J’ai découvert Claude Ponti et son univers avant même de savoir lire. Et pour cause, cet auteur écrit principalement des livres pour enfants. Né en 1948, Claude Ponti a étudié les lettres, l’archéologie et les Beaux-Arts. C’est en 1985 qu’il écrit son premier livre, L’Album d’Adèle, au départ exclusivement destiné à sa fille. Comme pour beaucoup, c’est l’enthousiasme de son entourage qui le pousse à le faire publier. Ce sera le premier d’une longue série.
Pourquoi parler ici d’un auteur pour enfants? D’abord parce que ses Å“uvres sont d’une grande richesse à la fois graphique et littéraire. Ponti réinvente la langue française à chaque nouvelle histoire, à grands renforts de néologismes, mots-valises et jeux de mots qui ne sont pas sans rappeler le style de Lewis Carroll. Il a créé un univers nouveau et fascinant, dans lequel les poussins s’amusent à se masquer, les personnages cherchent des jardins où poussent les noms, et les enfants disposent d’un catalogue de parents s’ils veulent changer les leurs. Ses histoires sont conçues comme des rêves, dans lesquels tout peut arriver, surtout les choses les plus farfelues. Chez Claude Ponti, des personnages étranges, la plupart du temps ni humains ni animaux, évoluent dans des récits souvent sous forme de quête. C’est également un monde poétique, plein de couleurs. Selon l’auteur, l’imagination est comme le vélo : une fois qu’on a appris, ça ne s’oublie pas.
Au-delà des couleurs, du fantastique et de la poésie, il y a aussi chez Ponti une profondeur que je qualifierais de philosophico-tragique. En prêtant une attention suffisante, on remarque en effet un aspect sombre dans cet univers, que ce soit dans les décors, les personnages ou les thèmes abordés. Il n’hésite effectivement pas à traiter de sujets graves, tels que le deuil ou la violence. Son dernier album, Mô-Namour, retrace par exemple l’histoire d’une fillette qui, après avoir perdu sa famille dans un accident de voiture, est recueillie par un «ami» qui la bat. Une telle thématique dans un album pour enfants est certes surprenante, mais il en fait un conte superbe, loin de la naïveté de certaines histoires destinées aux petits. Il y a une morale chez Ponti, derrière l’humour et le fantasque. Ses personnages vivent des aventures qui leur permettent de découvrir qui ils sont et de faire face à leurs peurs les plus profondes. C’est par exemple le cas d’Hippolène, qui, face à Ortic lui disant «je n’ai pas peur de toi», répond «moi non plus je n’ai pas peur de moi».
Cet album, L’Arbre sans fin, commence avec la mort de sa grand-mère et la tristesse d’Hippolène qui se transforme alors en larme. Claude Ponti nous rappelle grâce à ces livres que les drames n’épargnent pas les enfants, et réussit à parler des peurs humaines les plus profondes avec humour et poésie, en les mettant en scène dans un monde au fonctionnement très différent du nôtre mais avec les mêmes problèmes et les mêmes tragédies, car selon lui la vie est tellement triste qu’il vaut mieux en rire. Quelque soit l’âge du lecteur, ses histoires sont de véritables bouffées d’air et de fantaisie, qui nous rappellent que l’imagination permet toujours s’évader du quotidien, comme lui-même le faisait enfant en dessinant des poussins sur ses cahiers d’écolier.
Adèle Hollebecque