussi a été étonné par l’extraordinaire effervescence de peintres, de poètes, de musiciens français. »Â
Jean Cocteau
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L’âme russe reste entière, authentique, et trouve des ponts de dialogue dans les grandes personnalités européennes, qui se trouvèrent toutes à un moment ou à un autre dans ce Paris bouillonnant : ainsi, Coco Chanel dessinera les costumes de la troupe, Jean Cocteau pensera les livrets et les illustrations, Braque, Picasso et Matisse créeront les décors, et Satie et Debussy la musique. Dès 1913, la compagnie se représente sur les scènes de Paris, Londres, Bruxelles, et bien sûr, de Monte Carlo. C’est cette ouverture à l’international et à l’Occident qui conduira le régime soviétique à bannir Diaghilev. Et où faire du ballet ailleurs qu’à Paris ? Puisque ce n’est plus possible en Russie, légendaire vivier de génies de la danse, les danseurs se tournent vers l’autre capitale, sur ces scènes où Marie Taglioni, Yvette Chauviré ou encore Fanny Elssler ont usé leurs chaussons.
 Diaghilev et sa troupe
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Sergueï Diaghilev, éminemment cultivé, mais aussi rigoureux, féroce, même menaçant lorsqu’il s’agissait de danse, tint lieu de père de cette famille cosmopolite. Il engagea, en tant que principal danseur, Sergueï Lifar, danseur et chorégraphe brillant, ancien élève de Nijinska (soeur de Nijnski) ; Lifar avec qui il entretiendra d’ailleurs une brève liaison. Un des principaux soucis de la compagnie fut de consacrer chaque artiste, chacun dans sa particularité, et tous dans le monument qu’ils contribuèrent à élever. Ainsi, les danseurs sont, au même titre que les chorégraphes, compositeurs, metteurs en scène, glorifiés et mis en avant. Chacun, russe ou pas, fut célébré dans ce qu’il apporta à la gloire dansée de la grande Russie. Impresario, créateur, il promenait sa troupe et imaginait sans cesse, bien que sans le sou, courant toujours après quelques donations de riches amis et amateurs de ballet (Les Rothschild par exemple).
Diaghilev tenait à une musique qui révélait la danse autant que la danse la révélait. C’est pourquoi il choisit des compositions inédites, un éclectisme qui lui permettait de faire plonger la représentation dans un autre monde, rêvé et pourtant réel. Il contribua à la gloire de Stravinsky, et sut s’entourer de compositeurs tels que Debussy, Satie, Prokofiev, Strauss…
Grande amie de Serge Lifar, qui fut premier danseur de la Compagnie, Gabrielle Chanel commence à collaborer à la troupe dès 1924, en imaginant les costumes du Train bleu, ballet de Nijinska, sur un livret de Jean Cocteau. La participation de Chanel à l’aventure des Ballets russes est faite de son aura de Reine de Paris, de son admiration pour la culture slave, du faste d’une tsarine libre et moderne… et aussi de sa participation financière –anonyme- aux projets de Diaghilev.
Costumes de Gabrielle Chanel pour le Train bleu – livret de Cocteau
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Une poursuite de la liberté dans l’art dans un période historique chaotique (certains des danseurs s’étaient enfuis de l’Union Soviétique), un refus de choisir, de se priver, le goût et le besoin d’aller vers l’absolu, au travers des variations et des pas de deux aériens, instants éphémères et qui immortalisent cette élévation.
L’âme slave est matérialisée dans les Ballets russes : génies exaltés, mysticisme des corps éprouvés par et pour la beauté, âmes bariolées qui toutes convergent vers leur expression. Des costumes aux effluves orientaux, des silhouettes fines et dures, des mouvements faits de grâce et de souffrance, des chorégraphies aériennes et irréelles…
Le répertoire des Ballets russes est composé de créations originales ou d’adaptations de ballets déjà existants par les chorégraphes de la compagnie. Ainsi, en 1909, Fokine livre Les Sylphides, adaptation de l’illustre ballet La Sylphide crée par Auguste Bournonville, qui reste attaché à Marie Taglioni. Ici, la musique est de Chopin et le ballet a pour seul argument une démonstration de grâce, de légèreté. L’Oiseau de Feu, en 1910, également chorégraphié par Fokine est basé sur la légende russe de l’Oiseau de feu, et marque le début de la notoriété de Stravinsky. Diaghilev dira à Tamara Karsavina, qui tenait le rôle-titre : « Notez-le bien. C’est un homme à la veille de la gloire ».
 Tamara Karsavina et Mikhaïl Fokine dans L’oiseau de feu
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En 1923 Nijinska crée Les Noces, sur une musique de Stravinsky. Le livret repose sur le thème du mariage chez les paysans russes. Le ballet est extrêmement expressif, les visages des danseurs sont vivants, les mouvements cérémonieux et la musique ajoute l’immersion dans le folklore.
L’exigence imposée par la danse classique est ici érotisée par les corps des danseurs, tous richement parés, appelant à une folle et incessante danse, à un ballet sensuel, à un corps à corps rythmé et enivrant. Les chorégraphes, Fokine, Balanchine, Nijinski et sa soeur Nijinska, Petipa, Massine, Romanov, ont laissé éclater, au travers d’oeuvres telles que L’Oiseau de Feu, Petrushka, ou encore L’Après-midi d’un faune, la superbe et l’arrogance majestueuse des danseurs éprouvés dans leurs membres, se confondant dans la musique et les étoffes. La technique est maîtrisée à la perfection, les danseurs, magiciens à la souplesse féline, se plaisent à dépasser l’académisme classique pour incarner un songe, rêve d’absolu visuel, auditif, sensuel.
Les Ballets russes sont exemplaires à plusieurs points de vue : leur extraordinaire abondance et qualité, leur désir de rendre hommage à la culture russe en même temps qu’à la culture française, toutes deux pôles d’excellence du ballet classique et de ses artistes, leur capacité à se nourrir et à exploiter tant de personnalités, d’inspirations, d’idées et de visions diverses et parfois en apparence opposées ; et leur irréductible besoin de liberté qui leur permet encore aujourd’hui de rayonner.
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Shannah Mehidi
Un Commentaire
Bonjour, il y a un problème de dates au début de l’article. La première saison était en 1909, et Diaghilev est mort en 1929.