Regards photographiques (épisode VII)
Lire l’épisode VI
Claudia Braillard Ceccaldi aime voyager et aime la photo. A partir de là est né un joli projet : photographier et laisser une trace de ses voyages au moyen du plus simple des appareils… un Kodak jetable.
Des plages de Rio de Janeiro à Varsovie, en passant par Rome ou Milan et son île d’origine – la Corse -, elle réussit à saisir avec authenticité des moments, des instants tirés de ces voyages. Ici pas de retouches, juste le sujet, le lieu, ou l’objet et le clic du fameux appareil photo jetable.
Comment t’es venue l’idée de prendre des photos au Kodak ?
J’ai la chance d’avoir une mère hôtesse de l’air et de voyager souvent. L’idée de prendre des photos de mes voyages m’est apparue comme une évidence. J’ai commencé à m’y mettre de façon sérieuse, c’est à dire avec une vraie démarche, lors de mon premier voyage au Brésil. Je n’aimais pas la qualité du numérique, je trouvais les sujets plus ordinaires et à partir de là j’ai tout de suite pensé à l’appareil photo jetable.
Petite, je passais des journées entières à admirer les photos argentiques des années 60 de mon grand père, les photos Kodak des années 80 de mes parents. Je voulais tout connaître de leur jeunesse et de l’époque dans laquelle ils vivaient. Je me suis prise de passion pour ces années là , les décors des films de la Nouvelle Vague française, du néoréalisme italien voire des films américains des années 60 m’ont toujours autant fasciné que la littérature et l’Histoire du XXème.
Alors même si le lien est vague, la photographie à partir d’appareils jetables apporte un coté ancien qui me plaît.
Je me demandais si lorsque tu partais tu te limitais à un ou plusieurs Kodak…
Non ce serait trop triste de se limiter, j’essaye juste de ne pas gâcher des photos pour rien, de faire attention à ne pas trop prendre de choses inutiles même s’il est très difficile de s’en rendre compte sur le coup. Il y a environ 27 clichés par appareil et une fois qu’on se retrouve sans Kodak il est parfois compliqué d’en trouver dans certains pays. A Rio, il m’est arrivé de marcher des heures à la recherche d’appareils photo Kodak et je suis passée pendant cette longue marche à côté de sujets photographiques incroyables. Depuis je fais attention…
Même si le jetable est en soi un objet très simple dans le monde de la photographie voire le plus simple, il y a derrière ton travail comme pour tout photographe (amateur ou profesionnel) une démarche artistique… En quoi consiste-t-elle pour toi ?
Je pense que le jetable est un appareil plus complexe que ce que l’on pense. Est-il simple seulement parce qu’il est accessible ? On ne peut pas faire de zoom, on ne peut pas ajuster la lumière, on ne peut pas faire d’effets ; contrairement au numérique et aux smartphones on ne peut pas retoucher et dans mon cas je ne peux pas prendre plusieurs clichés parce que je prends la plupart du temps des gens sur le vif… Il est donc plutôt difficile d’obtenir un très bon résultat.
Je tente de dépeindre la société à travers mon imaginaire et de livrer au regard du spectateur une certaine humanité. Dans chaque pays il y a quelque chose de particulier et j’essaye de le mettre en avant dans mes séries de photos.
Comme la plupart des gens, je me pose beaucoup de questions sur l’existence, la vie, notre condition humaine. Je me suis beaucoup inspirée de philosophes comme Pascal. En fait il semblerait que beaucoup de personnes échappent à cette réalité qui nous entoure, ce n’est pas une vision pessimiste c’est juste qu’il faut savoir accepter le fait que chacun d’entre nous est un petit point dans l’infini, l’immensité de l’espace et du temps. Il y a beaucoup de choses sur terre, il y en a déjà eu et il y en aura encore plus, en prenant la vie en photo on fige le temps et je trouve ça génial.
Tu fais des études de cinéma à Paris, l’envie de faire de la photo t’es venue avant ou après ? Est-ce une passion pour toi ?
Oui c’est une vraie passion, autant que le cinéma, car il y a dans l’esthétique quelque chose de très fort, j’aime l’idée de pouvoir interpréter chaque plan, chaque photo, chaque image.
Dans ce domaine on apprend beaucoup plus en pratiquant. La théorie est importante mais il ne me semble pas nécessaire et essentiel d’apprendre une méthode bien précise pour faire de l’art, il faut juste être dans un état d’esprit singulier et avoir “l’oeil” sur ce qui peut émouvoir. Bien sûr, quelques techniques sont à apprendre – si on possède une chambre noire par exemple – mais ce n’est pas le plus important. Selon moi, si on connaît la technique mais qu’on a pas “l’oeil”, la photo ne sera pas réussie. Enfin c’est encore un autre débat sur l’idée du beau et de l’art, autant lire L’Esthétique d’Hegel, ou Kant, pour en avoir un aperçu !
Nombreux sont les sujets saisis dans tes « albums » de voyages, quels sont ceux qui te tiennent à cÅ“ur ? Le jetable pourrait faire penser que ce n’est que de l’instantané, mais y-a-t-il une part de prémédité ?Â
J’aime beaucoup prendre des individus en photo, je ne fais pas de réels portraits mais je tente de les cadrer de façon à ce que leurs corps deviennent un objet à part entière. Je m’imagine alors leur vie, leur caractère. C’est presque du voyeurisme ! Rappelons-nous de Blow Up… J’aime aussi prendre des paysages ou des images typiques comme l’architecture ou les couleurs de la ville dans laquelle je me trouve pour essayer de transmettre une ambiance. Je prends aussi beaucoup de personnes âgées en photo car je les trouve la plupart du temps attendrissantes et dotées d’une histoire fascinante. Elles vont tout à fait de pair avec ce côté ancien que je cherche à mettre en oeuvre avec le Kodak.
Il n’y a pas de part de “réfléchi”, je prends mes photos sur le vif. Je me ballade des journées entières et lorsque je tombe sur un sujet qui me saisit, qui me transporte dans un univers certain, qui m’émeut, qui me réjouit ou qui me remet en question alors je sors mon Kodak.
Tout le monde aujourd’hui utilise Instagram pour avoir cet effet vintage, avec tes photos développées et ce réel effet authentique tu ne te sens pas à contre courant ?
Oui, on sent vraiment une envie de revenir aux choses anciennes, qui paraissent peut-être plus authentiques. Mais d’ailleurs on peut élargir cette envie à d’autres disciplines, comme le cinéma par exemple avec The Artist, ou alors dans la mode aussi avec la frénésie des boutiques de friperies vintage, dans la musique… A l’heure de la technologie toute-puissante, c’est assez paradoxal en effet.
Pour revenir à Instagram, c’est un très bon moyen de faire de beaux clichés mais il me semble que ce vintage n’est tellement pas naturel qu’il perd son effet d’origine. Là pour le coup on peut parler d’objet photographique simple, car il est difficile de rater une photo avec.
Quels sont les avantages pour toi d’utiliser un jetable ?
En bref, la matérialité de l’objet, l’effet d’attente et de surprise que l’on a lorsqu’on développe les photos, la qualité de la pellicule Kodak, le côté instantané et vif, le fait que l’on ne puisse ni effacer, ni retoucher une prise, font partie des raisons pour lesquelles j’ai choisi ces appareils et cette marque en particulier. Le principal avantage est esthétique mais le jetable reste aussi un objet pratique et économique.
Vous pouvez retrouver le travail de Claudia Braillard Ceccaldi ici.
Recueilli par Rémy Pousse-Vaillant