Sleepy Hollow, Les Noces Funèbres, ou encore Charlie et la Chocolaterie sont autant de noms qui viennent à l’esprit lorsque l’on évoque l’œuvre de Tim Burton. Pourtant, un petit bijou, moins connu du grand public, se cache dans la filmographie du réalisateur. Ed Wood, film sorti aux Etats-Unis en 1995, se situe à mi-chemin entre le biopic et la fiction. Il rend hommage à Ed Wood, réalisateur américain né en 1924, connu notamment pour la réalisation de films à petit budget dans les années 1950. Malheureusement, il doit aujourd’hui sa postérité aux critiques Michael et Harry Medved, qui, dans leur livre The Golden Turkey Awards (publié en 1980, soit deux ans après sa mort), lui ont décerné la palme du « plus mauvais réalisateur de l’histoire du cinéma ». Tim Burton n’est pas le premier à s’être intéressé à ce personnage hors du commun, puisqu’un livre avait déjà été publié en 1992 par Rudolf Grey, intitulé The Nightmare of Ecstasy : The Life and Art of Edward D. Wood Jr. Passionné d’épouvante et très fortement influencé par le cinéma expressionniste, Ed Wood a de nombreux points communs avec Tim Burton. Ces derniers partagent le même amour pour le septième art et se revendiquent des mêmes aspirations cinématographiques.
Pour Tim Burton, Ed Wood représente ce que le monde du cinéma a de plus beau. Certes, ses films sont objectivement mauvais, aussi bien du point de vue technique (effets spéciaux) que du jeu des acteurs, mais ils dégagent quelque chose de spécial, une sorte de poésie involontaire de la part du cinéaste, qui rend sa filmographie comparable à nulle autre. Elle se compose de films tels que Glen or Glenda (1953) qui aborde le sujet de la transsexualité – Ed Wood aimait lui-même s’habiller en femme –, The Bride of the Monster (1955), ou encore Plan 9 from Outer Space (1959). Il ressort de ce personnage passionné un optimisme sans borne particulièrement sympathique qui l’amène à se moquer des railleries et des mauvaises critiques qui accompagnaient de façon quasi-systématique la sortie de chacun de ses films. C’est certainement ce qui fascine Burton : un pied de nez fait à l’industrie hollywoodienne, ambassadrice par excellence du rêve américain.
Tim Burton à propos d’Ed Wood[1] : « Ce qui est important c’est le processus créatif et le plaisir qu’on y prend. Il faut accorder ça à Ed Wood (…). Il est rare de rencontrer à Hollywood des gens qui sont simplement heureux de ce qu’ils font sans se soucier des ramifications ou des conséquences, de ce que le studio va penser ou de ce que sera le box office ».
Ed Wood ne se veut donc pas une biographie fidèle du cinéaste mais plutôt un hommage au cinéma, une lecture de sa vie à travers les yeux du personnage, yeux écarquillés d’émerveillement en permanence. Plusieurs scènes du film relèvent d’ailleurs de la pure fiction, des scènes de vie probablement rêvées par le réalisateur de son vivant. Tim Burton met par exemple en scène une rencontre entre Ed Wood (brillamment interprété par Johnny Depp) et Orson Welles, l’un de ses contemporains. Rencontre au cours de laquelle s’engage une conversation presque philosophique sur la nature du cinéma. Welles encourage Ed Wood dans la poursuite de son but, par cette phrase restée célèbre : « Ed, visions are worth fighting for » (« Ed, les visions méritent que l’on se batte pour elles »). Burton ajoute alors comme point final à ce film un happy end, comme pour féliciter Ed Wood de ce combat de tous les instants contre la machine hollywoodienne : une première triomphale à la sortie de son film Plan 9 from outer Space, succès qui ne restera malheureusement que pure fiction.
[caption id="attachment_7132" align="alignleft" width="500"] Johnny Depp et Martin Landau[/caption]Un autre aspect de l’histoire personnelle d’Ed Wood rapproche les deux réalisateurs. Il s’agit du lien qu’ils entretiennent tous deux avec une personnalité plus âgée, un acteur de films d’épouvante qui a marqué leurs enfances respectives : Vincent Price (mentor de Tim Burton) et Bela Lugosi (idole d’Ed Wood). Bela Lugosi est un acteur connu notamment pour avoir interprété le comte Dracula[2] en 1931. Mais il refuse le rôle de Frankenstein[3] (il nourrit d’ailleurs dans le film une rancœur sans borne à ce sujet), ce qui marque un tournant négatif dans sa carrière. Complètement désavoué par le système hollywoodien qui avait pourtant fait sa gloire, il sombre petit à petit dans la misère et devient dépendant à la morphine. C’est dans ces conditions qu’il rencontre Ed Wood (amitié et collaboration qui ne sont pas cette fois inventées par Burton mais bien réelles) et participe à quelques tournages, dans une ultime illusion de pouvoir renouer avec sa grandeur d’antan. Il meurt finalement dans la misère (après un séjour en cure de désintoxication) quelques semaines avant le tournage de Plan 9 from outer Space.
Par cet hommage qu’il rend à Ed Wood mais aussi par extension à Bela Lugosi, Tim Burton réaffirme son amour du cinéma en tant qu’art et dénonce la machine hollywoodienne[4], sorte d’usine à rêve, et carcan pesant lourdement sur la créativité.
Sarah Hillaireau
[1] Pierre Eisenrich (coordinateur), Tim Burton, Revue Positif, Editions Scope, Avril 2008, p46
[2] Tod Browning, Dracula, 1931
[3] Frankenstein qui sera interprété par Boris Karloff
[4] Voir aussi le film Sunset Boulevard de Billy Wilder (1950), film noir sur l’industrie du cinéma à Hollywood.