« Les livres ont les mêmes ennemis que l’homme : le feu, l’humide, les bêtes, le temps… et leur propre contenu » Paul Valéry. Livres de chevet, mantras, autant de textes pour poser sur des mots nos maux humains. La littérature, en tant que récit de vie, se fait-elle porteuse d’un savoir ? Entre connaissance et expérience, quelle est la nature de cette vérité qu’elle propose ?
La littérature, pour quoi faire ?
Nombreux sont les auteurs à attribuer à la littérature un rôle qu’elle seule peut assurer. Dans la pensée de Calvino, « il y a des choses que seule la littérature peut nous donner ». Même chose pour Bloom et Kundera insistant sur « ce que seul le roman peut découvrir et dire… ». Prolongement de l’art de penser et de s’exprimer, la littérature est indissociable du concept de liberté. Si l’art d’écrire a le pouvoir d’inspirer des sentiments comme la curiosité, l’enthousiasme ou l’espérance, c’est parce que la littérature se présente aussi comme une sorte de guide. Dans son essai De la littérature¹, Madame de Staël considère que l’individu, par elle, s’extrait des considérations individuelles pour élever son âme vers ce qu’elle qualifie de « méditations générales ». L’exemple du succès des Quatre Accords Toltèques, proposant quatre règles de vie pour une promesse de plénitude, illustre ce phénomène encore contemporain de la relation entre littérature et épanouissement personnel.
La littérature, véritable outil initiatique
Les bibliothèques comptent sur leurs rayons pléthore de récits initiatiques à la manière d’un Bel-Ami, des héritiers du Bildungsroman allemand ou roman d’apprentissage, comme La Confusion des Sentiments de Zweig. Mais si la littérature est affiliée à la connaissance, c’est parce qu’elle est le reflet de l’expérience humaine. Reprenant le titre de Georges Perec, l’on peut dire qu’elle est La Vie mode d’emploi. Antoine Compagnon, historien de la littérature française, donne une place prépondérante à la littérature dans « la formation de soi et le chemin vers l’autre »². Lire, c’est aussi créer une communauté, pouvoir partager avec les autres le plaisir d’une formule bien tournée sur une page cornée. Récompensé par le prix du New York Times Bestseller, The End of Your Life Book Club retrace les discussions d’une mère traversant la maladie avec son fils, l’auteur Will Schwalbe, tous deux animés par la satisfaction dévorante d’une belle lecture. Edmund De Wall (auteur de With Amber Eyes) le qualifiera de « véritable méditation sur ce que les livres peuvent faire ».
Le pouvoir des mots
Ce passage au Nous pour mieux comprendre le Je est possible grâce à la force du langage. L’héroïne du roman Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?³ aborde la littérature dans ce qu’elle propose, « un langage assez puissant » pour décrire la vie. Le philosophe Jacques Bouveresse éclaire aussi ce rapport de l’écrivain au langage pour qui dire, c’est connaître. Il semble indéniable que la littérature nous procure des connaissances. Mais que penser de la nature de la vérité proposée par des auteurs, comme Flaubert et Proust, revendiquant des Å“uvres « vraies ». Les écrivains ne dictent pas une marche à suivre particulière, des préceptes à respecter mais bien un mode de penser et de questionner sa place dans le monde. Si Proust est A la recherche du temps perdu, il l’est aussi, tout comme ses pairs, d’une vérité.
La littérature est le lieu de la découverte, de la connaissance. Un espace ouvert où peut librement s’exercer notre imagination. Etablissant une connexion avec les auteurs et les émotions passées, c’est dans cette solitude profonde que naît la délibération morale. « Dans les déserts de l’exil, au fond des prisons, à la veille de périr, telle page d’un auteur sensible a relevé peut-être une âme abattue ; moi qui la lis, moi qu’elle touche, je crois y retrouver encore la trace de quelques larmes ; et par des émotions semblables, j’ai quelques rapports avec ceux dont je plains si profondément la destinée ». La force de la littérature réside dans le fait qu’elle montre la vérité sans pour autant nous forcer à l’accepter.
Capucine Michelet
¹ De la littérature, Madame de Staël, 1800.
² La littérature, pour quoi faire ? Leçon inaugurale au Collège de France, Antoine Compagnon. 2006.
³ Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? Jeanette Winterson, Ed. de l’Olivier. 2012.
Un Commentaire
…dire c’est connaître, lire re-connaitre, relier entre elles images et pensées, laisser les mots d’un autre exhumer toutes sortes de choses qui nous constituent , des sons, des paroles et des frémissements, des stupeurs et des engouements sur lesquels le temps n’a finalement pas de prise semble-t-il… lire je sens cela comme l’acte d’entrer en/d’établir une connivence avec un autre dont je ne connais que les sensations et perceptions qui me parviennent, danse des symboles, saveurs qui émergent et que je goûte particulièrement lorsqu’il est question d’affinités électives….