Ecrivain et avocat, Alexandre Duval-Stalla nous parle d’un genre littéraire peu connu : la biographie croisée. Comment éclairer la vie d’un homme à la lumière de celle d’un autre ? Rencontre.
Vous avez publié deux biographies croisées (De Gaulle/Malraux et Clemenceau/Monet) chez Gallimard. Pourquoi avoir choisi ce mode narratif ?
N’étant ni universitaire (ce qui m’aurait donné une légitimité intellectuelle pour faire une biographie), ni un génie littéraire (je ne suis pas sûr que la version romancée de mes premiers échecs amoureux aurait intéressé quiconque), j’ai pensé que pour commencer il fallait justement innover pour proposer à la fois quelque chose de sérieux qui serait susceptible de séduire un éditeur, mais aussi autre chose que les habituelles biographies qui débutent par la naissance et finissent par la mort inéluctable de leur héros. Or, il y avaient cette amitié si singulière entre De Gaulle et Malraux. Et plutôt que de raconter juste leur amitié, c’est l’occasion rêvée à la fois de faire deux biographies en une et surtout de renouveler l’exercice littéraire de la biographie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le seul qui a accepté cette aventure littéraire est Philipe Sollers dans sa collection L’Infini. J’ai d’ailleurs pour Philippe Sollers non seulement une immense reconnaissance, mais également une affection toute particulière pour ce personnage si attachant et si rare.
Quels avantages représente le fait de s’appuyer sur une histoire unique pour décrire deux légendes, ou deux caractères ? Quels en sont les écueils possibles ?
L’avantage, c’est la liberté d’en définir les codes. Ne jamais commencer par les naissances. Ecrire deux vies comme un roman. Les confronter pour mieux les révéler. Le seul écueil serait la routine et de penser qu’il s’appliquerait à tous. Je ne suis pas sûr que les vies parallèles se croisent toujours !
Pourquoi, selon vous, ce genre littéraire reste encore assez méconnu ?
Comme tout avocat, je suis sans doute imbu de l’extraordinaire génie de ma personne ; mais pas au point de penser avoir inventé un genre littéraire ou de le reconnaître comme tel. Il est vrai que seuls Plutarque et moi sommes sur le terrain des vies parallèles (rires) ! Mais soyons modeste ! Quand j’en serai à ma vingtième biographie croisée et couvert de prix, récompenses, médailles et autres travaux universitaires, nous en reparlerons.
Scruter la relation Clemenceau/Monet ou Malraux/De Gaulle, n’est-ce pas surtout mettre l’accent sur l’importance de l’amitié dans la compréhension des hommes et de leur histoire ?
Les hommes sont les hommes ! Tautologie très gaullienne. C’est-à -dire qu’au delà de leur inaccessibilité historique qui nimbe leur personnage, ils sont comme vous et moi. Ils ont des sensibilités humaines. Par ailleurs, je crois profondément en l’amitié, plus qu’en l’amour peut-être. Et si la grande histoire n’est pas une histoire d’amitié, mais plutôt de violences et de haines, le parallèle entre un artiste et un homme entré dans l’histoire révèle justement l’extraordinaire sensibilité de ces personnages historiques trouvant dans le génie de l’artiste l’intemporalité qu’ils ne trouvent pas dans les combats politiques quotidiens.
Serait-il envisageable de faire la biographie croisée de deux hommes qui ne s’appréciaient ou ne se connaissaient guère ?
C’est justement la gageure de mon prochain livre : Chateaubriand et Napoléon. Les lecteurs jugeront !
En étant naturellement tentée de faire des parallèles, d’établir des liens entre deux histoires, la biographie croisée ne risque-t-elle pas d’être réductrice dans son approche de deux existences distinctes, ou de s’avérer artificielle ?
Au contraire. Par exemple, en mettant en parallèle, leur enfance, vous faites mieux ressortir les traits de caractère de l’un ou de l’autre. Regarder les rapports avec leurs pères. Sauf Monet, ils ont tous une profonde admiration pour leur père. Admiration intellectuelle et respect filial pour De Gaulle, Admiration pour la vie de flambeur son père pour Malraux. Quand à Clemenceau, ce n’est pas un hasard si sa tombe est juste à côté de son père au fin fond du bocage vendéen. Deux tombes côte à côte. Seuls au monde pour l’éternité. Beaucoup de choses peuvent s’expliquer par cette confrontation qui révèlent mieux les aspects saillants et déterminants de leur personne et de leur action. L’écueil serait de vouloir tracer des parallèles artificiels au service d’une théorie et les faire entrer sans un cadre qui ne serait pas le leur.
Quelles grandes biographies croisées pouvez-vous conseiller ?
A part les miennes, celles de Plutarque (rires) ! Plus sérieusement, je vous invite à relire Plutarque et plus généralement la littérature grecque et latine. C’est une source de réel bonheur intellectuel et de meilleure compréhension du monde.
Que révèle de plus une biographie croisée de Malraux et De Gaulle (par exemple) par rapport à la lecture successive de leur deux biographies individuelles ?
Une sensibilité particulière. Au delà de la légende, du mythe, de l’épopée, De Gaulle se révèle dans ce rapport, non pas avec André Malraux en tant que tel, mais avec le romancier qu’il est, ce dialogue unique de l’histoire et de l’art, cette rencontre manquée entre Chateaubriand et Napoléon que le général de Gaulle n’a pas voulu manquer avec André Malraux. A ce titre, Les Chênes qu’on abat est un livre qu’il faut absolument lire.
Avez-vous des projets littéraires ?
Plein !… D’abord mon Chateaubriand/Napoléon. Et ensuite un roman et d’autres biographies croisées. Ecrire est un accomplissement heureux. Très heureux. Même si le temps me manque pris par la défense de mes clients qui est aussi une autre forme d’accomplissement heureux. Ecrivain et avocat. Deux parallèles pour une seule vie ! Je vous rassure je n’en ferai pas une biographie croisée !
Entretien réalisé par Quentin Jagorel