17 juillet 2012. J’écoutais la télévision d’une oreille distraite quand les premières notes de « Smoke on the Water » attirèrent soudain mon attention. Ce sera bien la première fois que les médias grands publics s’intéressent au hard rock, fût-ce pour la chanson la plus connue d’un groupe qui compte parmi les plus célèbres de ce genre. L’annonce de la mort du claviériste qui participa à sa composition changea ma joie méfiante en tristesse inconsolable.
Jon Lord fait hélas partie de ceux que la mort aura fait gagner en notoriété. Qui connaissait son nom avant de lire dans Le Figaro ou dans Le Monde un funeste article à la gloire de ce musicien et du groupe auquel il a donné naissance, Deep Purple ? Il aura fallu attendre sa disparition pour que les journaux rendent justice à celui qui fut pourtant l’un des musiciens les plus innovants de la fin du XXe siècle. Les médias français, chouettes de Minerve de la culture, s’envolent quand les grands s’en vont…
Mais on réduit sans doute trop souvent Jon Lord à un groupe, réduit lui-même une seule chanson qui, pour être emblématique, n’est peut-être pas essentielle. Jon Lord n’est pas seulement le fondateur d’un groupe fondateur ; avant d’écrire le chef d’oeuvre Machine Head (1972) avec les autres membres de Deep Purple, Jon Lord a en effet composé à l’âge de 27 ans un « Concerto for group and orchestra » interprété en 1969 par le Royal Philharmonic Orchestra et les musiciens de la formation naissante. C’est ce Concerto, à la charnière de son travail avec Deep Purple et de sa future carrière solo au style plus classique, qui permet de comprendre son originalité et son influence.
Le rôle de soliste (érigé en véritable duelliste face à l’orchestre) revenait naturellement à Ritchie Blackmore, jeune guitariste talentueux qui devait à son tour devenir une légende. De l’affrontement entre la guitare électrique et les instruments classiques résulta un audacieux mélange de deux genres que tout semblait opposer. « When two worlds meet », titrait l’affiche du Concerto. La presse britannique de l’époque, devant cet évènement d’une nouveauté totale, produisit des réactions partagées mais toujours passionnées, des plus enthousiastes aux plus sceptiques (« pop and classics just don’t mix », lisait-on même dans un journal).
Jon Lord est ainsi le premier à unir avec autant de brio la musique classique et un genre nouveau qui était, mais on ne le savait pas encore, promis à un bel avenir : le hard rock. La fortune de son intuition fut considérable ; en faisant un nouvel usage de l’orgue Hammond, qu’il brancha sur un amplificateur Marshall, il accorda une importance inédite aux claviers dans une musique typiquement caractérisée par la virilité des guitares. Les chansons Lazy ou Highway Star, qui ont fait le succès de Machine Head (avec « Smoke on the Water »), sont à ce titre remarquables : la part belle y est faite aux claviers, qui rivalisent avec la guitare dans des duels sublimes.
 [youtube=http://www.youtube.com/watch?v=G6x8GGXrCFQ]
Interprétation assez libre de « Lazy ». Jon Lord à l’orgue Hammond, Ritchie Blackmore à la guitare.
 L’influence de Jon Lord et de son compagnon Ritchie Blackmore fut telle qu’une nouvelle génération d’artistes, dans les années 1980, se réclamèrent de cette tradition nouvelle dite « neo classique ». A commencer par Yngwie Malmsteen, dont le premier et plus grand album Rising Force (1984) n’aurait sans doute pas vu le jour sans les travaux de ces deux musiciens de génie. Son Concerto Suite for Electric Guitar, écrit dans les années 1990, est un hommage direct rendu au grand claviériste qui su le premier allier une formation classique à des idées d’avant garde.
Que Jon Lord soit mort ne signifie pas que le style de musique qu’il a inspiré le soit. Mais un triste constat, que nous rappelle la mort de Ronnie James Dio il y a deux ans et aujourd’hui l’état de santé de Tony Iommi, paraît indéniable : le monde du hard rock vieillit, et peine à se renouveler. L’âge d’or du metal, pour glorieux qu’il fut, semble hélas terminé ; et malgré leurs prestations toujours excellentes au Wacken ou au Hellfest, pour combien de temps encore Ozzy Osbourne ou Alice Cooper parviendront-ils à nous faire croire le contraire ?
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=L5eaV6_dIvw]
Improvisation de J. Lord et R. Blackmore en l’honneur de Beethoven.
Guillaume Caulet
3 Commentaires
Et c’est surtout avec la chanson “Child In Time” sur le premier album, et au moins autant sur le “Live in Japan”, qu’on pense à Jon Lord. Avec “Highway Star” on pense d’abord au solo de Ritchie Blackmore.
Il est exact que les parties jouées et composées par Jon Lord sont importantes sur Child in Time, puisqu’elles ouvrent la chanson. Il ne me semble pas cependant que l’on puisse réduire son travail à cette chanson, ni à aucune chanson en particulier d’ailleurs ; néanmoins, il ne faudrait pas non plus réduire Highway Star à Richtie Blackmore.
Si j’ai cité cette chanson, c’est d’abord parce qu’elle est peut-être, à mon sens en tout cas, la meilleure de Deep Purple. Plus spécifiquement, l’originalité de Jon Lord y apparaît : il n’y a pas sur cette chanson un solo, mais deux, et la guitare ne progresse qu’accompagnée par les claviers. On ne retrouve pas cette structure “dialectique” sur Child in Time. On la retrouve en revanche sur Lazy, introduite à chaque concert par une improvisation de Jon Lord (sur le fameux Made in Japan, mais pas seulement).
Que cela n’enlève aucun mérite à Child in Time bien entendu, que l’on retrouve d’ailleurs, dans une excellente version, sur le premier CD du Concerto de Jon Lord, avec quelques autres chansons enregistrées ce soir au Royal Albert Hall.
Oui je suis tout à fait d’accord, la version “Made in Japan” (je crois me souvenir que c’est le titre exact de ce live) de “Child In Time” est un modèle du genre quand on pense à Jon Lord.